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Les conseils de guerre peuvent-ils, en vertu de l'état de siége, être appelés à juger des individus non militaires, au mépris du principe suivant lequel nul ne doit être distrait de ses juges naturels? A quels crimes ou délits peut s'appliquer cette compétence exceptionnelle ? Peut-elle embrasser des faits antérieurs à la déclaration d'état de siége, des délits politiques ou de presse, des faits dont les auteurs demeurent et sont arrêtés hors le territoire soumis à l'état de siége? Toutes ces questions ont été agitées et résolues.

L'Assemblée constituante, la Cour de cassation, les conseils de guerre et l'Assemblée législative ont admis la compétence des tribunaux militaires, dans certaines limites, comme un des effets nécessaires de l'état de siége proclamé par le pouvoir législatif; et c'est un principe que vient de consacrer la loi organique lors de la discussion, il a été reconnu que toute l'efficacité de la déclaration d'état de siége était dans le pouvoir conféré à l'autorité militaire de faire promptement arrêter par ses agents et juger par ses tribunaux des insurgés, qui sans cela auraient peut-être le temps et les moyens de consommer leur crime; que la Constitution, autorisant l'état de siége, ne pouvait avoir entendu lui refuser ses effets les plus essentiels (1).

Il avait même été décidé et jugé, par des décrets et des arrêts, que la compétence accidentelle des conseils de guerre embrassait les crimes ou délits ayant motivé la déclaration d'état de siége, ainsi que ceux commis depuis, qui lui étaient déférés; qu'elle s'étendait non-seulement aux crimes d'insurrection ou autres analogues, mais aussi aux crimes communs, tels qu'assassinats, commis en même temps que les crimes politiques (2). La loi organique, en autorisant l'état de siége préventif, exi

d'exercice de la puissance publique ; que le législateur étant toujours le maître de modifier cet exercice suivant le besoin des temps, restreindre à des conditions qu'il n'a pas déterminées l'effet des changements qu'il y apporte, ce serait détruire dans sa sphère d'action la souveraineté nationale qu'il représente et arrêter le cours de la justice;

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» Attendn, quant à la capacité légale du haut jury, que l'Assemblée constituante, appelée par le suffrage universel à organiser les pouvoirs publics, a saisi du droit de statuer sur les faits spéciaux par elle définis, les membres des conseils généraux de France; que l'art. 13 de la Constitution a virtuellement maintenu l'existence et la composition de ces conseils ; attendu qu'en vertu du mandat général et absolu dont elle était investie, il lui appartenait de ue subordonner l'exercice de l'attribution qu'elle leur conférait, ni à une élection nouvelle, ni à une réorganisation ultérieure;-attendu qu'il n'est pas permis au juge de distinguer là où la loi fondamentale ne distingue pas et de paralyser ainsi pendant un temps indéterminé l'action d'une juridiction légalement constituée; Par ces motifs, la Haute Cour rejette le déclinatoire proposé, ordonne qu'il sera passé outre au tirage du jury.

Du 13 octob. 1849. Haute Cour.

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(1) Décr. 24 et 29 juin 1848 (J. cr., 1848, p. 296);—Arr. de la C. de cass., 12 octob. 1848; -L. 9 août 1849, art. 8 (J. cr., art. 4372 et 4602).

C. de cass., 12 octob. 1848 et 9 mars 1849

(a) Décr. 29 juin 1848; (J. cr., art. 4320, 4442 et 4446).

gera que la déclaration officielle constate la cause du péril, pour que ses effets puissent rétroagir. Et, d'un autre côté, en spécifiant les catégories de crimes ou délits qui comporteront le jugement militaire, elle étend à toutes la compétence accidentelle des conseils de guerre, mais défend d'aller désormais au-delà (1).

