Images de page
PDF
ePub

devenir un des principaux appuis du ministère; il ne peut résister au plaisir de le féliciter, et sans doute Sa Grâce le lui a permis; car elle ne voudrait pas manquer une si heureuse occasion de rapprochement avec un orateur qu'elle redoute.

- Sir Harvey engage donc Édouard à lui faire l'honneur de venir chez lui, et sa superbe moitié ne dédaigne pas de recevoir celui qu'elle a chassé. La position d'Édouard commence à devenir délicate; fréquenter la maison du beau-frère de Sa Grâce, c'est, pour ainsi dire, prendre une couleur politique ; c'est se rendre suspect aux yeux du parti populaire, c'est donner à croire qu'on va défendre les droits de ses commettans à la table d'un ministre. Cependant comment ne pas céder à la reconnaissance et à un sentiment bien plus tendre? Quel plaisir ce malheureux Édouard, chassé, rebuté par tout le monde, n'éprouvera-t-il pas de reparaître brillant de gloire et de renommée aux yeux de la compagne de son enfance, de l'aimable miss Harvey!

Il ne résiste pas à une si douce séduction, il revient dans la maison qui fut pour lui la seule maison paternelle, et ses premiers sentimens se réveillent avec plus de force; la beauté, la grâce enchanteresse de celle dont il fut long-temps séparé, allument dans son cœur la passion la plus ardente.

Sir Harvey ne tarde pas à s'en apercevoir, et l'on sent tout ce qu'une pareille découverte a d'heureux pour lui. D'abord, il aime réellement Edouard; mais quelle conquête précieuse ne va-t-il pas faire pour le gouvernement! car l'homme qui s'allie à la famille d'un ministre, sera nécessairement ministériel, surtout quand on fait un honneur si insigne à un homme sans nom, à un enfant

trouvé! Vaine espérance! Édouard n'a que la noble ambition de servir son pays et son roi ; sa conscience est à lui; ses opinions ne sont point un calcul; il ne veut souscrire aucun engagement, il ne veut rien promettre. La scène où sir Harvey lui fait entrevoir un brillant avenir, est écrite avec beaucoup de talent, et fait ressortir à merveille le contraste entre le riche qui se fait esclave du pouvoir et l'homme de mérite sans fortune, qui veut garder une noble indépendance. Sir Harvey ne peut cependant dissimuler qu'il n'est pas content de son cher beau-frère, et qu'il espérait quelque chose de mieux que d'être le grand échanson du ministère. Il commence à soupçonner que, pour cette fois, le véritable Amphitrion n'est pas celui chez lequel on dîne : mais, lui dit Édouard,

Vous êtes trop bon de prendre tant de peines,
Lorsque vous possédez les plus riches domaines;
Pourquoi de ce ministre être le complaisant?
Servez votre pays en riche indépendant.

SIR HARVEY.

Je l'ai souvent pensé. Tiens, je ne puis me taire,
Je crains de me brouiller avec le ministère.
Dans les affaires, moi, je suis peu courageux,
Et d'abord avant tout je prétends être heureux.
Aussi j'ai pris mon rang, et toujours à l'avance
Je dis comme un ministre, et pense comme il pense;
Puis ils dînent chez moi, je vais dîner chez eux :
Ce qui dans leur esprit me maintient tout au mieux.

Édouard repousse avec chaleur toutes les propositions de sir Harvey, et celui-ci lui répond:

Tu te feras, mon fils, quelque méchante affaire;
Je sais qu'il faut parfois montrer du caractère.

Pour l'opposition moi j'ai souvent voté,

Il est vrai qu'elle avait alors majorité.

Ce dernier trait est d'un comique achevé; il est digne des grands maitres de la scène.

La position où M. Duval a placé Édouard est extrê– mement dramatique; mettre l'amour aux prises avec l'ambition, l'honneur avec la fortune, c'est une de ces conceptions fortes qui sont familières au talent de l'auteur, et dont il sait tirer les plus heureux effets. Je crois qu'avec cette situation seule il pouvait produire une grande, et belle comédie de caractère: mais il connaît son public; il sait, par expérience, que pour lui plaire il ne suffit pas de frapper juste. Les événemens se compliquent tellement dans le monde, qu'à peine de paraître froid, il faut aussi les compliquer à la scène. Dans le temps où nous vivons, l'auteur comique ne peut jamais trop renforcer l'intrigue; plus il en multiplie les ressorts, plus il prouve qu'il est doué de cet esprit d'observation sans lequel il n'y a point de véritable comédie.

