Jamais peut-être les métamorphoses que la poésie enfante n'ont mieux éclaté que dans ce passage de Milton; mais ne nous y trompons pas, le trait de Moïse était une vraie création; il avait inventé la pensée et trouvé le sujet du tableau que son imitateur a su peindre. Je le demande à tous, où sont les modèles d'une pareille poésie? et cependant nous ne connaissons encore que la moitié de la scène; Milton, après avoir décrit avec tant de chaleur et d'ame les transports et le délire d'Adam, sait trouver des couleurs nouvelles pour exprimer la pudeur de son amante, et la grâce des chastes plaisirs du premier amour. C'est Adam qui les retrace en ces termes : Ève entend mes discours, et quoique Dieu lui-même Sa docile pudeur m'abandonne sa main, Je la prends, je la mène au berceau de l'hymen ; Pour nous ces globes d'or qui roulent dans les cieux Les coteaux, les vallons semblaient se réjouir, Je t'ai conté mon sort, mon bonheur, mes richesses; Toutefois, je le sens, des terrestres plaisirs, Si j'en excepte un seul, le sentiment s'émousse : Ces fruits semblent moins beaux, et leur saveur moins douce; Déjà je goûte moins le concert des oiseaux, Le vif émail des fleurs, le murmure des eaux; Mais Ève est toujours chère à mon ame ravie, C'est là qu'est mon amour, mon bonheur et ma vie. Je brûlai quand je vis ses innocens attraits; Je brûlai quand son œil lança ses premiers traits; Je brûle quand ma main touche son corps céleste; D'un œil indifférent je puis voir tout le reste; Au cœur de son époux sont mieux gravés peut-être ;, Sûre du doux pouvoir qu'elle excrce sur moi, Ses conseils sont ma règle, et ses yeux sont ma loi. Cette scène charmante, Milton l'avait déjà peinte dans son poëme; il a pu se répéter sans rester au-dessous de lui-même : au contraire il s'est montré plus riche et plus passionné encore; sans doute on remarquera avec plaisir quelle est la fraîcheur des pensées et la grâce du style de Milton, quand il sert d'interprète aux femmes. Eve dit les même choses à peu près que son mari, et à peine si on les reconnaît, tant elles ont pris en passant dans sa bouche un charme particulier à son sexe. C'est surtout lorsqu'elle répète les paroles d'amour, que le cœur prête à son langage une expression et une tendresse inimitables; elle ajoute aux discours d'Adam, je ne sais quel accent qui nous fait sentir l'impression qu'elle a éprouvée au moment où l'étonnement, l'ivresse et la prière de son époux lui ont révélé l'empire de sa beauté, ainsi que la destination d'un être que le ciel venait de créer pour que l'homme apprît à aimer. O mon guide! ô mon maître! Toi de qui, toi pour qui l'Éternel m'a fait naître, Hors de toi, cher, Adam, est-il rien qui t'égale? J'aime à me rappeler ce mémorable jour, Ce jour qui commença ma vie et mon amour. Je dormais sur des fleurs; tout-à-coup je m'éveille, J'ignore d'où je viens, qui je suis, dans quels lieux ? Je regarde, et du jour dans son sein répété Ève, que prétends-tu? Cette image est toi-même. Qui sur ton front auguste élargissait son ombre; Chère Eve, disais-tu, bannis ce vain effroi! C'est l'être à qui ton être est pour jamis lié. Tous les poëtes érotiques ont placé l'amour au milieu des bois et des campagnes. C'est à la campagne que Tibulle veut demeurer avec Délie, la paresse et les vers; c'est-là qu'il veut vivre et mourir en aimant. On a retenu toutes les charmantes descriptions qu'il fait de la solitude où sa maîtresse doit être pour lui l'univers : Tu mihi terrarum requies, tu nocte vel átrá Lumen, et in solis tu mihi turba locis. Horace appelle à la campagne les volages objets de ses caprices d'amour; le bon Virgile cachait dans la solitude champêtre sa passion timide et pleine de pudeur. Properce y voulait retenir à jamais la séduisante et légère Cynthie; rien de plus brillant et de plus agréable que la magique retraite que l'imagination de Pétrarque faisait habiter à Laure. L'Herminie du Tasse chez les bérgers arrache de douces larmes. La retraite d'Armide et de Renaud est peuplée d'enchantemens, dont le premier sans doute est le pouvoir de l'amour qui a touché un cœur aussi mobile que celui d'une femme plus inconstante, plus fière de sa beauté, plus occupée de multiplier ses triomphes que la fameuse Hélène. Rien de plus charmant que les projets de solitude du tendre Parny, lorsqu'il veut emmener Éléonore dans une île |