Relativement aux provocations à l'attentat imputées à des journalistes et qui résulteraient de leurs publications, la question était de savoir si elles ne sont pas, dans tous les cas, justiciables du jury seul. On sait qu'elle n'avait pas arrêté la cour des pairs, condamnant l'accusé Dupoty malgré son déclinatoire. Elle n'a pas arrêté davantage l'Assemblée législative, qui a décidé que tous auteurs ou complices, quelle que soit leur qualité, seront jugés militairement en cas d'état de siége, dès qu'il s'agira des crimes spécifiés dans la loi organique, qui même a repoussé après discussion un amendement revendiquant la juridiction du jury suivant le vœu présumé de la Constitution (2).

Pour les complices demeurant et arrêtés hors des lieux soumis à l'état de siége, un représentant, usant du droit d'interpellation et lisant une consultation à la tribune, a soutenu qu'il y avait illégalité à les faire juger par le conseil de guerre. Le ministre de la justice a répondu que la compétence de ce tribunal militaire était territoriale et devait embrasser tous faits commis sur le territoire, quels que fussent le domicile et le lieu d'arrestation des auteurs ou complices. Cette réponse a paru péremptoire (3).

Le jury, d'après la Constitution, est le juge naturel des délits politiques, alors même qu'ils ne sont passibles que d'une peine correctionnelle. Cette règle ne s'applique-t-elle qu'aux délits qui sont politiques de leur nature, suivant l'incrimination spéciale, ou bien comprend-elle tout délit commis dans un but politique (4)? L'Assemblée constituante, organisant le suffrage universel, a déféré au jury tous les délits prévus par la loi électorale, à l'exception seulement de l'infraction consistant à fermer le scrutin avant l'heure légale (5); l'Assemblée législative, modifiant les dispositions du Code pénal sur les coalitions entre ouvriers

(1) Sur la question de rétroactivité, voy. notre dissertation (J. cr., art. 4320), l'arrêt Legénissel et le rapport de M. Rocher (J. cr., art. 4372), et notre commentaire de la loi (J. cr., 1849, p. 321-323). — Relativement aux catégories de crimes, voy. la loi du 9 août 1849, art. 8, et notre Commentaire, p. 326 et 327.

(2) Voy. l'arrêt Dupoty (C. des pairs, 23 décemb. 1841), et nos observations (J. cr., art. 2983). — Voy. l. 9 août 1849, art. 8, et notre Commentaire, P. 327.

(3) Voy. séance législ. du 22 octob. 1849 (Monit, du 23) et nos observations (J. cr., art. 4602, p. 327 et 328).

(4) Nous avons examiné cette question complexe dans notre dissertation sur l'art. 83 de la Constitution. Voy. J. cr., art. 4430.

(5) L. 15 mars 1849, art. 117 et 115 (J. cr., art. 4447).

ou entre patrons, a réservé aux tribunaux correctionnels le jugement de ces coalitions, pour le cas même où il y aurait eu des motifs politiques (1). L'Assemblée constituante, dans sa loi du 28 juillet 1848, avait attribué aux tribunaux correctionnels la connaissance des infractions relatives à l'ouverture des clubs et à la tenue de leurs séances; la cour de Paris et la Cour de cassation ont jugé que le jury, compétent pour tous autres délits prévus par cette loi, devait juger le délit résultant de la fondation de réunions politiques non publiques, sans déclaration (2). Un délit politique, justiciable du jury, tel que celui qui résulte de cris séditieux, quand il est commis à l'audience d'un tribunal, ne peut-il pas être jugé par ce tribunal, uniquement composé de magistrats? Le tribunal de la Seine s'est cru incompétent; la cour de Paris a déclaré sa compétence, qui se fonde sur des considérations d'ordre public (3).

