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Ensuite, revenant à lui-même, il dit, non pas ironiquement, comme auroit fait Voltaire, mais très-sérieusement : « Nous devons respecter les » miracles sans prononcer sur leur nature. ( Trois. lett. de la mont.)

Cette phrase, à laquelle on n'avoit pas lieu de s'attendre immédiatement après un mouvement aussi extraordinaire, étoit de nature à mettre nos sages en fureur. Heureusement pour Rousseau, ils ne l'entendirent pas. Ils étoient distraits dans ce moment par une discussion assez vive qui ve noit de s'élever dans un coin de la salle sur les miracles de Moïse. On les nia comme il convenoit.—Mais ils ont été opérés en présence de plus de deux millions de témoins, et c'est à ces témoins eux-mêmes que Moïse les raconte. Foible difficulté ! Le peuple juif étoit si stupide qu'il a suffi à Moïse de lui dire effrontément qu'il avoit vu ces miracles, et il l'a cru. D'ailleurs un peu de physique et tout s'explique de soi-même.

Un fameux astronome se lève alors, et s'avance au milieu de l'assemblée. Il s'étoit fait connoître avantageusement du public par l'annonce bien circonstanciée d'une comète, qui devoit, à une époque très-rapprochée, réduire notre globe en poudre. Le livre d'Isaïe lui étoit, je ne sais comment, tombé entre les mains. Il y avoit lu (C. 13.) une prédiction de l'obscurcissement du soleil et de la lune, qui doit avoir lieu à la fin des temps; cette

prédiction lui avoit paru une relation d'une éclipse totale de soleil observée par le prophète. Avant que d'en venir à l'objet de la discussion, le nouveau philosophe, selon son usage, fit d'abord un long et pompeux éloge de sa science, de la force, de l'étendue, et de la profondeur de son esprit philosophique, dont il nous a donné depuis des preuves si éclatantes. A propos d'astronomie, dit-il enfin, je me suis occupé du passage de la mer rouge. Moïse raconte que les eaux furent partagées en deux, et qu'elles s'élevoient à droite et à gauche comme deux murs: moi, je soutiens que ce phénomène est un effet naturel du reflux, heureusement sécondé par un vent violent, qui souffloit dans la direction où les eaux étoient portées.

Combien le public a dû savoir gré à ce savant de cette explication! il a appris par là que l'effet du reflux et du vent combinés, est de diviser et d'élever des deux côtés les eaux de la mer, en laissant le fond entièrement à sec pour la commodité des voyageurs. Est-ce là une grande décou

verte !

Et ce sommet enflammé du Mont-Sinaï, dit Voltaire, qu'étoit-ce autre chose qu'un spectacle produit par quelques fusées, quelques petards, et un feu d'artifice Des faisceaux de lumière. sortoient de la tête de Moïse : je le crois bien; il avoit attaché à son front des cornes de bouc flamboyantes.

Ces idées étoient ingénieuses, et Voltaire les avoit exprimées en beaux vers. Par quel étrange caprice, renonçant à une partie de sa gloire, les a-t-il depuis retranchées de ses ouvrages? Heureusement l'un de ses plus zélés admirateurs, l'incomparable auteur de la Religion universelle, s'en est emparé, et nous les a répétées, à peu de chose près, telles qu'il les tenoit de son maître. ( Rel. univ., t. 4, p. 355 et 356.) Le public n'y a rien perdu.

Nos sages se bornèrent à ces deux faits, et certes c'est dommage: avec les ressources que la philosophie leur présentoit, il leur étoit si facile de donner une explication physique des plaies dont Dieu frappa l'Egypte, de la colonne de nuées, de la manne qui tomba durant quarante ans dans le désert, etc.! il suffisoit de supposer des causes naturelles quelconques, ou, à leur défaut, des machines et des préparatifs. Sans doute on le fera dans la suite. Que ne doit-on pas espérer de l'état de perfection auquel la philosophie s'élève tous les jours ?

Pendant tous ces discours, Rousseau étoit dans une agitation violente. A quoi bon, dit-il, insister sur cette question? Un mot suffit pour renverser tout ce vaste échaffaudage des miracles, que les Chrétiens ont élevé à si grands frais pour soutenir le frêle édifice de leur religion; disons que c'est du surnaturel. Prenant ensuite un ton goguenard

et vraiment plaisant : « Surnaturel! que signifie ce >> mot? Je ne l'entends pas. Le témoignage des » peuples est-il d'un ordre surnaturel? - Non.

Voyons donc des preuves surnaturelles, >> car l'attestation du genre humain n'en est pas » une....... Des prodiges? des miracles? Je n'ai >> rien vu de tout cela.» Quelle réponse faire à un argument aussi terrassant; on est réduit à dire niaisement comme les Chrétiens : « d'autres l'ont

» vu pour vous. (Prof. de foi.) Bien m'en a pris, » leur répondrai-je, je ne voudrois pour rien au » monde être témoin d'une résurrection, ou de la >> création subite de quelque partie du corps hu>> main: car que sais-je ce qu'il en pourroit arriver? » Au lieu de me rendre crédule, j'aurois grand' >> peur qu'un tel spectacle ne me rendît que fou. » (3.me lett. de la mont.)

Voilà, s'écria d'Alembert, de bien bonnes pierres jetées à l'infime. ( Lett. à Volt.)

Courage, Jean-Jacques, dit Voltaire : « quel >> bien votre Profession de foi va faire aux belles> lettres et à la philosophie! (Lett. à d'Alemb.) » Il faut que désormais ce soit le seul livre où la >> jeunesse apprenne à lire. » ( Lett. au C. d'Arg., 26 septemb. 1766.)

« O Rousseau, mon cher et digne ami,» s'écria à son tour Diderot ( Enc. ) en le serrant tendrement contre sa poitrine, comme ton génie s'élève de merveilles en merveilles. Je veux, mon cher

et digne ami, me montrer digne de toi. Non; plus de miracles: « quand tout Paris viendroit » m'assurer qu'un mort est ressuscité à Passy, je » ne ferois pas un pas pour le voir.» (Pensées philosophiques.)

Et quand vous le verriez, repartit Rousseau, vous ne devriez pas le croire. (3.me lett. de la mont.)

Cela est dans l'ordre, dit Voltaire ; << quant à » moi, je persiste à penser que cent mille hom>> mes qui ont vu ressusciter un mort, pourroient >> bien être cent mille hommes qui auroient la » berlue.» (Lett. à d'Alemb., 28 nov. 1755.)

<< Pontife de Mahomet, poursuivit Diderot en » haussant la voix et en s'agitant comme une >> pythonisse sur son trépied, redresse les boîteux, >> rends la vue aux aveugles, ressuscite les morts; » à ton grand étonnement mon esprit ne sera » point ébranlé. Veux-tu que je devienne ton » prosélyte? Laisse tous ces prodiges, et raison>> nons. Je suis plus sûr de mes raisonnemens que » de mes yeux, si la religion que tu m'annonces » est vraie, sa vérité peut être mise en évidence » et se démontrer par des raisons invincibles. » Trouve-les ces raisons, pourquoi me harceler >> par des prodiges, quand tu n'as besoin, pour » me terrasser que d'un syllogisme, » (Pens.phil.)

Toute la salle retentit d'applaudissemens. Quel heureux emploi des termes! disoient quelques

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