certain que phos paroissoient douter de sa dextérité à faire valoir un tel argument. Il est profond , lui direntils ; mais comment lui donner quelques lueurs de vraisemblance. Par un raisonnement semblable on prouveroit à un géomètre qu'il n'est pas bien la somme des trois angles d'un triangle vaut deux angles droits. Nous devons craindre que les Chrétiens ne nous fassent cette rétorsion. Je saurai bien leur en ôter la pensée , répondit le bon Jean-Jacques : je ne vous demande que quelques momens d'attention, et vous apprendrez enfin à me connoître. Ensuite il debita un long morceau d'éloquence, qui n'étoit autre chose que son argument développé, et vingt fois répété. On y trouva ce qui constitue toutes ses objections contre le christianisme. Des deux propositions qui en sont la base, la majeure et la mineure , l'une pour l'ordinaire est vraie , mais étrangère à la question : l'autre tient à son sujet, mais elle est ou fausse ou équivoque. Il glisse légèrement sur celle-ci, il la déguise de son mieux ; souvent même il la supprime : mais il insiste fortement sur la première : il la tourne dans tous les sens; il la présente sous vingt faces différentes : il l'abandonne, il у revient ; chemin faisant, il prodigue les mouvemens et les figures oratoires; et tout ce manège fini, il tire sa conclusion, ou si cela lui convient mieux, il la laisse tirer à son lecteur, qui tout étourdi de ce fatras و : preuves? philosophique, croit ou veut croire qu'il a prouvé quelque chose. Cet art dans lequel il se montra profond fut admiré de nos sages. Eh bien ! leur dit-il, vous ai-je fait des promesses vaines ? sais-je donner à mes objections contre le christianisme une force à laquelle on est loin de s'attendre ? La trempe de mes armes est excellente sans doute : mais ce qui assure leur triomphe, c'est surtout la vigueur et l'adresse avec laquelle je les manie. En voulez - vous d'autres Très-volontiers. Je vais vous satisfaire. J'accuse hautement les Chrétiens de prétendre que la partie est plus grande que le tout, d'exiger que nous renoncions à notre entendement pour embrasser leur religion , de donner pour toute preuve de leur croyance des phrases incohérentes et même incomplètes, d'être hors d'état de nous répondre autrement que par des injures. ( Prof. de foi.) — Voilà, s'écrie de nouveau d'Alembert, de bonnes pierres jetées à l'infdme. — Vous avez raison , reprit Rousseau : mais ces pierres d'où tįrent - elles leur principale force ? D'où vient qu'elles foudroient, qu'elles écrasent , qu'elles pulvérisent? C'est que je les lance avec une roideyir qui tient du prodige ; c'est qu'en homme consommé dans mon art, je mets habilement en jeu les plus puissantes machines de la philosophie. » que O bon Jean-Jacques , s'écria-t-on, quel droit vous aurez à sa reconnoissance! Vous allez donc enfin démontrer, et porter jusqu'à l'évidence la vérité de ces inculpations. Démontrer! reprit le philosophe, ah! je prends bien un autre tour. Un inspiré s'avance sur la scène; et là parlant à un raisonneur au nom des Chrétiens qu'il représente; « la raison , dit-il, » vous apprend que le tout est plus grand que sa » partie, mais moi je vous apprends de la part » de Dieu, que c'est la partie qui est plus grande le tout. » Venant ensuite aux preuves : « des changemens dans l'ordre de la nature , des » prophéties, des miracles, des prodiges de toute » espèce. » Et plus bas: «des nuées de témoins.... » Le témoignage des peuples ..... » (*) Bientôt poussé à bout par le raisonneur , comme cela doit être; « satellite du démon , lui dit-il , pour» quoi les prophéties ne font-elles pas autorité » pour vous ? » La voix alors lui manque : il se tait , et laisse son adversaire le ramener paisiblement à la raison, et dissiper tout le fatras de ses phrases d'oracle par une vérité bien simple et qui saute aux yeux de tout le monde : c'est celle que je vous ai déjà fait connoître , qu'on ne peut (*) Ces mots incohérens sont rapportés ici tels qu'on les lit dans le dialogue de l'inspiré et du raisonneur. On n'en a rien retranché. C'est avec de telles phrases , selon Rousseau , que nous prouvons notre religion. Ya être assuré d'une prophétie et de son accomplissement qu'autant qu'on a été soi - même témoin oculaire de l'un et de l'autre. (*) (Prof. de foi.) El bien ! que vous en semble ? vous venez d'entendre ce ton d'énergumène dans lequel il est facile de reconnoître les prédicateurs et les défenseurs de l'Evangile. Vous avez entendu aussi cet aveu important arraché enfin aux Chrétiens , qu'ils contredisent dans leurs dogmes les premiers principes, qu'ils abjurent la raison et même l’honnêteté et la décence. Ils sont forcés d'en convenir: tout cela est accablant pour eux. Parmi les auditeurs de Rousseau, les uns étoient dans l'admiration ; d'autres crurent devoir lui demander quelques éclaircissemens : voilà qui est excellent pour nous, dirent-ils, mais on rencontre quelquefois des lecteurs un peu difficiles ; qui les assurera que votre inspiré exprime fidèlement les principes et les raisons de ceux qu'il représente? Qui ? répondit Rousseau ; un de leurs prêtres : et quel prêtre encore ? Ah ! quelle ame forte ! comine il plane au-dessus de tous les préjugés ! comme il est loin de la stupidité qui caractérise la croyance et la conduite de ses confrères ! il dit la messe comme eux, et même très - religieusement: mais ne vous imaginez pas qu'il ait comme (*) Voyez ce qui a été dit sur cette phrase dans le chapitre XIII, pag. 311. eux la sottise d'y croire : comme eux , il s'est imposé des privations que la nature condamne ; mais conservant , en vrai philosophe, au milieu de ses engagemens, une liberté que ces imbéciles ne connoissent pas ; sentant qu'en s'obligeant de n'être pas homme , il a promis plus qu'il ne pouvoit tenir , il répare de son mieux l'outrage qu'il a fait à la nature. Sa conscience guidée par l'expérience, calcule au juste les cas où on peut lui céder sans crime : et sûr alors de ne pas se tromper, il s'abandonne en sage à tout à ce qu'elle lui prescrit, toutefois en évitant le scandale et en respectant toujours le lit d'autrui ; car, quoique philosophe, je n'entends pas raillerie sur l'article de l'adultère. A l'exemple des aufres prêtres, ce digne vicaire prèche le catholicisme; mais en même-temps, comme par un effet de cette raison éclairée qui l'élève au-dessus d'eux, i approuve des dogmes contraires à ceux de son Eglise; il conseille à un jeune protestant qui s'étoit fait catholique , de reprendre la religion de ses pères , parce qu'il la croit de toutes les religions qui sont sur la terre , celle dont la morale est la plus súre, et dont la raison se contente le mieux : au demeurant bon, sage, vraiment Chrétien, et le catholique le plus sincère qui peut-être ait jamais existé. C'est cet honnête ecclésiastique , ce vénérable prêtre, cet homme de paix, qui, au mépris de toutes les bienséances, |