C'est aussi le jury qui doit juger les délits de presse. Mais la disposition constitutionnelle où le principe est rappelé n'en a pas fixé la portée. De là différentes questions (4). L'Assemblée constituante, dans ses lois provisoires sur la presse, a conservé aux tribunaux correctionnels les infractions aux lois sur la presse périodique, et au jury les véritables délits de presse (5); l'Assemblée législative, dans sa loi provisoire de répression, a déféré au jury les attaques ou offenses punissables envers le président de la République, les provocations coupables envers des militaires, les attaques aux lois ou apologies de faits punissables, et la publication ou reproduction avec mauvaise foi de fausses nouvelles ou pièces; mais elle a laissé aux tribunaux correctionnels la connaissance des autres infractions par elle spécifiées, telles que annonce publique de souscriptions pour condamnations judiciaires, distributions ou colportage d'écrits sans autorisation préfectorale, défaut de dépôt en temps utile au parquet des petits écrits à distribuer ou colporter (6). Que devait-on décider relativement à la diffamation par un moyen de publicité? La Constituante, après débats, a réservé la question de compétence quant à la diffamation envers les particuliers, quant à la diffamation publique envers un fonctionnaire relativement à sa vie privée, et quant à la diffamation envers un fonctionnaire par paroles seulement (7). Plu

(1) L. 27 nov. 1849; vote du 27 nov., Monit. du 28 (voy. J. cr., 1849, p. 356).

(2) L. 28 juill. 1848, art. 16 (J. cr., art. 4340); C. de Paris, 21 avr. 1849; Rej. 7 juin 1849 (J. cr., art. 4509).

- Voy. dans le même

(3) C. de Paris, 18 août 1849 (J. cr., art. 4619). sens, C. d'ass. de la Seine et Rej. 27 fév. 1832 (J. cr., art. 825).

(4) Voy. notre Dissertation, art. 4430.

(5) Décrets 9 et 11 août 1848 (J. cr., art. 4341 et 4342); votes des 3 et

4 nov. 1848 (Monit. du 4 et du 6, p. 3080 et 3089).

(6) L. 27 juill. 1849, art. 1-7 (J. cr., art. 4580).

(7) Vote du 4 nov. 1848 et art. 83 de la Constit. (Monit, 5 nov.).

sieurs tribunaux et la Cour de cassation ont jugé que la juridiction correctionnelle demeurait compétente, même à l'égard du fonctionnaire écartant ce qui concernait sa vie publique et ne se plaignant que des attaques à sa vie privée (1). Que devait-on enfin décider, quant aux comptes-rendus d'audience, à poursuivre comme injurieux ou infidèles? La Haute Cour a jugé, en donnant les plus puissants motifs, que tout tribunal dont l'audience a été attaquée ou défigurée a compétence pour juger le délit: le tribunal de Lille et la cour de Douai ont cru devoir se déclarer incompétents; mais un arrêt de cassation vient de proclamer leur erreur (2).

Les circonstances atténuantes, en matière de délits politiques et de délits de presse, sont admissibles aujourd'hui, d'après les décrets de 1848 sur les attroupements, sur les clubs et sur la presse, ainsi que d'après la loi électorale organique. A qui, du jury ou de la cour d'assises, appartient-il d'en reconnaître et déclarer l'existence? L'Assemblée constituante ne s'en était expliquée dans aucun des décrets précités (3). La Constitution préjugeait l'attribution au jury de ce pouvoir nouveau, en disant : « La connaissance de tous..... appartient exclusivement au jury; mais des doutes subsistaient, et plusieurs présidents d'assises, à Paris notamment, s'abstenaient encore de donner au jury l'avertissement relatif aux circonstances atténuantes (4). La question a été tranchée par l'Assemblée constituante elle-même, non-seulement dans ses projets de loi sur les clubs et sur la responsabilité des agents du pouvoir, mais aussi dans la loi électorale organique. M. Valette (du Jura), a proposé de dire : « Lorsque le jury aura reconnu l'existence de circonstances atténuantes en matière de délits... » MM. Salmon, Douesnel et V. Lefranc ont soutenu que cela ne pouvait être. M. Isambert a répondu, avec M. Valette, que c'était conforme à la Constitution. La proposition a été adoptée, non comme introductive d'un principe nouveau, mais comme donnant une exacte interprétation et constituant une application nécessaire de l'art. 83 du pacte fondamental. Ce qui est exorbitant, même en présence de cet art. 83, c'est le pouvoir conféré au jury de contraindre la cour d'assises à abaisser la peine au minimum tout au moins (5).

