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CHAPITRE XVII.

Suite du même sujet. Nouvelles attaques

livrées à la morale du christianisme.

J'INTERROMPS, mon cher Belmont, le récit de ce qui se passa dans la quatrième séance de nos sages, pour vous rapporter un fragment d'un entretien que j'ai eu avec ce philosophe si exalté et si enthousiaste dont je vous ai déjà parlé. Ce fragment m'a paru nécessaire pour achever de vous faire connoître la manière dont les écrivains

de sa secte attaquent la morale du christianisme.

Ce philosophe se nomme Valcourt. Si vous communiquez à quelques personnes le recueil que je vous adresse, peut-être ces personnes seront tentées de croire que l'entretien que je vais mettre sous vos yeux, et un autre que je vous rapporterai dans la suite, sont de mon invention; et voyant que Valcourt ne débite que des inepties, elles conclueront que j'ai voulu marcher sur les traces de Rousseau, de Voltaire, et de plusieurs de leurs disciples, qui dans leurs livres font jouer aux Chrétiens un rôle si ridicule et si niais. Un tel jugement seroit bien injuste. Qu'on regarde, si l'on veut, ces entretiens comme une fiction; je ne m'y oppose pas : mais je prie de considérer que Valcourt ne dit rien de lui-même ; il ne fait

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qu'exposer les opinions des philosophes, et les conséquences qui en découlent. Si on les trouve absurdes, tant pis pour ceux qui en sont les inventeurs. Ce sont eux que Valcourt représente: c'est sur eux que retombent tous les traits qui sont lancés contre lui. Il n'en est pas de même de l'inspiré de Rousseau, du père Nicodème de Voltaire, et de tous les Chrétiens qu'on introduit avec tant de mauv aise foi comme interlocuteurs dans

les ouvrages philosophiques. On leur fait dire force sottises et force extravagances que le christianisme n'a jamais enseignées. Ces interlocuteurs ne représentent donc aucun personnage réel : ce sont purement des êtres d'imagination tout ce qu'on prouve contre eux est étranger au christianisme. C'est une platte bouffonnerie de nos philosophes qui peut en imposer aux ignorans, mais qui excite l'indignation et la risée de toutes les personnes instruites.

Cette petite observation n'est pas hors de propos. A la vérité, l'objection que je crains est peu importante en elle-même, mais elle peut frapper certains esprits qui manquent d'attention : il étoit bon de la détruire d'avance. Je reviens maintenant à mon sujet.

A l'époque où j'eus avec Valcourt l'entretien que vous allez lire, mes opinions sur la philosophie étoient déjà fixées ; mais je me gardois bien de lui en faire confidence: la prudence ne le per

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mettoit pas. Si j'avois cessé de dissimuler avec lui, j'aurois manqué mon but qui étoit de m'instruire par la bouche d'un des plus zélés partisans de la philosophie, de tout ce qu'elle enseigne d'absurde et de révoltant. Comme il ne soupçonnoit pas les dispositions où j'étois, il continuoit à me témoigner la plus grande confiance. A son ordinaire, il me débitoit avec emphase toutes les sottises dont la philosophie fait son éternelle et insipide pâture. Je ne vous les rapporterai pas ici, parce qu'elles sont connues de tout le monde; et que dans le cas où vous les ignoreriez, rien n'est plus facile que de vous en instruire à fond. Le premier livre de nos philosophes qui tombera entre vos mains, ou seulement un quart-d'heure de conversation avec un d'entr'eux, quel qu'il soit, vous rendra à cet égard aussi savant qu'ils le sont euxmêmes.

Dans l'entretien dont je vais transcrire une partie, Valcourt s'étendit avec complaisance et aussi long-temps qu'il lui fut possible sur la Saint-Barthélemi, sur le massacre des Cévennes, sur la révocation de l'édit de Nantes, sur l'inquisition, sur les démêlés de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, sur les anciennes prétentions de la cour de Rome, sur les prêtres qui déshonorent leur état, sur le fanatisme, sur l'appui que, selon les philosophes, le christianisme prète au despotisme, et en général sur tous ces

intarissables lieux communs, où depuis soixante ou quatre-vingts ans, ceux qu'il appelle ses maîtres n'ont cessé de puiser une ample matière à tous leurs livres et à tous ces discours qu'on nous débite encore aujourd'hui comme quelque chose de nouveau et de solide.

Ces diatribes firent peu d'impression sur moi: la force qu'elles pouvoient avoir autrefois étoit affoiblie ; leur pointe étoit émoussée je m'étois instruit. Je laissai parler tranquillement mon docteur sans le contredire son discours fut long, car en combien de manières ne redit-il pas les mêmes choses! Mais enfin il se tut; parce que selon la remarque de Montesquieu sur un sujet semblable, il n'y a pas dans le monde de mouvement perpétuel. Après qu'il se fut applaudi luimême assez long-temps de son grand esprit et de son vaste savoir, je pris enfin la parole. On ne peut, lui dis-je, qu'admirer l'extrême sagacité de votre philosophie à découvrir les abus et les crimes qui souillent l'histoire du christianisme. Rien de plus éloquent que les peintures multipliées que vous en faites c'est l'amour de l'humanité qui vous les inspire. Mais excusez ma foiblesse et mon ignorance. Je ne vois pas bien clairement le lien qui unit les horreurs dont vous venez de m'entretenir avec la morale de l'Evangile. Cette morale est si belle au jugement de plusieurs de nos philosophes! Comment a-t-elle pu produire des effets aussi monstrueux ?

VALCOURT. Si belle? Auriez-vous la sottise de vous laisser pénétrer de quelques sentimens d'admiration pour l'Evangile? Je ne vous le conseille pas vous n'auriez jamais l'estime du savant auteur de la Religion universelle. Ah! le grand philosophe! écoutez l'idée qu'il nous donne de l'histoire du prétendu fondateur du christianisme. << C'est une triste légende moins ingénieuse et » moins amusante que celle d'Adonis. Elle se >> ressent un peu du caractère des sectes austères » de la Judée, et ne brille pas surtout par l'esprit. >> L'oreille du Juif s'y montre un peu. » ( Tit. 5, pag. 152, édit. in-8°. ) Or dans notre langage, l'oreille du Juif, c'est tout dire. Elle perce, cette oreille, jusque dans la morale de l'Evangile, morale absurde et exécrable, s'il en fut jamais.

PONVAL. Rousseau n'en jugeoit pas ainsi. « La » majesté des écritures m'étonne, dit-il, dans sa » Profession de foi; la sainteté de l'Evangile » parle à mon cœur. Voyez les livres des philoso>> phes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits » près de celui-là !..... Je ne sais, dit-il ailleurs (3.me lett. de la mont.) pourquoi l'on veut at>>tribuer aux progrès de la philosophie la belle >> morale de nos livres. Cette morale tirée de » l'Evangile étoit chrétienne avant d'être philoso» phique..... L'Évangile est, quant à la morale, le » seul livre toujours sûr, toujours vrai, toujours >> unique, toujours semblable à lui-même. »

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