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Ce sont en effet ces petites grimaces de charlatan plus que les talens réels de Rousseau, qui pendant sa vie et quelques années encore après sa mort, lui ont fait un si grand nombre de prosélites. La justesse et la profondeur de ses vues furent senties par plusieurs de nos philosophes, qui prirent aussitôt la résolution de l'imiter. C'est ce qui nous a valu tant de plates copies d'un assez grotesque original.

Voltaire prévit comme les autres les succès du philosophe de Genève, et il en conçut un dépit mortel. Vous verrez, dit-il en lui-même, que ce gredin partagera un jour mon trône philosophique. Cependant comme Rousseau lui donnoit le nom de grand-homme, qu'il montroit la plus grande déférence à ses lumières, (Lett. sur la prov.) qu'il sembloit attendre de lui une célébrité après laquelle il soupiroit et dont il ne jouissoit pas encore, que d'ailleurs il pouvoit être d'un grand secours à la bonne cause, il dissimula quelque temps sa jalousie et sa haine, et il continua même à le protéger.

CHAPITRE XVI.

Quatrième séance. — Comment les philosophes attaquent la morale du christianisme.

DANS la séance suivante, la doctrine du chris tianisme attira l'attention de nos sages. Ce fut le moment de leur plus violent embarras. La morale de l'Evangile étoit l'objet spécial de leur haine ; et c'étoit précisément cette morale qu'ils soient le moins attaquer le secret de leurs cœurs eût été trop promptement dévoilé. Loin de gagner le public, ils l'auroient révolté et éloigné d'eux peutêtre pour toujours. Il fut décidé qu'ils attendroient, pour porter les grands coups, que l'empire de la philosophie fût mieux établi, ou plutôt qu'ils laisseroient cette fonction à leurs successeurs. Nous avons vu depuis avec quelle chaleur et quelle énergie l'auteur de la Religion universelle et d'autres philosophes de nos jours ont rempli leur attente. (*)

Mais quoi! s'écrièrent-ils plus furieux qu'ils ne l'avoient encore été, laisserons - nous subsister cette terrible morale ? elle déposera contre nous en faveur de la religion que nous voulons renverser. Il y a un moyen de parer ce coup, répondirent quelques philosophes qui pensoient avee

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(*) On en verra bientôt des preuves.

profondeur. Donnons-lui les plus grands éloges. -Fi donc qui? nous! nous deviendrions les vils panégyristes de l'infdme? - Point du tout: en rendant hommage à sa morale, nous aurons soin de déclarer que nous l'aurions facilement trouvée nous-mêmes par les seules forces de notre raison. Où est donc, dirons-nous ensuite avec confiance, le grand mérite de l'Evangile ? Ce livre n'est que ce qu'il doit être, et ce que seroit à sa place tout autre livre de philosophie. Le public nous croira et nous triompherons. Cet expédient seroit fort bon, s'il ne s'agissoit que des intérêts de notre gloire mais vous savez pourquoi nous sommes philosophes. La morale de l'Evangile demeurera; elle recevra même de nos suffrages une nouvelle autorité : tout le fruit de nos travaux sera perdu. Laissez cette crainte, ou si vous l'aimez mieux, ce sot espoir à ceux qui ne connoissent pas l'esprit de la philosophie, elle embrassera sa rivale, mais ce sera pour l'étouffer.

-

Et comment? C'est là un de ses chefsd'œuvres. Ne voyez-vous pas qu'en réclamant pour nous la morale de l'Evangile, de chrétienne nous la rendrons philosophique? Par ce tour adroit, elle se verra dépouillée de son autorité et des motifs qui peuvent porter les hommes à la mettre en pratique au fond, ce sera la détruire. En second lieu, où est son principal · appui? Dans le cœur c'est un fort dont nous

saurons bien la chasser: nous en avons tant de moyens alors il faudra bien qu'elle succombe sous nos coups. Enfin il est impossible qu'elle nous échappe. Nous ne déclarerons pas, il est vrai, une guerre ouverte à ses maximes, ce seroit manquer d'adresse, mais tout doucement nous en insinuerons d'autres que les passions trouveront bien plus accommodantes. Celles-ci s'établiront insensiblement, et bientôt nous les verrons régner sans obstacle.

trop

Le succès de ce plan parut infaillible: il fut adopté à l'unanimité, et bientôt après mis en exécution. Mais aucun ne montra une fidélité plus le que constante et plus perfide à le suivre fameux Rousseau. Quoi de plus magnifique que les éloges qu'il a faits jusqu'à sa mort de la morale de l'Evangile! Quoi de plus opposé à cette morale que celle qu'il a répandue dans plusieurs de ses ouvrages, que celle surtout dont il a rempli son infâme roman, le plus pernicieux sans contredit de tous ceux qui existent, et en même temps le plus extravagant; la diction et quelques lettres étant mises à part. ( Voy. le cours de litt. de La Harpe, t. 16, part. 1, pag. 343.)

Cependant un philosophe se lève : il venoit de faire une importante découverte depuis longtemps, dit-il, je tourne et retourne dans ma tête un principe qui, employé à propos, nous délivrera le plus heureusement du monde de la morale du christianisme. Le voici :

<< Toute loi naturelle est une loi divine. Lors» qu'on croit trouver quelque contradiction entre >> une loi religieuse et la loi naturelle, on peut ju»ger que la loi qu'on appelle religieuse est mal >> entendue ou qu'elle n'est pas religieuse. C'est >> aux ministres de la religion à prouver que leur » loi religieuse est conforme à la loi naturelle. » (Publ. sept. 1806.)

Eh bien! où voulez-vous en venir?

Ne le voyez-vous pas ? Nous accuserons les prêtres d'avoir un enseignement contraire à la loi naturelle; vous donnez donc, leur dirons-nous, un faux sens aux lois que vous appelez religieuses. Nos lecteurs nous croiront, et pour achever de dissiper leurs doutes, s'il leur en reste encore, nous expliquerons nous-mêmes ces lois. Soyez sûrs qu'ils ne balanceront pas un instant entre nos interprétations et celles des prêtres.

- Admirable! voilà une arme à deux tran

chans; d'un seul coup, nous convaincrons les prêtres d'ignorance, et à l'ombre de l'Evangile, nous établirons les premières maximes de la philosophie.

C'est cela même. Ou nous serons bien maladroits, ou la multitude de nos lecteurs admettra avec empressement notre nouvelle morale. Elle sera pour eux la véritable loi naturelle qui a été inconnue jusqu'à ce jour; ensuite la comparant vec la loi de l'Evangile, ils reconnoîtront sans

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