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(2) Arr. de la Haute Cour, 26 octob. 1849 (J. cr., art. 4619); Douai,

4 décemb. 1849; Cass. 4 janv. 1850.

(3) Voy. Décr. 27 juin 1848, art. 8; Décr. 11 août 1848, art. 8.

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(4) Voy. notre dissertation, art. 4430, p. 70 et 71.

(5) Voy. l'art. 26 du projet de loi sur les clubs, adopté le 24 mars 1849 (Monit, du 25). Voy. l'art. 58 du projet de loi sur la responsabilité des agents du pouvoir (Monit., 9 mars 1849). Voy. enfin l'art. 117 de la loi électorale, du 15 mars 1849, et nos explications sur cet article (J. cr., 1849, p. 110).

Le jury a reçu de la Constitution un autre pouvoir encore plus nouveau : c'est celui de statuer sur les dommages-intérêts réclamés pour faits ou délits de presse. Cela s'applique évidemment aux demandes qui sont formées par le plaignant pour le cas même où le fait imputé serait dépouillé de toute criminalité, et cependant constituerait encore une faute. Mais à qui appartient-il de statuer sur la demande en dommagesintérêts formée par le prévenu, relaxé, contre la partie civile ? L'ASsemblée constituante, voulant donner au principe constitutionnel toute l'extension et toutes les garanties possibles, a tranché la question en faveur du jury, dans son projet sur la responsabilité des agents du pouvoir et dans la loi électorale organique, qui va jusqu'à conférer au jury le pouvoir de décider si la partie civile doit ou non être condamnée à l'amende, et qui ajoute : « Il prononcera de plus, mais à la simple majorité, sur le chiffre des dommages-intérêts, dans tous les cas où il en a été demandé, soit par la partie civile, soit par le prévenu (1). Cette attribution exceptionnelle, ayant pour but d'empêcher la cour d'assises de contredire indirectement le verdict du jury, existe-t-elle, d'après la Constitution, pour les délits auxquels ne s'applique point la loi électorale ? C'est une question délicate, que la Cour de cassation a examinée et non résolue, mais sur laquelle M. le premier avocat général Nicias Gaillard nous a donné une excellente dissertation, qui admet la compétence du jury (2).

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Les autres questions de compétence, présentant un intérêt d'actualité, qui se sont présentées en 1849, ont eu pour objet la juridiction des tribunaux militaires, provisoirement conservés par l'art. 88 de la Constitution. La Cour de cassation a jugé : que les tribunaux maritimes, maintenus eux-mêmes, quoiqu'un décret du 3 mai 1848 eût ordonné des changements dans leur organisation, devaient continuer à fonctionner, sans attendre la réalisation de ces changements (3); que leur compétence subsistait, à l'égard des artilleurs de la marine, ainsi que des marins ou matelots, et qu'aucuns doutes ne pouvaient les autoriser à s'abstenir (4) ; — qu'un tribunal militaire peut juger le militaire accusé de détournement, et un tribunal correctionnel juger l'individu non militaire accusé de recel, lorsque la peine doit être différente pour les deux accusés, d'après l'incrimination spéciale (5); que même un délit militaire, jugé par un tribunal correctionnel sans

(1) Voy. l'art. 59 du projet de loi sur la responsabilité des agents du pouvoir (Monit., 9 mars 1849). Voy. l'art. 120 de la loi électorale du 15 mars 1849, et nos explications (J. cr., 1849, p. 78 et 111).

(2) Voy. l'arrêt de cassation du 28 juill. 1849 et la Dissertation de M. Nicias Gaillard (J. cr., art. 4558 et 4559).

(3) Cass., 8 décemb. 1848 (J. cr., art. 4588).

(4) Cass., 19 janv. et 10 mai 1849 (J. cr., art. 4556 et 4576).

(5) Rej., 23 fév. 1849 (J. cr., art. 4483).

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