M. Duval a donc pensé qu'il fallait mettre son héros à une plus forte épreuve; son ami de collége, lord Henry Weymour, a depuis long-temps quitté l'Angleterre; il arrive à Londres au moment où la réputation d'Édouard retentit dans les trois royaumes. A son retour, sa première pensée est de voler dans les bras de son ami. Leurs opinions politiques ne sont point les mêmes; mais cette différence de sentiment ne saurait rompre les liens qui unissent deux hommes délicats; ils se combattront au parlement, mais ils seront amis après la séance. Weymour n'a rien de caché pour Édouard; il lui ouvre son cœur comme à l'homme qu'il estime et qu'il chérit le plus; il lui apprend qu'une passion malheureuse lui

a seule fait quitter son pays, mais que n'en ayant pu triompher, et poursuivi jusqu'au-delà du détroit par l'image de celle qu'il adore, il revient en Angleterre pour tenter un dernier effort, et pour mettre à ses pieds sa constance, sa fortune et sa vie. Cette beauté cruelle est une fière Écossaise, c'est miss Odelson. A ce nom, Édouard est vivement frappé; il ne la connaît point, il ne l'a jamais vue, mais il lui a de grandes obligations. C'est à elle qu'il doit sa nouvelle renommée; il avait débuté dans la carrière politique par un ouvrage où il avait signalé avec énergie les abus de l'administration. Miss Odelson, pleine d'admiration pour le talent de l'auteur, use de toute son influence pour le porter à la Chambre des communes, et le succès a couronné ses efforts.

Sur ces entrefaites elle arrive à Londres, pour être témoin des triomphes de son protégé. Édouard est heureux de pouvoir servir son ami; il peint sa passion dans les termes les plus vifs, et miss Odelson n'y est point insensible; mais une cause secrète l'empêche d'y répondre, et c'est Édouard lui-même qu'elle en fait juge. Elle vient à Londres implorer le talent du nouvel orateur, elle vient lui confier la plus juste et la plus sainte des causes, celle d'une fille chérie qui invoque la réhabilitation d'un père injustement proscrit; et quel fut son persécuteur ? c'est lord Weymour, c'est le premier ministre, c'est le père de celui qu'elle ne peut se défendre d'aimer, mais qu'un sentiment plus fort que l'amour lui ordonne de repousser. Édouard sonde tous les replis de cette criminelle intrigue; il n'en saurait douter, le ministre est coupable; il n'hésite point; il va l'accuser en plein parlement. Ce rôle de miss Odelson, jeté tout - à - coup au milieu de l'intrigue, serait d'un

grand effet au théâtre; il a quelque chose de ces personnages mystérieux de Walter Scott, qui produisent un intérêt si puissant.

M. Duval dans une des préfaces de son huitième volume annonce qu'il venait de lire les Romans de cet illustre écrivain, et l'on s'en aperçoit sans peine dans sa comédie de l'Orateur Anglais. M. Duval, celui de tous nos auteurs qui possède le mieux le secret des grands ressorts dramatiques, ne pouvait choisir un meilleur modèle.

Cependant, pour remplir courageusement son devoir de député, Édouard va porter le coup le plus terrible à son ami; il va renoncer pour toujours à celle qui devait faire le bonheur de sa vie. Le sacrifice est terrible; il s'y résigne avec une profonde douleur, mais avec un noble courage. Le ministre, alarmé de l'orage qui gronde sur sa tête, veut en vain le conjurer; son crime est évident, il doit frapper tous les yeux, et la majorité qu'il achète ne peut elle-même le sauver. L'opinion, plus puissante, fait entendre sa voix; elle brise le triple rempart de courtisans qui entourent le trône, elle arrive jusqu'au roi, et lord Weymour prévient le scandale d'une chute ignominieuse, en résignant sa place, ses honneurs, et en s'éloignant à la hâte du royaume où, la veille encore, il commandait en maître.

[ocr errors]

Édouard croit n'avoir vengé que le père de miss Odelson et il a vengé le sien. La fortune, les honneurs de la maison Weymour ont été usurpés par un ambitieux, qui n'a craint d'immoler à son avancement sa propre famille, et c'est Édouard qui est revêtu de tous les titres de son ami. Mais ce n'est pas à un tel bonheur qu'il peut être sensible; il n'est heureux que parce qu'il obtient la

pas

« PrécédentContinuer »