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Quelle abominable doctrine! crièrent les philo sophes. Inculquons bien à nos lecteurs que c'est

celle du christianisme.

Pourra-t-on en douter, dit Rousseau, lorsque je m'écrierai avec le ton de l'indignation? « Le >> moyen de concevoir que Dieu crée tant d'ames > innocentes et pures, tout exprès pour les join» dre à des corps coupables pour leur y faire con>> tracter la corruption morale, et pour les con> damner toutes à l'enfer sans autre crime que >> cette union qui est son ouvrage. » ( Lett. à M. de Beaum.)

Jamais la philosophie ne s'étoit exprimée avec plus de vérité. Rien de plus ridiculement atroce qu'un Dieu qui punit les innocens du crime de leur père, qui donne aux hommes des cœurs coupables, qui les enrichit de certaines facultés, afin de les rendre ensuite plus malheureux, qui crée des ames tout exprès pour leur faire contracter la corruption morale, et pour les condamner à l'enfer; qui les y condamne en effet, sans voir en elles d'autre crime que leur union avec des corps, et ce qui rend l'absurdité complète avec des corps coupables. Il restoit à prouver que c'est là le Dieu des Chrétiens: mais sur ce point tous nos philosophes gardèrent le silence le plus absolu. Ils ne se crurent pas moins assurés du succès; c'en est fait, disoient-ils; l'infáme n'en relèvera pas.

CHAPITRE

CHAPITRE XX.

Fin de la quatrième séance. Suite du même sujet.-Comment les philosophes expliquent l'établissement du Christianisme.-Comment

ils prouvent qu'il est moins sensé que le Mahométisme et le Paganisme.

NON, l'infame n'en relèvera pas, dit un philosophe; je l'en défie: nous avons maintenant un argument irrésistible à opposer aux Chrétiens. Vous nous parlez de mystères, leur dirons-nous; vous oubliez le plus grand de tous ; c'est que vers ait cru à ces mystères.

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Ce trait de lumière frappa toute l'assemblée; voilà s'écria-t-on penser avec profondeur !

Je ne sais, dit un des assistans, si l'on sent comme moi toute l'excellence de cette rétorsion: mais j'y vois une démonstration complète de deux points bien intéressans pour la philosophie, l'extravagance du christianisme et celle du genre humain, portées l'une et l'autre à un excès qui doit paroître incompréhensible. Qui d'entre nous ne sent pas cela? lui répondit-on. - Eh bien! faisons-le donc sentir à nos lecteurs ; ne nous lassons pas de leur remettre sous les

yeux cet épouvantable argument: ils apprendront par là à mépriser le christianisme et leurs semblables.

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Ce conseil fut approuvé et mis sur-le-champ å exécution. L'argument invincible étoit devenu tout-à-coup l'objet des complaisances de nos sages ils le présentèrent sous cent formes différentes, toutes également neuves, toutes d'un goût fort original mais aucune n'égale celle que lui a donnée depuis un de leurs disciples, l'intrépide chantre de la Guerre des dieux. Pour cette raison, je la rapporterai de préférence à toutes les autres. C'est Jésus-Christ qui parle, et qui expose plusieurs détails de sa vie que les évangélistes ont passés sous silence, tant ils étoient ignorans : En vérité, lorsque dans une étable

Ma pauvre mère accoucha sans secours ;
Lorsqu'à vingt ans, oisif et misérable,
Au pain d'autrui j'avois souvent recours;
Lorsqu'avec peine un docteur charitable
M'apprit à lire, et que dans mes leçons
Du roi David j'expliquois les chansons;
Interrogé par Anne le pontife,
Remis ensuite à son gendre Caïphe,
Quand je me vis de fouetteurs entouré,
Par ce Caïphe à Pilate livré,

Par ce Pilate envoyé chez Hérode

Qui vouloit voir le prophète à la mode,
Et par Hérode à Pilate rendu,
Puis sur ma croix tristement étendu ;
Certes alors je ne prévoyois guères
Ce qui m'arrive. On parle de mystères:
Notre succès est le plus grand de tous.

qu'on juge de l'effet que doit produire un tel discours. Nos sages ne se seroient pas élevés à cette pensée heureuse de représenter le fondateur du christianisme étonné de ses succès, et se moquant assez niaisement de ses adorateurs et de lui-même: ce sont des finesses de l'art auxquelles peu d'esprits sont initiés. Néanmoins les raisonnemens qu'ils firent sur ce sujet, quoique moins piquants que ceux de notre poëte, étoient de nature à opérer la persuasion. Ce fut le jugement qu'ils en portèrent. O honte! s'écrièrent-ils par forme de conclusion; comment se peut-il qu'il ait existé des Chrétiens? Comment se peut-il qu'il en existe encore étendue de la sottise humaine! ó sceptre d'ignorance, combien tu pèses sur la tête du vulgaire imbécile !

Un seul d'entr'eux ne prenoit aucune part à ces cris de triomphe: il sembloit même les écou→ ter d'un air chagrin. On lui en demanda la raison; votre dernière objection contre le christianisme est ingénieuse, dit-il, mais je ne la crois pas aussi décisive qu'elle peut vous le paroître. Pour quelle raison? - Otez de cette objection, nous diront les Chrétiens, la bassesse des termes, les tours burlesques, et le ton d'indécence et de bouffonnerie qui y règnent, et n'en laissez subsister

e le fond; elle devient une des plus fortes preuves que nous puissions donner de la divinité de notre religion.

Ah! ah! voilà un plaisant paradoxe. Nous sommes curieux d'apprendre comment ils s'y prennent pour le prouver.

Apparemment, dit Rousseau avec un sourire amer, que recourant à la méthode que nous ne cessons de leur reprocher, ils entreprennent de nous convaincre sans se servir de la raison. (Prof. de foi.)

Vous en jugerez, reprit le philosophe, mais voici un raisonnement que j'ai entendu et qui mérite toute l'attention de la philosophie.

Un instinct m'a poussé dans un temple des Chrétiens, comme autrefois Athalie dans celui des Juifs, et de narguer leur Dieu j'ai conçu la pensée.

-Bravo, s'écria-t-on ; c'est là déployer une ame forte. En entrant, j'ai aperçu en chaire un misérable capucin. Ah! comme vous avez dû vous divertir! - C'est bien à quoi je me suis disposé il prêchoit contre les philosophes.

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L'insolent! quoi! un capucin à longue barbe, aux pieds boueux, couvert d'un manteau sale et rembruni, ose s'attaquer à nous? Qui il a eu cette audace. Le sujet de son sermon étoit l'établissement du christianisme. Il est entré dans quelques détails sur nos objections contre la doctrine de l'Évangile. Il faut lui rendre justice; il n'a point cherché à les affoiblir. Après en avoir -exposé la réfutation, il a ajouté: que concluent

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