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QUELQUES SOUVENIRS

DE L'ANTIQUITÉ.

LES Grecs qui soumettaient au pouvoir de l'amour le souverain des Dieux lui-même, n'ont pas fait de la passion que Vénus inspirait aux mortels le fondement de leur systènie dramatique. Chez nous, pour qui le fils de Cythère n'est qu'une divinité mensongère, l'amour règne en maître sur le théâtre; il occupe la première place dans la plupart des chefs-d'œuvre de nos maîtres. Seul de tous les habitans de l'Olympe détrônés par la religion chrétienne, il semble avoir survécu à leur ruine et conservé des autels, grâces au génie de nos grands écrivains. Cette singulière contradiction entre notre croyance et nos idées dramatiques, est poussée si loin, qu'en lisant tel sujet traité par Eschyle ou par Euripide, et par Racine ou Voltaire, on nous croirait plus payens que les adorateurs de Jupiter et de Mercure. A la fois, plus sages et pourtant moins sévères que nous, les Grecs ne voulaient pas que leur scène fût entièrement consacrée à une passion molle, efféminée, qui pouvait rapetisser les esprits et affaiblir les cœurs; mais leur goût ne rejetait pas d'innocentes et agréables peintures des délices de l'amour, auxquelles la morale faisait succéder d'utiles réflexions sur les dangereuses conséquences de ses emportemens. C'est ainsi que l'on trouve dans Eschyle, à côté d'un portrait charmant d'Hélène, dont l'image règne

encore après sa fuite, dans le cœur et sur la cour de Ménélas, le tableau des suites terribles de l'outrage fait à l'hymen par le beau Priamide et sa coupable amante, devenue tout-à-coup la furie d'Argos et d'llion. Le même poëte nous offre encore, malgré la fierté naturelle de son genre sauvage et sublime, d'autres tableaux gracieux, mais sans aucun mélange du sombre ou du terrible. Dans la pièce des Suppliantes, les Danaïdes fugitives d'Argos pour éviter un mariage qui leur paraissait impie, et à peine rassurées sur la crainte d'y être forcées par les armes de leur oncle Égyptus, répondent par la prière suivante à leur père qui leur recommande de garder toute leur innocence :

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Puissions-nous être, ô mon père! aussi sûres de la faveur des Dieux que vous devez l'être de notre vertu! Chantons la ville des Pélasges; chantons les fleuves qui, par mille détours, arrosent cette contrée. Que la chaste Diane nous regarde avec bonté. Déesse de Cythère, préserve-nous d'un bymen imposé par la violence; c'est un odieux combat que celui de la haine contre l'amour! Tu t'assieds, ainsi que Junon, auprès de Jupiter, et ton pouvoir se signale par des coups éclatans. Mère de la nature et de l'amour, nous ne voulons pas mépriser ton culte, nous ne voulons pas fermer nos coeurs à la voix de la douce persuasion qui triomphe même des Dieux; mais Vénus, souviens-toi que les jeux et les amours ne sauraient vivre que sous les lois de l'harmonie ; au milieu de l'exil, de la fuite, de la guerre et de ses horreurs, nous ne pouvons sentir que l'effroi. »

Ces paroles si naïves et si simples n'ont-elles pas un charme particulier? n'est-ce pas le langage de jeunes vierges que la puissance irrésistible de Vénus remplit de

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respect et de crainte, et qui ont autant de penchant à ouvrir leur ame innocente aux douces émotions de l'a

mour que d'horreur pour un hymen forcé?

Euripide passe pour n'avoir point aimé les femmes; il les a même outragées sur la scène d'une manière aussi déraisonnable qu'indécente, aussi contraire à l'art qu'aux convenances sociales, et cependant personne ne les a fait parler d'une manière plus touchante dans leurs afflictions, plus gracieuse dans leurs amours. Ce poëte, dont Socrate allait voir les ouvrages avec plaisir, parce qu'ils mettaient la philosophie sur le théâtre; ce tragique qui a fouillé dans les derniers replis du cœur humain pour y trouver l'expression de la véritable douleur; qui a versé tant de larmes éloquentes sur les grandes infortunes de l'humanité, a trouvé des grâces toutes particulières et un coloris plein de fraîcheur pour retracer les riantes fictions de la religion païenne sur l'Amour et sur sa mère. Mais qui le croirait? c'est dans les sujets les plus graves qu'Euripide nous offre des hymnes à Vénus, qui ont des charmes que l'on chercherait en vain dans les odes d'Anacréon.

