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rire prolongés qui disposèrent nos sages à entreprendre gaiment la grande question des miracles. lls y étoient amenés naturellement par l'examen profond qu'ils venoient de faire de l'histoire des prophètes.

CHAPITRE XIV.

Suite de la troisième séance. Objections des philosophes contre les miracles de la Bible.

Ан! ah! des miracles! s'écrièrent-ils avec le sourire du mépris, lorsque cette question fut proposée; peut-on parler de miracles à des philosophes? Quelle honte pour la raison que jamais il ait été question de miracles parmi les hommes ! - Et voilà pourtant de quoi les livres sacrés des Juifs et des Chrétiens sont remplis. - Cela seul suffit pour que la raison soit autorisée à les rejeter. Il me passe une idée par la tête, dit Voltaire, je voudrois bien qu'elle fût goûtée. C'est de nier sans ménagement l'existence de tous ces thaumaturges dont les livres des Chrétiens nous ont conservé l'histoire, et de la nier précisément parce qu'ils ont été des thaumaturges. Je ferai un essai de cette idée sur Moïse. « Il n'est pas vraisem» blable, dirai-je, en exagérant un peu comme » il convient, qu'il ait existé un homme dont la >> vie est un prodige continuel. » ( Dict. philos.)

Cette

Cette manière d'argumenter est toute neuve: elle me paroît de la plus grande force.

Elle l'est en effet, dit un philosophe : mais qu'on la goûte ou non, il faut que nous prenions un parti vigoureux contre les Chrétiens qui ne cessent de nous objecter les miracles de Moïse, de Jésus-Christ, des apôtres et des prophètes. Selon eux, c'est le sceau irrécusable de la divinité imprimé à leur religion et l'un des augustes caractères qui la distinguent essentiellement de toutes les autres.

Et voilà, dit Voltaire, ce qu'il faut leur nier. Opposons aux miracles rapportés dans l'Evangile ceux de Vespasien et d'Apollonius de Thyanes, et disons-leur ensuite avec une confiance imperturbable: « présenter de telles preuves, n'est-ce >> pas prendre ses lecteurs pour autant de têtes » de choux? »

Ce moyen si simple fut adopté par le plus grand nombre des philosophes. Quelques-uns, pensant qu'on ne pouvoit trop grossir cette liste, y firent entrer le miracle de ce roi de Rome, qui, sur la parole d'un augure, coupa un caillou avec un rasoir; celui d'une vestale qui avec sa ceinture mit un vaisseau à flot; et jusqu'à ceux de Mahomet qui s'amusoit à fendre la lune en deux, et en cachoit la moitié dans sa manche.

Mais, dit Rousseau, plusieurs de ces faits sont ridicules, et ceux qui paroissent plus raisonnables

n'ont aucune authenticité; les historiens qui les rapportent ne sont pas dignes de foi, ou bien ils n'y croient pas eux-mêmes au lieu que « les » faits de Jésus-Christ sont plus attestés que » ceux de Socrate dont personne ne doute. » ( Prof de foi.) — Qu'importe, lui dit-on, vrais ou faux, ceux que nous rapportons nous fournissent un argument contre les Chrétiens: cela nous suffit. J'en connois d'autres qui les embarrasseroient bien davantage, reprit finement le philosophe; ceux-là sont incontestables, ils ont ma parole pour garant. Quels sont-ils ?·

Les miens.

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On le regarda en riant. N'en plaisantez pas poursuivit-il ; j'ai réellement fait autrefois des miracles plus étranges que ceux de Préneste. C'étoit une manière de sorts assez nouvelle, qui consis→ toit à faire trouver dans une feuille de papier cachetée bien soigneusement la réponse à la pensée de ceux qui venoient me consulter, sans qu'ils me l'eussent fait connoître en aucune manière. - Eh! comment opériez-vous cette merveille? C'est mon secret; le public n'en saura pas davantage; mais le fait est sûr, il est arrivé à Venise en 1743. << Je me contentois d'être sorcier, parce que j'é» tois modeste, mais si j'avois eu l'ambition d'être » prophète, qui m'eût empêché de le devenir? » J'ai gardé jusqu'à ce jour le silence sur ces miracles, mais je prétends désormais m'en faire hon

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neur, et les mettre en parallèle avec ceux qui sont rapportés dans la Bible. (Trois. lett. de la mont.) Il ne sera pas dit que des hommes qui valent moins que moi, seront révérés comme prophètes sur l'autorité de leurs miracles, tandis qu'avec les mêmes droits qu'eux à ce titre imposant, j'ai eu la modestie d'y renoncer.

Ce sera une œuvre méritoire, dit un philosophe, de rabattre leurs prétentions; mais est-il à propos d'opposer ainsi miracles à miracles? On s'imaginera que nous y croyons tout de bon.

N'ayez pas cette crainte, lui répondit-on. Estil un homme assez sot pour ignorer que nous tenons aux principes de la philosophie, et que selon ces principes, un miracle est une chose impossible?

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Ou très-facile, dit Rousseau. On parle de guérisons subites, de résurrections. Il y a bien là de quoi crier merveille! «Un homme peut tout aussi>> bien guérir subitement que mourir subitement... >> On vient de trouver le secret de ressusciter des » noyés ; on a déjà cherché celui de ressusciter » les pendus. Qui sait si dans d'autres genres de » morts, on ne parviendra pas à rendre la vie à » des corps qu'on en avoit crus privés?» (Trois. lett. de la mont.)

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Ce raisonnement étonna par sa subtilité. On que Rousseau disposoit en maître souverain, aussi-bien que Voltaire, des termes de sa langue.

Ressusciter des noyés, pour dire rétablir dans des hommes que l'eau commence à suffoquer le libre usage de la respiration; rendre la vie non pas à des corps qui en étoient réellement privés, mais à des corps qu'on en avoit crus privés ; et, ce qui est encore au-dessus de toutes ces finesses, de ce qu'on a cherché le secret de ressusciter les pendus, conclure qu'on parviendra peut-être à rendre la vie à des gens qui ne sont pas morts: tout cet amalgame, qui étoit d'un goût nouveau, parut excellent pour prouver à la multitude que les guérisons subites et les résurrections rapportées dans nos livres saints n'ont rien de miraculeux.

Cependant les applaudissemens que reçoit Rousseau et ceux qu'il attend du public, enflamment de plus en plus son imagination. Il croit ou feint de croire que « les Chrétiens donnent cer»tains cochons qui se précipitent dans la mer, » pour les augustes preuves de la mission du ré» dempteur du genre humain, dont nul ne sau>> roit douter sous peine de damnation. » Il s'indigne d'une telle prétention, et il s'écrie avec autant d'effroi que s'il alloit se noyer avec ces mal

heureux animaux : « Juste Dieu! la tête tourne: » on ne sait où l'on est. Ce sont donc là, Mes» sieurs, les fondemens de votre foi? » D'où il conclut que les miracles de l'Evangile ne prouvent rien en faveur de Jésus-Christ.

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