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» homines, dirai-je, ne font que dégrader Dieu » en lui donnant les passions humaines. Loin » d'éclaircir les notions du grand être, je vois » que les dogmes particuliers les embrouillent : » que lo de les ennoblir, ils les avilissent, » qu'aux mystères inconcevables qui l'environ» nent, ils ajoutent des contradictions absurdes; > qu'ils rendent l'homme orgueilleux, intolé>> rant, cruel; qu'au lieu d'établir la paix sur la » terre, ils y portent le fer et le feu. » Ensuite le cœur oppressé d'un spectacle si déchirant, j'ajouterai : « je me demande à quoi bon tout cela? » sans savoir me répondre. Je n'y vois que les >> crimes des hommes et les misères du genre » humain. » (Prof. de foi.) Je connois mes lecteurs, ils ne résisteront pas à ce petit trait de pathétique. D'ailleurs ils seront prévenus de ne pas se défier de moi. « Lecteurs, leur dirai-je avant » que de commencer, ne craignez pas de moi » des précautions indignes d'un ami de la vérité. » Je n'oublierai jamais ma devise. » (Em., t. 3.) Les philosophes prenoient plaisir à entendre Rousseau, ce qui l'engagea à continuer.

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<< Si la doctrine qu'on nous annonce comme » venant de Dieu, dirai-je encore, ne nous ap>> prenoit que des choses absurdes, et sans raison; » si elle ne nous inspiroit que des sentimens d'a>> version pour nos semblables et de frayeur pour >> nous-mêmes ; si elle ne nous peignoit qu'un

» Dieu colère, jaloux, vengeur, partial, haïs» sant les hommes, un Dieu de la guerre et des > combats, toujours prêt à détruire et foudroyer, >> toujours parlant de tourmens, de peines, et se >> vantant de punir même les innocens, mon cœur » ne seroit point attiré vers ce Dieu terrible, et >> je me garderois de quitter la religion naturelle » pour embrasser celle-là. » ( Profess. de foi. )

Vous sentez tout l'avantage de cette logique, poursuivit Rousseau. Les lecteurs intelligens me comprendront sans peine. Quant aux Chrétiens, que pourront-ils me dire? Je parle par hypothèse, et d'ailleurs il s'agit ici des révélations des hommes, et non pas de la leur que je respecte et admets comme divine, quoique la chose ne soit pas prouvée pour moi. (Lett. à M. de Beaum.)

Rousseau sourit en prononçant ces dernières paroles, et reprenant aussitôt son ton de gravité. Ainsi, dit-il, mes adversaires se verront pris pour dupes; et ma philosophie triomphera.

Mais, ajouta-t-il dans la satisfaction que lui inspiroient les merveilleuses ressources de sa puissante logique, et les applaudissemens qu'elle lui attiroit, là où je compte remporter sur le christianisme une victoire qui ne me sera pas même disputée, c'est dans un dialogue que je supposerai entre un inspiré et un raisonneur, c'est-à-dire, en bon françois, entre un Chrétien et un philosophe. Le premier dira force inepties, dont le

second rira ou qu'il réfutera facilement. Les Chrétiens crieront à la calomnie et à la mauvaise foi. Que m'importe ? leur dirai-je froidement, « S'en» suit-il, des inepties que débite un inspiré que » ce soit un catholique ? Vous auriez bien pu, >> ajouterai-je, vous dispenser de vous reconnoî» tre à un langage si plein de bile et de déraison; » car vous n'aviez pas encore écrit contre moi. » (Lett. à M. de Beaum.) Cet excellent trait épigrammatique mettra les rieurs de mon côté.

C'est le point essentiel dans la cause que nous défendons, s'écrièrent les philosophes. Faisons rire nos lecteurs, et la victoire sera pour nous. Oui: dirent Voltaire et d'Alembert. « Moquons nous de tout encore une fois, moquons-nous » de tout; il n'y a que cela de solide. » C'est là notre éternel refrein. - Moquons-nous de tout, répétèrent les philosophes.

CHAPITRE XIX.

Suite de la quatrième séance. Objections des philosophes contre les mystères du christianisme.

Vous avez raison, reprit Rousseau, rions et faisons rire nos lecteurs. C'est la méthode que je me propose de suivre dans l'excellent dialogue dont je viens de concevoir l'idée. Je vous promets de le rendre extrêmement plaisant. Mais savezvous sur quoi je compte attirer d'abord l'attention

des rieurs? Sur les mystères que le christianisme à notre foi.

propose

A ce nom de mystères, nos sages poussèrent un cri de joie qui fut entendu au loin. L'infáme est à bas, disoient-ils tout transportés et hors d'eux-mêmes, nous avons enfin découvert son talon d'Achille. Dirigeons là tous nos traits : ce sont les dogmes de la loi naturelle, c'est la morale surtout que notre philosophie veut anéantir. Mais si nous les attaquons trop ouvertement, nous passerons pour des libertins ou pour des apologistes du libertinage. Nous n'avons rien de semblable à redouter dans la guerre que nous déclarons aux mystères : c'est notre raison dans laquelle nous avons une extrême confiance qui les rejète. On ne verra en nous que les vengeurs, les

restaurateurs de cette raison.

Ensuite ils s'excitèrent mutuellement à bien profiter de tous les avantages que leur position leur promettoit. Il ne faut pas, disoient-ils, qu'un seul de nos coups soit perdu. Le moindre de ceux que nous porterons doit écraser l'infâme, ou nous ne sommes que des imbéciles.

Ces nobles élans furent suivis de quelques momens de silence pendant lesquels nos sages se hâtèrent de recueillir toutes leurs forces. Puis d'un ton triomphant ils proclamèrent une grande vérité qui sans doute étoit demeurée inconnue jusqu'à eux: c'est que les mystères du christianisme

sont incompréhensibles. (*) Les voilà, dirent-ils, jugés sans appel au tribunal de notre raison. Tirons la conséquence: elle saute aux yenx. Notre raison ne comprend pas ces mystères, donc elle doit les rejeter.

Cela ne suffit pas, dit Rousseau. « Le monde > intellectuel, sans en excepter la géométrie, est > plein de vérités incompréhensibles, et pour> tant incontestables. Tel est le dogme de l'exis> tence de Dieu; tels sont les mystères admis > dans les communions protestantes. » ( Lett. à d'Alemb.)

L'assemblée fit un mouvement de surprise et d'indignation. Quoi! dit-on à Rousseau, des ménagemens pour les protestans? Quelle foiblesse ! leurs mystères considérés en eux-mêmes, ne sont pas plus admissibles que ceux qui sont particu liers aux catholiques. Et quand ils le seroient, la philosophie ne peut pas s'en accommoder. Ce sont des têtes de l'infâme, il faut les couper.Aussi est-ce le sort que je leur prépare. Et vous venez de les déclarer invulnérables. C'est un leurre pour mes chers compatriotes auxquels je ne veux pas rompre en visière. Mais cela ne tirera pas à conséquence. Je saurai bien leur faire payer

(*) Pour parler exactement, il auroit fallu dire que les mystères du christianisme sont incompréhensibles pour nous dans cette vie. On a fort bien remarqué que ce ne sont pas des vérités obscures, des vérités voilées.

mais

cher

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