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Mes fils ne viendront pas recueillir sur ma bouche
Ma dernière pensée et mes derniers adieux,
Ni, l'œil en pleurs, autour de ma funèbre couche,
Traîner le deuil religieux.

Tous deux, associés à l'erreur de la terre,

Dans leur amour pour moi ne verraient qu'un affront;
Ils baisseront les yeux au souvenir d'un père :
Mon seul nom prononcé fera rougir leur front.
L'opprobre et l'abandon, voilà leur héritage.
Nulle vierge aux autels n'acceptera leur main
Et le peuple en fuyant dira sur leur passage:
Malheur aux fils de l'assassin!

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Et toi dont l'hyménée avait fait ma conquête,
Heureuse de dormir dans la paix du tombeau,
Réjouis-toi! tes yeux n'ont pas vu sur ma tête
Peser du déshonneur l'exécrable fardeau.
Veuve de ses plaisirs, si ma couche fidèle
Long-temps pleura l'épouse enlevée à l'époux,
La mort va nous rejoindre, et la tombe m'appelle
A son éternel rendez-vous.

La mort!... Quel bruit soudain ébranle mon abîme?
J'entends des cris confus, j'entends des pas nombreux;
On accourt.... L'échafaud réclame sa victime.

Eh bien! mon dernier jour sera le moins affreux.
Du fond de ces cachots ma paisible innocence

S'élève en souriant vers la Divinité.

Mes tourmens vont finir, ma liberté commence;
Je suis prêt pour l'éternité.

A. BIGNAN.

LA MORT DE SOCRATE, poëme par A. LA MARTINE (1).

Le premier défaut de cet ouvrage est d'usurper le nom de poëme un poëme suppose de l'invention, un plan, une ordonnance, une action, des scènes variées, un intérêt toujours croissant, et un dénoûment imprévu auquel on arrive par une suite d'émotions puissantes. Rien de tout cela n'existe et ne pouvait exister dans le récit plus ou moins fidèle de M. La Martine, qui n'est autre chose qu'un abrégé du Phédon mis en vers. La première partie du Phédon, dit M. Cousin, dans l'argument de sa belle traduction de Platon, contient le dogme philosophique de l'incorruptibilité du principe intellectuel dans la dissolution de son organisation extérieure; vient ensuite la seconde partie avec le cortége des croyances populaires et mythologiques sur la destinée, et l'état ultérieur de ce principe immortel transporté hors des conditions de son existence actuelle. La première partie était une discussion entre philosophes; la seconde est un hymne, un fragment d'épopée, un accompagnement doux et gracieux destiné à relever l'effet des démonstrations précédentes, et à charmer le cœur et l'imagination après que l'intelligence est satisfaite. Cette heureuse définition démontre mieux encore la faute du poëte d'avoir choisi un sujet qui se borne à un entretien calme comme l'ame de l'auguste victime de l'injustice, et à une scène touchante, mais privée de presque tout son effet, parce qu'on nous la raconte au lieu de nous la montrer, comme l'a essayé l'auteur des Études de la Nature.

(1) A Paris, chez Audin, quai des Augustins, p. 25.

Rien de plus difficile à échauffer qu'une discussion métaphysique; et loin d'être propre à lui donner plus de chaleur, les vers ne peuvent que la refroidir encore. Avec la liberté de son allure, avec la souplesse et la variété qui lui sont propres, avec la multiplicité de ses formes, avec la liberté d'employer tous les mots qui peignent le mieux les pensées, la prose a mille moyens de varier, de soutenir, d'animer un dialogue, et d'imiter le mouvement de la conversation entre divers interlocuteurs qui se communiquent une impulsion réciproque. La poésie, même chez les Grecs, n'a pas autant de ressources pour atteindre le même but, et court le risque de tomber dans la monotonie. Ce danger devient surtout inévitable avec nos grands vers; Racine lui-même, malgré un art infini, n'a pu corriger entièrement leur impuissance à représenter fidèlement la chaleur de l'action et la vie de la parole. Parmi les poëtes français, le seul La Fontaine, en employant, il est vrai, des vers de toute mesure, est parvenu à donner au dialogue de ses fables, ou plutôt de ses comédies, un mouvement, une vivacité, des suspensions, des repos, des interruptions, des répliques qui produisent une illusion complète. Nous voyons, nous entendons, nous suivons, avec un intérêt qui ne se ralentit jamais, les personnages du fabuliste. Molière ne s'empare pas mieux de notre attention dans les scènes les plus chaudes, où il met les passions des hommes aux prises les unes avec les autres. M. La Martine a fait sans doute plusieurs de ces réflexions avant d'entreprendre la traduction du Phédon; et si elles ne l'ont pas arrêté dans son projet, elles ont certainement contribué à lui conseiller des suppressions qui n'étaient pas des sacrifices pénibles et de nature à laisser des regrets.

