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Jamais peut-être les métamorphoses que la poésie enfante n'ont mieux éclaté que dans ce passage de Milton; mais ne nous y trompons pas, le trait de Moïse était une vraie création; il avait inventé la pensée et trouvé le sujet du tableau que son imitateur a su peindre. Je le demande à tous, où sont les modèles d'une pareille poésie? et cependant nous ne connaissons encore que la moitié de la scène; Milton, après avoir décrit avec tant de chaleur et d'ame les transports et le délire d'Adam, sait trouver des couleurs nouvelles pour exprimer la pudeur de son amante, et la grâce des chastes plaisirs du premier amour. C'est Adam qui les

retrace en ces termes :

Ève entend mes discours, et quoique Dieu lui-même
L'eût conduite à l'époux qu'elle adore et qu'elle aime,
L'honneur, la dignité, la timide pudeur,
Qui des plus doux transports dissimulent l'ardeur,
Qui rougissant d'aller au-devant des caresses,
Repoussent mollement les plus chastes tendresses,
Et, pour mieux lui céder, combattant le désir,
Par d'amoureux délais augmentent le plaisir,
La retiennent encor; dans sa crainte ingénue
Elle me voit, tressaille et recule à ma vue :
La nature inspirait ses innocens refus;
Je la suis, sa fierté ne me résiste plus.
Le devoir en triomphe, et sa noble innocence
Obéit avec grâce et cède avec décence :

Sa docile pudeur m'abandonne sa main,

Je la prends, je la mène au berceau de l'hymen ;
Fraîche comme l'aurore et rougissant comme elle,
Tout me félicitait en la voyant si belle.

Pour nous ces globes d'or qui roulent dans les cieux
Épuraient leurs rayons et choisissaient leurs feux ;
Les oiseaux par leurs chants, l'onde par son murmure,
A fêter ce beau jour invitaient la nature;

Les coteaux, les vallons semblaient se réjouir,
Les arbres s'incliner, les fleurs s'épanouir;
Zéphyre nous portait ses fleurs fraîches écloses,.
De son aile embaumée il secouait les roses;
Des plus douces vapeurs l'encens délicieux
En nuage odorant s'exhalait vers les cieux.
Dieu lui-même bénit la couche fortunée;
Le rossignol chanta le doux chant d'hyménée;
Et l'étoile du soir, brillant d'un feu plus beau,
Vint du premier hymen allumer le flambeau.

Je t'ai conté mon sort, mon bonheur, mes richesses;
L'Éternel, tu le vois, prodigue de largesses,
Comble ici-bas mes vœux et prévient mes désirs.

Toutefois, je le sens, des terrestres plaisirs, Si j'en excepte un seul, le sentiment s'émousse : Ces fruits semblent moins beaux, et leur saveur moins douce; Déjà je goûte moins le concert des oiseaux,

Le vif émail des fleurs, le murmure des eaux;

Mais Ève est toujours chère à mon ame ravie,

C'est là qu'est mon amour, mon bonheur et ma vie.

Je brûlai quand je vis ses innocens attraits;

Je brûlai quand son œil lança ses premiers traits;

Je brûle quand ma main touche son corps céleste;

D'un œil indifférent je puis voir tout le reste;
D'un coup-d'œil, d'un souris, quel est donc le pouvoir?
Les droits de la justice, et les lois du devoir,

Au cœur de son époux sont mieux gravés peut-être ;,
Elle ressemble moins au Dieu qui nous fit naître ;
Dieu ne lui donna point cet imposant aspect
Par qui sa noble image imprime le respect :
Mais, je te l'avoûtrai, quand je m'approche d'elle,
Elle me paraît sage à force d'être belle :

Sûre du doux pouvoir qu'elle excrce sur moi,

Ses conseils sont ma règle, et ses yeux sont ma loi.

Cette scène charmante, Milton l'avait déjà peinte dans

son poëme; il a pu se répéter sans rester au-dessous de lui-même : au contraire il s'est montré plus riche et plus passionné encore; sans doute on remarquera avec plaisir quelle est la fraîcheur des pensées et la grâce du style de Milton, quand il sert d'interprète aux femmes. Eve dit les même choses à peu près que son mari, et à peine si on les reconnaît, tant elles ont pris en passant dans sa bouche un charme particulier à son sexe. C'est surtout lorsqu'elle répète les paroles d'amour, que le cœur prête à son langage une expression et une tendresse inimitables; elle ajoute aux discours d'Adam, je ne sais quel accent qui nous fait sentir l'impression qu'elle a éprouvée au moment où l'étonnement, l'ivresse et la prière de son époux lui ont révélé l'empire de sa beauté, ainsi que la destination d'un être que le ciel venait de créer pour que l'homme apprît à aimer.

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O mon guide! ô mon maître!

