profondeur. Donnons-lui les plus grands éloges. - Fi donc : qui ? nous nous deviendrions les vils panegyristes de l'infdme ? Point du tout : en rendant hommage à sa morale , nous aurons soin de déclarer que nous l'aurions facilement trouvée nous-mêmes par les seules forces de notre raison. Où est donc, dirons-nous ensuite avec confiance, le grand mérite de l'Evangile ? Ce livre n'est que ce qu'il doit être, et ce que seroit à sa place tout autre livre de philosophie. Le public nous croira et nous triompherons. Cet expédient seroit fort bon, s'il ne s'agissoit que des intérêts de notre gloire : mais vous savez pourquoi nous sommes philosophes. La morale de l'Evangile demeurera; elle recevra même de nos suffrages une nouvelle autorité : tout le fruit de nos travaux sera perdu. Laissez cette crainte, ou si vous l'aimez mieux, ce sot espoir à ceux qui ne connoissent pas l'esprit de la philosophie, elle embrassera sa rivale , mais ce sera pour l'étouffer. Et comment ? C'est là un de ses chefsd'auvres. Ne voyez - vous pas qu'en réclamant pour nous la morale de l'Evangile, de chrétienne nous la rendrons philosophique ? Par ce tour adroit , elle se verra dépouillée de son autorité et des motifs qui peuvent porter les hommes à la mettre en pratique : au fond, ce sera la détruire. En second lieu , où est son principal appui? Dans le cæur : c'est un fort dont nous il est ce se saurons bien la chasser: nous en avons tant de moyens ! alors il faudra bien qu'elle succombe sous nos coups. Enfin il est impossible qu'elle nous échappe. Nous ne déclarerons pas , vrai , une guerre ouverte à ses maximes roit manquer d'adresse, mais tout doucement , nous en insinuerons d'autres que les passions trouveront bien plus accommodantes. Celles - ci s'établiront insensiblement, et bientôt nous les verrons régner sans obstacle. Le succès de ce plan parut infaillible: il fut adopté à l'unanimité, et bientôt après mis en exécution. Mais aucun ne montra une fidélité plus constante et plus perfide à le suivre que le trop fameux Rousseau. Quoi de plus magnifique que les éloges qu'il a faits jusqu'à sa mort de la morale de l'Evangile ! Quoi de plus opposé à cette morale que celle qu'il a répandue dans plusieurs de ses ouvrages , que celle surtout dont il a rempli son infâme roman, le plus pernicieux sans contredit de tous ceux qui existent, et en même temps le plus extravagant; la diction et quelques lettres étant mises à part. ( Voy. le cours de litt. de La Harpe, t. 16, part. I, pag. 343.) Cependant un philosophe se lève: il venoit de faire une importante découverte : depuis longtemps, dit-il, je tourne et retourne dans ma tête un principe qui, employé à propos, nous délivrera le plus heureusement du monde de la morale du christianisme. Le voici : « Toute loi naturelle est une loi divine. Lors» qu'on croit trouver quelque contradiction entre » une loi religieuse et la loi naturelle, on peut ju» ger que la loi qu'on appelle religieuse est mal » entendue ou qu'elle n'est pas religieuse. C'est » aux ministres de la religion à prouver que leur » loi religieuse est conforme à la loi naturelle. » (Publ. sept. 1806.) -Eh bien ! où voulez-vous en venir ? – Ne le voyez-vous pas ? Nous accuserons les prêtres d'avoir un enseignement contraire à la loi naturelle ; vous donnez donc, leur dirons-nous, un faux sens aux lois que vous appelez religieuses. Nos lecteurs nous croiront, et pour achever de dissiper leurs doutes, s'il leur en reste encore, nous expliquerons nous-mêmes ces lois. Soyez sûrs qu'ils ne balanceront pas un instant entre nos interprétations et celles des prêtres. Admirable! voilà une arme à deux tranchans ; d'un seul coup , nous convaincrons les prêtres d'ignorance, et à l'ombre de l'Evangile , nous établirons les premières maximes de la philosophie. C'est cela même. Ou nous serons bien maladroits, ou la multitude de nos lecteurs admettra avec empressement notre nouvelle morale. Elle sera pour eux la véritable loi naturelle qui a été inconnue jusqu'à ce jour; ensuite la comparant vec la loi de l'Evangile, ils reconnoîtront sans peine que celle-ci en diffère essentiellement : ils la rejèteront comme outrée, rebutante, fausse et démentie par tous les sentimens de la nature. Elle est véritablement tout cela , dit l'auteur des Moeurs ; en voici la preuve dans un petit conte fort réjouissant : écoutez-le; je n’omettrai aucune de ses circonstances : elles sont toutes extrêmement intéressantes pour la bonne cause. « Orgon avoit pour compagne unique sa fille » Philothée : (vous savez que Philothée en grec » veut dire qui aime Dieu.) Il tombe en syncope: > sa fille lui fait respirer de l'eau des carmes qui » ne le soulage point. Cependant l'heure de l'of» fice pressoit. Philothée recommande son père » à Dieu et à sa servante, prend sa coiffe et ses » heures, et court aux grands Augustins. L'office » fut long : c'étoit un salut de confrérie. Orgon » meurt sans secours, sans qu'on se soit même » aperçu de son dernier moment. Qu'on l'eut «'étendu et réchauffé , son accident n'étoit rien. » Orgon vivroit encore si sa fille eût manqué le » salut ; mais Philothée avoit cru que le son des » cloches étoit la voix de Dieu qui l'appeloit ; et » que c'étoit faire une action héroïque que de » préférer l'ordre du Ciel au cri du Aussi » de retour , fit-elle généreusement à Dieu le sa» crifice de la vie de son père, et crut sa dévotion » d'autant plus méritoire qu'elle lui avoit coûté >> davantage. » du sang. A Oh! l'infáme, crièrent tous les philosophes , que c'est à bon droit que nous avons donné ce nom au christianisme ! Ministres de la religion , prouvez maintenant que la loi religieuse observée par Philothée est conforme à la loi naturelle. Cette historiette en amena une foule d'autres toutes semblables à celle de l'auteur des Moeurs: chacun fit la sienne. C'en est fait, dirent-ils ensuite , de la morale chrétienne, il est démontré qu'elle éteint dans les cours les sentimens les plus précieux de la nature. Et croyez-vous, dit un sage moins échauffé que les autres et un peu pusillanime, que cet ingénieux tour d'adresse ait tout le succès qu'il mérite d'avoir ? Pourquoi non ? - Je crains une objection que peuvent nous faire les Chrétiens. L'Évangile, diront-ils, a en horreur la prétendue religion de cette fausse Philothée. Il ordonne å un homme « qui est sur le point de faire son » offrande à l'autel , et qui se souvient que son » frère a quelque chose contre lui , de laisser-là » son offrande devant l'autel , d'aller se réconci lier auparavant avec son frère, et de venir après » cela présenter son offrande, m (Matt., c.5, v. 23 et 24) Si telle est la conduite qu'il prescrit à l'égard d'un ennemi qui n'est pas en danger , et qui peut attendre, à plus forte raison veut - il qu’on manque un office pour secourir un père évanoui. |