Les répétitions nécessitées par l'insuffisance de notre esprit, par le besoin de produire et d'achever la conviction dans des matières sur lesquelles il n'y a de prise que pour la pensée privée du secours des sens, le penchant des Grecs pour les subtilités, l'enchaînement de principes et de conséquences qui formaient une trame non interrompue de la pressante et ingénieuse argumentation de Socrate, rendent les discussions du philosophe d'une lecture par fois si fatigante, qu'il faut, pour la poursuivre, tout le charme attaché à l'imagination de son disciple et toutes les grâces d'une élocution enchanteresse. Cicéron à genoux, comme tous les Romains, devant les Grecs, et quelquefois leur adorateur jusqu'à la superstition, a imité même les défauts de ses maîtres. Les plus beaux dialogues que nous ayons de lui, renferment des détails qui rappellent le trait d'Horace : Erat quod tollere velles. Elève de l'antiquité, Fénélon a traité aussi les deux grands sujets des derniers entretiens du sage d'Athènes, supposés peut-être par l'Homère des philosophes; mais quelle différence! Sans jamais s'exposer à paraître sophiste comme Socrate, rhéteur et poëte hors de propos comme Platon, sa discussion est profonde, brillante, variée, exempte de nuages. Il parle seul, et on croirait entendre tour à tour plusieurs personnes dont chacune joue son rôle. Il monte, il s'abaisse, il se fait petit ; puis il s'élève jusqu'au sublime et redescend jusqu'au familier; il prodigue l'instruction et la cache sous la clarté de l'expression, au point que l'on croit savoir ce qu'il dit parcequ'on le comprend d'abord. Sa belle et riante imagination vient au secours de sa raison, mais elle ne l'emporte pas; il ne s'égare pas plus dans le ciel que sur la terre. Jamais on ne vit une telle abondance de

preuves. Il les puise dans cet esprit qui faisait trembler Bossuet, dans les lumières d'une intelligence supérieure, dans un amour immense de l'humanité, dans un cœur tendre et religieux auquel ne peuvent suffire les affections de la terre, dans une ame divine qui semble avoir des inspirations pareilles à celles du génie de Socrate.

On peut lire tout entier le traité de Fénélon, mais un Français désirera toujours plus de clarté, plus de brièveté, moins de redites dans le Phédon; monsieur de La Martine a senti cette dernière convenance plus impérieuse encore pour un poëme que pour un récit en prose. Il a fait de judicieux retranchemens; on lui doit même cet éloge que sa version rend la lecture de l'original accessible à toutes les classes de lecteurs, et que ses vers doivent multiplier le nombre des admirateurs de cet entretien où la vertu fait son apologie, par l'élévation même de ses sentimens, et se justifie par la hauteur de ses espérances. En effet, l'homme qui lit sans effroi dans son cœur au moment suprême, l'homme qui, calme devant la mort des coupables, attend le ciel pour récompense d'une vie innocente et consacrée au bien de l'humanité, élève, contre ses calomniateurs et ses juges, une voix que la postérité écoute comme un oracle. Anytus, malgré des services rendus à l'État, et peut-être des vertus, est devenu, pour le monde entier, un grand eriminel marqué par Socrate mourant du sceau de cette réprobation que les dieux eux-mêmes avaient empreinte sur le front d'Oreste parricide.

Heureux M. de La Martine, si, plus remplie des exemples du cygne de Cambrai, plus effrayée de l'arrêt de Boileau contre l'uniformité du style, sa muse avait su éviter l'écueil de la monotonie! Il est élevé,

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