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épuiser tout son esprit à rendre ridicule le langage typique. Il voulut faire quelques observations; mais les éclats de rire qui retentissoient de tous les côtés étouffèrent sa voix. Le grand-" homme continua :

Je montrerai ensuite Isaïe, marchant tout nu dans Jérusalem. Quoi! tout nu! lui dit-on. -Oui: tout nu, je le dirai en toutes lettres. Mais ajouterai-je comme étonné d'un tel cynis me, «Est-il possible qu'un homme marche tout »> nu dans Jérusalem, sans être repris de justice? » Et je répondrai: Oui, sans doute, Diogène » ne fut pas le seul dans l'antiquité qui eut cette >> hardiesse. >> Voilà qui fera effet, s'écria-t-on ; Isaïe et Diogène mis sur la même ligne ! ô grandhomme ; vous seul jusqu'à ce jour avez connu l'art des rapprochemens.

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Que direz-vous donc, reprit-il, enchanté d'un tel compliment, lorsque vous connoîtrez ma charmante histoire du prophète Osée ? O combien je vais m'égayer sur « les deux ordres qu'il >> reçut de Dieu; l'un de prendre une femme » de fornication, et l'autre de coucher avec une >>femme adultère. » ( Dict. phil.) Les Chrétiens se garderont bien de refuter mes plaisanteries; ils n'oseront pas même les citer. Fidèles à leur insipide méthode, ils s'attacheront à en détruire le fondement en disant que ces ordres, leur exécution, aussi-bien que la nudité absolue d'Isaïe,

n'ont jamais existé que dans mes livres ou dans ceux des philosophes; mais ce sera une bien foible ressource. Que peuvent d'ennuyeuses discussions contre des tableaux dont tous les traits se font sentir au cœur? un seul mot les anéantira. « Ces commandemens, dirai-je, scandalisent. >> Dieu n'a pu ordonner à un prophète d'être » débauché et adultère. » Ainsi Osée jugé sur ses propres discours, demeurera convaincu de mensonge et d'impiété. Je vous le demande maintenant la philosophie est-elle contente?

Grand-homme, elle se tait et ne peut qu'admirer.

J'ai quelque chose de mieux encore à lui offrir. -O grand-homme! seroit-ce possible?— Qu'estce que mon imagination vive et gaie ne découvre pas dans les prophètes ? Lorsque je les traduis ou que je les commente, je ne sens plus l'hiver qui blanchit sur ma tête. Je retrouve en moi tout le feu de ma verte jeunesse.

Pour le prouver, le grand-homme débita ses facéties assez connues sur le prétendu déjeuner d'Ezéchiel et sur l'histoire allégorique d'Oolla et d'Ooliba. Plusieurs de nos sages les savourèrent avec délices. Mais Rousseau ne partagea pas leur ivresse. Il avoit pour principe « qu'un peuple » de bonnes mœurs a des termes propres pour » toutes choses, et ces termes sont toujours hon» nêtes, parce qu'ils sont toujours employés hon» nêtement. Il est impossible, dit-il, d'imaginer

» ses,

» un langage plus modeste que celui de la Bible, » précisément parce que tout y est dit avec naï» veté. Pour rendre immodestes les mêmes choil suffit de les traduire en françois.» (Em., tom. 3.) Il proposa ses observations à Voltaire, mais avec cette politesse obséquieuse et même humble qu'il avoit encore alors. << Pardonnez» moi, dit-il, ô grand-homme, un zèle peut-être > indiscret, mais qui ne s'épancheroit pas avec » vous, si vous estimois moins. (Lett. sur

la Provid.)

Le grand-homme n'aimoit pas les contradictions, il pardonna celle-là en faveur de l'hommage qui l'accompagnoit, il fit plus: il se rendit un instant à la raison qui venoit de se faire entendre par la bouche de Rousseau. « Il est vrai, dit-il, » que les expressions d'Ezéchiel qui nous parois» sent libres ne l'étoient pas alors; les termes qui >> ne seroient point déshonnêtes en hébreu, le >> seroient dans notre langue. » Pourquoi donc, vous diront quelques cagots, traduire librement comme vous l'avez fait, ces passages qui vous paroissent si libres? Est-ce pour édifier la jeunesse françoise de l'un et de l'autre sexe?-Non: mais pour faire confidence au public d'un scrupule qui me tourmente depuis long-temps. << Je » crains, que les peintures naïves du prophète, >> ne choquent des esprits foibles. « (Dict. phil.)

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En disant ces mots, le grand-homme rioit dans

sa barbe. Les philosophes sourioient aussi, car ils avoient facilement pénétré son intention. Vous voyez, dit-il, qu'avec un peu de philosophie nous trouverons dans l'histoire des prophètes de quoi nous divertir. Malheureusement toutes leurs actions ne ressemblent pas à celles que je viens de rapporter. << Elie fit descendre le feu céleste pour >> consumer les prêtres de Baal. »

Un des assistans crut devoir interrompre le grand-homme. Les Chrétiens, dit-il, pourront encore vous chicaner sur cette citation. Ils prétendront que ce n'est pas sur les prêtres de Baal qu'Elie fit descendre le feu du ciel; mais sur les satellites d'Ochosias, chargés par ce prince de lui faire une injuste violence en haine des ordres de Dieu qu'il venoit d'exécuter.

Lorsque les Chrétiens, dit le grand-homme, me reprocheront de l'inexactitude dans mes citations, je leur répondrai : « prenez-vous en à >> l'ignorance ou à la négligence des imprimeurs. (Lett. à Pr., juin 1738.) « La nature de l'homme » est si foible, et l'on a tant d'affaires dans la vie » qu'on ne peut pas penser à tout. »

Mais poursuivons: « Elisée fit venir des ours » pour dévorer quarante-deux petits enfans qui » l'avoient appelé tête chauve. » Ces faits ne sont pas plaisans comme ceux de Jérémie, d'Isaïe, d'Osée et d'Ezéchiel.

Ils ont beau être sérieux, lui dirent les philo

sophes, vous saurez bien y trouver le petit mot Le croyez-vous?-Oh! nous n'en

pour rire.

doutons pas.

Eh bien! oui; je l'ai trouvé cé petit mot pour rire. Le voici : « ces exemples, » dirai-je, sont rares, et ce sont des faits qu'il » seroit un peu dur d'imiter. » (Tr. de la tol.)

Les philosophes battirent des mains avec transport. O jeunes gens, s'écrièrent-ils, vous le voyez, c'est aux prophètes eux-mêmes que les philosophes donnent des leçons d'humanité. Jamais non jamais nous n'imiterons ces faits odieux, d'Elie et d'Elisée.

Ce seroit aussi, dit Rousseau, un moyen trop facile de se venger; et prenant un ton imposant comme il convenoit : « jadis les prophètes fai>> soient descendre à leur voix le feu du ciel. » Toute l'assemblée attendoit en silence la fin d'une période si magnifiquement commencée : << aujour» d'hui les enfans en font autant avec un mor»ceau de verre. » Arrêtez, s'écria le bon JeanJacques, voyant qu'on alloit applaudir ; je suis en train de bien dire ; laissez-moi achever. Josué >> fit arrêter le soleil; un faiseur d'almanachs va » le faire éclipser. Le prodige est encore plus » sensible.» (Lett. de la mont.)

On ne tint pas à ces deux traits heureux de la plume de Jean-Jacques. (Ibid.) Jamais il n'avoit paru aussi philosophie; ce furent pendant long-temps des applaudissemens et des éclats de

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