Toi de qui, toi pour qui l'Éternel m'a fait naître,
Sans qui mon existence est une erreur de Dieu;
Non, nous ne pouvons pas, j'en fais le doux aveu,
Lui payer trop d'encens et de reconnaissance.
Chaque jour nous devons célébrer sa puissance;
Moi surtout, qu'il honore en m'unissant à toi;
Moi, qui jouis de tout en jouissant de toi.
Il épuisa sur toi sa bonté libérale :

Hors de toi, cher, Adam, est-il rien qui t'égale?

J'aime à me rappeler ce mémorable jour,

Ce jour qui commença ma vie et mon amour.

Je dormais sur des fleurs; tout-à-coup je m'éveille,
De mon être inconnu j'admire la merveille;

J'ignore d'où je viens, qui je suis, dans quels lieux ?
J'écoute les objets que regardent mes yeux;
J'entends dans une grotte une onde murmurante :
Elle sort, se déploie en nappe transparente;

Je regarde, et du jour dans son sein répété
Mon œil se plaît à voir la brillante clarté.
De ses bords enchanteurs, sur cette plaine humide,
Je hasarde un regard ignorant et timide :
O prodige! Mon œil y retrouve les cieux.
Une image flottante y vient frapper mes yeux;
Pour mieux l'examiner, sur elle je m'incline;
Et l'image à son tour s'avance et m'examine;
Je tressaille et recule; à l'instant je la voi
S'effrayer, treзsaillir, reculer comme moi.
Je ne sais quel attrait me ramène vers elle;
Vers moi, même penchant aussitôt la rappelle :
Enchantés de la voir, mes yeux cherchent les siens;
Enchantés de me voir, ses yeux cherchent les miens ;
Et peut-être en ces lieux ma crédule tendresse
Admirerait encor sa forme enchanteresse,
Si, me désabusant de sa fausse amitié,
Du fond de ce bocage une voix n'eût crié :

Ève, que prétends-tu? Cette image est toi-même.
Une ombre ici te plaît, c'est une ombre qui t'aime ;
Elle vient, elle fuit, et revient avec toi.
Sors de l'illusion, charmant objet, suis-moi :
Viens, je te montrerai, non plus une ombre vaine,
Mais l'être à qui te lie une éternelle chaîne ;
Tu feras son bonheur; et ses empressemens
Paîront d'un doux retour tes doux embrassemens.
Par lui du genre humain sois la mère féconde,
Et de nombreux enfans peuplez tous deux le monde.
Je suivis cette voix : pouvais-je faire mieux?
Par un guide invisible amenée à tes yeux,
Je te vis étendu sous un platane sombre,

Qui sur ton front auguste élargissait son ombre;
J'admirai tes beaux traits, ton air de majesté,
Mais je ne trouvai point dans ta mâle beauté
Ces dehors séducteurs, cette grâce attrayante
Que m'offrait dans les eaux cette image charmante.
Timide, je fuyais; tu courus après moi.

Chère Eve, disais-tu, bannis ce vain effroi!
Sais-tu bien qui tu fuis dans ton erreur extrême?
C'est la chair de ta chair, c'est un autre toi-même;
C'est la moitié de toi, ta plus chère moitié,

C'est l'être à qui ton être est pour jamis lié.
Moi-même à mes dépens t'ai donné l'existence,
Et tout près de mon cœur j'ai choisi ta substance :
Viens trouver ton époux, ton frère, ton ami;
Viens, sans toi je n'existe et ne vis qu'à demi.

Tous les poëtes érotiques ont placé l'amour au milieu des bois et des campagnes. C'est à la campagne que Tibulle veut demeurer avec Délie, la paresse et les vers; c'est-là qu'il veut vivre et mourir en aimant. On a retenu toutes les charmantes descriptions qu'il fait de la solitude où sa maîtresse doit être pour lui l'univers :

Tu mihi terrarum requies, tu nocte vel átrá

Lumen, et in solis tu mihi turba locis.

Horace appelle à la campagne les volages objets de ses caprices d'amour; le bon Virgile cachait dans la solitude champêtre sa passion timide et pleine de pudeur. Properce y voulait retenir à jamais la séduisante et légère Cynthie; rien de plus brillant et de plus agréable que la magique retraite que l'imagination de Pétrarque faisait habiter à Laure. L'Herminie du Tasse chez les bérgers arrache de douces larmes. La retraite d'Armide et de Renaud est peuplée d'enchantemens, dont le premier sans doute est le pouvoir de l'amour qui a touché un cœur aussi mobile que celui d'une femme plus inconstante, plus fière de sa beauté, plus occupée de multiplier ses triomphes que la fameuse Hélène. Rien de plus charmant que les projets de solitude du tendre Parny, lorsqu'il veut emmener Éléonore dans une île

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