Images de page
PDF
ePub

être assuré d'une prophétie et de son accomplissement qu'autant qu'on a été soi-même témoin oculaire de l'un et de l'autre. (*) (Prof. de foi.)

Eh bien que vous en semble ? vous venez d'entendre ce ton d'énergumène dans lequel il est facile de reconnoître les prédicateurs et les défenseurs de l'Evangile. Vous avez entendu aussi cet aveu important arraché enfin aux Chrétiens qu'ils contredisent dans leurs dogmes les premiers principes, qu'ils abjurent la raison et même l'honnêteté et la décence. Ils sont forcés d'en convenir: tout cela est accablant pour eux.

Parmi les auditeurs de Rousseau, les uns étoient dans l'admiration ; d'autres crurent devoir lui de; mander quelques éclaircissemens

voilà qui est

excellent pour nous, dirent-ils, mais on rencontre quelquefois des lecteurs un peu difficiles ; qui les assurera que votre inspiré exprime fidèlement les principes et les raisons de ceux qu'il représente ?

Qui ? répondit Rousseau ; un de leurs prêtres : et quel prêtre encore? Ah! quelle ame forte ! comme il plane au-dessus de tous les préjugés ! comme il est loin de la stupidité qui caractérise. la croyance et la conduite de ses confrères ! il dit la messe comme eux, et même très - religieusement: mais ne vous imaginez pas qu'il ait comme

(*) Voyez ce qui a été dit sur cette phrase dans le chapitre XIII, pag. 311.

[ocr errors]

eux la sottise d'y croire : comme eux, il s'est imposé des privations que la nature condamne; mais conservant en vrai philosophe, au milieu de ses engagemens, une liberté que ces imbéciles ne connoissent pas; sentant qu'en s'obligeant de n'être pas homme, il a promis plus qu'il ne pouvoit tenir, il répare de son mieux l'outrage qu'il a fait à la nature. Sa conscience guidée par l'expérience, calcule au juste les cas où on peut lui céder sans crime: et sûr alors de ne pas se tromper, il s'abandonne en sage à tout ce qu'elle lui prescrit, toutefois en évitant le scandale et en respectant toujours le lit d'autrui ; car, quoique philosophe, je n'entends pas raillerie sur l'article de l'adultère. A l'exemple des autres prêtres, ce digne vicaire prêche le catholicisme; mais en même-temps, comme par un effet de cette raison éclairée qui l'élève au-dessus d'eux, il approuve des dogmes contraires à ceux de son Eglise; il conseille à un jeune protestant qui s'étoit fait catholique, de reprendre la religion de ses pères, parce qu'il la croit de toutes les religions qui sont sur la terre, celle dont la morale est la plus sûre, et dont la raison se contente le mieux au demeurant bon, sage, vraiment Chrétien, et le catholique le plus sincère qui peut-être ait jamais existé. C'est cet honnête ecclésiastique, ce vénérable prêtre, cet homme de paix, qui, au mépris de toutes les bienséances,

parlant comme jamais prêtre catholique n'a parlé, mettra aux prises l'inspiré que vous venez d'entendre, et le raisonneur par lequel cet inspiré est si bien confondu, pour voir ce qu'ils pourront se dire dans cette dpreté de langage ordinaire aux deux partis. Ensuite, ajoutant d'un ton vraiment pénétré: voila bien des difficultés, mon enfant, il rendra du fond du cœur ce témoignage irrécusable que tel est le langage de ceux de sa secte. (Prof. de foi, et 2.me lett. de la mont.)

Ah! s'écrièrent les hommes sensibles, ce dernier trait est touchant et va au cœur; il porte la conviction avec lui. Cela est vrai, dirent d'autres philosophes: mais il donne lieu à une seconde question. Qui est-ce qui garantira au lecteur l'existence et le témoignage de ce prêtre si savant et si vertueux?

Moi-même, leur répondit Rousseau; moi, qui par une modestie qu'on ne peut trop louer, me mettrai à couvert sous ce nom imposant. Voici ce qu'on lira immédiatement avant la Profession de foi de mon vicaire savoyard: << au lieu de » vous dire ici de mon chef ce que je pense, >> vous dirai ce que pensoit un homme qui valoit >> mieux que moi. » Vous l'entendez; mieux que moi, c'est beaucoup; car au jour du jugement je défierai, en présence de Dieu même, l'univers entier de produire un seul homme qu'on puisse

me comparer, et qui ose dire je suis meilleur que cet homme-là. (*)

Les philosophes se regardèrent avec étonnement. Il est fou, disoient les uns ; quelle grande ame! s'écrioient les autres. Pour lui il poursuivit imperturbablement.

« Je garantis, ajouterai-je, la vérité des faits >> qui vont être rapportés. » ( Em., t. 2.) Or ma parole doit suffire : car je déclarerai expressément dans le même endroit que je n'oublierai jamais ma devise; et cette devise est, comme tout le monde sait, vitam impendere vero.

Les philosophes trépignoient de joie. Commé toutes ces idées s'enchaînent, disoient-ils; quel tissu elles forment! L'infame y demeurera enveloppée sans espoir de s'en dégager jamais.

Vous sentez donc, dit Rousseau, combien en philosophie les raisonnemens tirent de force de l'art avec lequel ils sont employés : ce n'est pas le tout que de les découvrir ; il faut encore savoir les présenter et les développer: ce sont deux talens que je possède dans un degré égal.

Au jugement de nos sages, jamais éloge ne fut mieux mérité: ils reconnurent dans Rousseau un logicien des plus adroits ; et d'une voix unanime, ils le placèrent au nombre des grands Dieux de la

(*) C'est ainsi que Rousseau commence ses Confessions. Ce début étonne dans un livre de ce genre: il étonne bien plus encore quand on a lu le livre entier ou seulement quelques pages.

philosophie. Suspendez votre enthousiasme, leur dit le modeste philosophe : vous n'avez pas encore entendu ce qui fait la principale force de mes raisonnemens ; ce sont les paroles touchantes par lesquelles je dois les terminer, et qui en seront comme le sceau. Pour qu'elles produisent plus d'effet, je les mettrai dans la bouche de mon vicaire savoyard.

Ensuite il se recueillit profondément, croisa ses deux bras sur sa poitrine, inclina la tête, et dit d'un ton presque dévot, ces paroles qui sembloient partir du fond de son cœur : « Je prends » à témoin ce Dieu de paix que j'adore, et que je >> vous annonce que toutes mes recherches ont » été sincères ; mais voyant qu'elles étoient, » qu'elles seroient toujours sans succès, et que » je m'abîmois dans un océan sans rives, je suis » revenu sur mes pas, et j'ai resserré ma foi dans >> mes notions primitives. » (Prof. de foi.)

[ocr errors]

Eh bien! ajouta-t-il en reprenant sa première attitude, n'ai-je pas trouvé un moyen sûr de subjuguer mes lecteurs. Je vous l'annonce et ma prédiction ne sera point vaine : cette éloquence pathétique entraînera infailliblement le sot public: c'est ainsi que je l'appellerai. Je le connois; c'est en le traitant avec mépris que je compte l'attacher à mon char.

Ce calcul est sûr, lui dit d'Alembert. << Vous > plairez à la multitude par le mépris que vous » témoignerez pour elle. » ( Lett. à Rouss.)

« PrécédentContinuer »