Médée est atroce et révoltante chez nous, à peine pouvons-nous la supporter, malgré sa tendresse et ses perplexités pour ses enfans. Aussi barbare en ses projets et en ses actions, mais bien plus touchante dans la scène où Euripide la met en présence de ses deux fils, elle conserve l'imagination d'une Grecque; et ses souvenirs de la religion, des fables et des mœurs de la patrie s'expriment avec une élégance particulière.

Au moment extrême où Médée sort de la scène, après avoir résolu d'étouffer toute pitié pour immoler ses enfans et faire périr sa jeune rivale, on entend le chœur prononcer ces paroles :

« Illustres Érechthéïdes, élevés dès long-temps au faîte des prospérités, fils des dieux fortunés, premiers habitans d'une terre invincible et sacrée, qui vous nourrissez des fruits glorieux de la sagesse, qui marchez triomphans au sein d'un air brillant et pur, c'est dans vos rians vallons que jadis la blonde Harmonie apprit à répéter les chants que lui dictaient les chastes Piérides.

» Là, sur les rives du beau'Céphise, on dit que Cypris, puisant une onde pure, répand sur les lieux d'alentour la douce haleine des vents tempérés; elle mêle sans cesse à ses cheveux des guirlandes de roses qui répandent un doux parfum, et envoie les amours en tous lieux pour servir de ministres à la sagesse et pour partager tous les travaux de la vertu.

» Ces fleuves sacrés, cette ville religieuse recevront-ils une mère impie et parricide? Vois le flanc déchiré de tes propres enfans! Contemple ce meurtre abominable! Ah! nous t'en conjurons, nous tombons à tes pieds toutes à la fois; épargne ton propre sang!

» Ton cœur aurait-il le féroce courage d'immoler l'innocence? ta main servirait-elle d'instrument au crime? En se fixant sur ces victimes infortunées, tes yeux ne fondraient-ils pas en larmes? Non, quand tes fils de leurs faibles bras embrasseront tes genoux, en invoquant ta clémence, tu ne tremperas point dans leur sang un glaive barbare et parricide.

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Dans l'Andromaque du même poëte, nous trouvons ce brillant tableau du jugement de Pâris, auteur de la ruine d'Ilion.

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Fils de Jupiter et de Maïa, que de maux tu fis à la terre, lorsque sur les forêts de l'Ida tu conduisis le char

brillant des trois déesses, armées par la main de la fatale

discorde, pour le combat de la beauté, vers la denteure solitaire d'un jeune et charmant berger.

» A l'ombre des bosquets touffus coulent des sources vives et d'une fraîcheur délicieuse ; les trois rivales baignent dans une onde pure leur corps d'une blancheur éblouissante; et se disputant l'une à l'autre avec fierté le rang suprême, elles s'adressent au beau Priamide. Mais l'artificieuse, la riante Cypris, le séduit par de doux regards; et ces regards ont renversé les tours orgueilleuses de la malheureuse Ilion. »>

Voulons-nous maintenant un hymne où l'amour de la patrie, les doux ressouvenirs de la jeunesse, les traditions de la fable et les riantes images de la Grèce sont réunis pour nous rappeler tous les enchantemens de ce pays du génie, des arts et du plaisir; écoutons l'hymne adressé par le chœur, au vaisseau qui va ramener Hélène sur les bords de l'Eurotas, dans le palais qui l'a reçue vierge, et qui a résonné des chants d'hyménée répétés par les vierges, ses compagnes, lorsqu'elle fut remise entre les bras du trop heureux Ménélas.

« O vaisseau de Sidon, souverain des ondes, vaisseau rapide autour duquel les dauphins forment mille danses variées, vole sur la plaine liquide, pendant que la mer te sourit, et que Galatée, fille de l'Océan, semble crier à tes matelots : « Abandonnez les voiles à la douce haleine des vents; courbez-vous sur la rame; hâtez-vous de rendre Hélène aux rivages fortunés de Mycène. »

» Peut-être trouvera-t-elle sur les rives du fleuve les prêtresses des Leucippides; peut-être, près du temple de Pallas, se mêlera-t-elle aux danses sacrées, auxquelles elle est depuis long-temps étrangère, pour célébrer les fêtes nocturnes d'Hyacinthe qui fut atteint d'un

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