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STANCES.

A MON amour naissant oppose la prudence,
Retiens, retiens, mon cœur, des transports dangereux;
Si j'en crois la raison, quelle horrible souffrance
Peut remplacer bientôt quelques momens heureux!

En vain je m'abandonne à de vives alarmes;
Tu dissipes ma crainte en me parlant d'espoir,
Et la raison vaincue a déposé les armes
Devant le mot flatteur qui détruit son pouvoir.

Séduisante espérance, agréable chimère,
A ton charmant prestige il faut enfin céder :
On a peine à douter d'un bonheur qu'on espère;
Le bonheur qu'on espère, on croit le posséder.

Je n'ai pas, il est vrai, timide en sa présence,
Révélé le secret de mon coeur amoureux;

Je n'ai pas de sa bouche altéré l'innocence,
En voulant la contraindre à quelques doux aveux.

Mais souvent, et bien mieux que la bouche elle-même,
Les yeux parlent au cœur, et savent s'exprimer;
Et si sa bouche encor n'a pas dit : Je vous aime,
Ses

yeux ne m'ont pas dit: Je ne puis vous aimer.

Je ne sais si, charmé de plaire à cette belle,

Pour me persuader j'invente des moyens;

Mais ses yeux m'ont semblé, quand j'étais auprès d'elle, Prendre quelque plaisir à rencontrer les miens.

J'ai cru voir s'échapper de ses lèvres de rose
Un sourire à la fois tendre et plein de douceur;
Il m'était adressé, du moins je le suppose,
Car il vint se cacher dans le fond de mon cœur.

Oui, je sens par l'espoir ma constance affermie,
Allons, allons la voir, l'entendre, lui parler;
Pour la première fois, du nom de mon amie,
Peut-être en rougissant j'oserai l'appeler.

Mais, hélas! si j'aimais une beauté cruelle,
Écoute un jeune amant qui t'implore aujourd'hui,
Amour, des mêmes feux dont il brûle pour elle,
Amour, divin Amour, fais la brûler pour lui.

GABRIEL RICHOMME.

SOCIÉTÉS

LITTÉRAIRES, SAVANTES ET AGRICOLES.

J'AI annoncé qu'il entrait dans le plan dú Mercure, d'accorder une attention spéciale aux productions littéraires qui sont publiées dans toutes les parties de la France. Depuis cette annonce, nous avons reçu de divers départemens des ouvrages que nous soumettrons à un examen impartial. Je parlerai aujourd'hui d'un Mémoire de M. le baron Bigot de Morogues, intitulé : de l'Influence des Sociétés littéraires, savantes et agricoles sur la prospérité publique. La destinée de ce Mémoire a été assez singulière. Comme il devait être lu devant la société royale d'Orléans, dans une séance publique du mois d'août, l'auteur jugea convenable de le communiquer aux membres de cette académie dans une séance particulière, le 11 juillet dernier. Un membre, dit M. le baron de Morogues, y » trouva des principes dangereux et des vérités que l'on » devait taire. Cette opinion émise avec beaucoup de véhémence parut faire une impression fâcheuse sur quelques sociétaires. L'auteur voulant éviter le ridicule de défendre, dans une réunion de savans et de littérateurs, l'utilité des sciences et les bienfaits de l'instruction, retira son ouvrage pour le faire imprimer, afin que les personnes qui n'en auraient qu'une connais»sance imparfaite pussent juger à quel point les repro» ches qu'on lui a faits sont fondés.

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M. le baron de Morogues me paraît avoir très-bien agi dans cette circonstance; il n'avait rien de mieux à faire que de mettre les pièces du procès sous les yeux du public, et d'attendre l'arrêt définitif de l'opinion. Pour moi, je me contenterai de remplir l'office de rapporteur, et pour que tout soit original dans cette affaire j'y mettrai beaucoup de justice et de modération.

Le premier principe dangereux que j'ai remarqué dans le Mémoire de M. Bigot de Morogues, c'est la nécessité de l'instruction pour assurer le bonheur et la prospérité des peuples. N'est-ce pas là un principe intolérable? M. de Morogues ignore-t-il que l'ignorance est aussi utile aux hommes que les ténèbres sont nécessaires aux oiseaux de nuit, et que la faculté de raisonner n'a été accordée à l'espèce humaine que sous la condition expresse qu'elle ne l'exercerait jamais. M. de Morogues nous dit : : « que l'amélioration des sociétés est la suite de l'amélioration des idées; que tous les devoirs sociaux, » toutes les règles de la morale, sont la conséquence » d'une raison éclairée ainsi que tous les perfectionnemens importans dans l'industrie agricole et manu» facturière sont susceptibles. Ces pensées ont une apparence spécieuse, mais les partisans de l'obscurité prouveront aisément à cet écrivain qu'elles sont purement philosophiques, c'est-à-dire impies et téméraires. On lui dira qu'il n'est qu'un disciple du dix-huitième siècle, que son système est incompatible avec les doctrines jésuitiques et les principes de l'inquisition. On ira peut-être même jusqu'à le nommer révolutionnaire ; c'est l'argument irrésistible, il ne pourra jamais y répondre.

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A quoi pensait M. de Morogues d'avancer « que dans » l'Orient où la raison est étouffée et la science proscrite, » les révolutions sont en permanence, que la peste s'y >> étend sans obstacle, qu'on s'y trouve fréquemment exposé au fléau de la famine, et que l'immoralité est » dans ce pays la compagne de l'ignorance. » Tout cela est vrai, mais ce sont de ces vérités que l'auteur devait taire. Comment n'a-t-il pas aperçu tous les dangers de ses observations? Je n'étais pas présent à la séance académique où il a prononcé des paroles si pernicieuses, mais j'oserais affirmer que l'illustre sociétaire dont l'attaque a été si véhémente, lui aura parlé à peu près en ces

termes :

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Quoi, Monsieur, vous ne savez pas tout ce qu'il y a » de dangereux à proclamer publiquement que les révolutions, la peste et la famine règnent dans l'Orient, est étouffée! N'est-ce pas en proparce que la raison pageant de pareilles idées, que le comité directeur a soulevé toute la population de la Grèce, et que ces

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Grecs rebelles ont eu l'audace de battre leurs seigneurs

» légitimes sur terre et sur mer? Que nous importe que l'Asie soit dévorée par la guerre, la famine et la peste? » Le point principal est qu'il n'y ait de mouvement, ni » dans les esprits, ni dans les sociétés. Tout va bien, lorsque dans un pays le petit nombre jouit sans trá» vailler de toutes les commodités de l'opulence, de tous » les plaisirs de la vie. Voilà le but d'une bonne orga»nisation sociale. Quelle est donc cette manie de vouloir toujours dire la vérité? Les sociétés académiques » sont-elles instituées pour un tel objet? Non sans doute. Il leur suffit de faire de belles phrases, bien sonores, bien arrondies, de célébrer le pouvoir qui les établit et qui

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