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que la législation criminelle. La Constitution est promulguée; le pouvoir exécutif est régulièrement constitué et il lui faut des armes pour défendre la société, toujours attaquée. La Constituante de 1848 avait donné aux dépositaires provisoires du pouvoir exécutif tous moyens possibles de défense; sa dissolution devenant inévitable, la Constituante de 1849 hésite à porter quelques lois contre les clubs, de plus en plus menaçants; contre les abus de la presse et du colportage, plus multipliés et dangereux que jamais. Mais vient une Assemblée nouvelle, apportant les vœux du pays; et, dès ce moment, la marche de la législation criminelle est constamment dans le sens d'une plus grande protection pour la société, d'une répression plus énergique des délits. de toute nature. On avait beaucoup démoli, il fallait se hâter de reconstruire; de nouveaux dangers s'étaient révélés, il devenait nécessaire d'édicter de nouvelles lois répressives. D'un autre côté, des principes étaient créés par la Constitution, il fallait les organiser; de graves questions avaient été partout agitées, on leur devait une solution quelconque, quand elles se présentaient à la tribune législative, en vertu de l'initiative gouvernementale, ou du droit de proposition dévolu à chaque représentant, ou de son droit illimité d'interpellation, ou enfin du droit de pétition conféré à tout citoyen. Telles ont été les causes des dispositions préventives et pénales qui ont comblé des lacunes dans plusieurs parties de notre législation, des discussions et votes qui ont consacré le maintien des lois criminelles qu'on avait le plus attaquées, ou qui ont justifié des poursuites et solutions de jurisprudence qu'on dénonçait à l'Assemblée nationale elle-même.

Nous avons à noter ici les résultats de ces débats législatifs, avant de rappeler les principaux monuments de jurisprudence qui sont dus à l'année 1849.

La Constitution exige des lois organiques diverses, qui presque toutes toucheront au droit criminel. Dix lois principales étaient à faire immédiatement, suivant un décret de la Constituante; nous n'en avons encore que trois (1). La première devait être celle qui assurera et réglera, avec sanction pénale selon les cas, la responsabilité de tous les dépositaires du pouvoir, dans la République ; mais le projet, élaboré par M. Crémieux, modifié par le comité de la justice, puis par une commission qu'avaient nommée les bureaux, a été présenté trop tard à l'Assemblée constituante et est resté un simple document à consulter (2).

(1) Le décret du 11 décembre 1848 promettait avant tout les lois organiques suivantes : loi sur la responsabilité des dépositaires de l'autorité publique; loi sur le conseil d'Etat ; loi électorale; loi d'organisation départementale et communale; loi d'organisation judiciaire; loi sur l'enseignement; loi sur l'organisation de la force publique (garde nationale et armée); loi sur la presse; loi sur l'état de siége; loi sur l'organisation de l'assistance publique. L'Assemblée constituante n'a voté que la loi du conseil d'Etat et la loi électorale. L'Assemblée législative a voté la loi sur l'état de siége et prépare les autres.

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(2) Ce projet, précédé d'un rapport qui tend à justifier ses rigueurs, a huit

La première loi votée est celle qui organise le nouveau conseil d'État. Il ne s'y trouve d'autres dispositions concernant le droit criminel que celles qui confient au conseil d'État la préparation des règlements d'administration publique et le font concourir à l'examen des demandes en grâce, et celle qui lui conserve provisoirement certaines attributions, parmi lesquelles sont les mises en jugement des fonctionnaires et ministres des cultes pour faits relatifs à leurs fonctions ou à leur ministère (1).

La loi électorale, dernière œuvre de l'Assemblée constituante, a organisé le suffrage universel, avec sanction pénale. Elle a des dispositions qui atteignent tous faits pouvant porter atteinte à la liberté ou à la sincérité des élections, tels que inscription frauduleusement obtenue, vote sans droit, altération de bulletin, trafic de suffrage, entrée avec armes dans la salle, voies de fait ou menaces, influences illicites, troubles par attroupements, irruption dans le collége électoral, enlèvement de l'urne, violation du scrutin non dépouillé, fermeture prématurée du scrutin. Si cette loi n'est point un code électoral complet, pour toutes opérations électorales quelconques, ses dispositions pénales n'en doivent pas moins être applicables à toutes les élections politiques, telles que celles des représentants et du président de la République, et les élections aux conseils municipaux, cantonaux et départementaux. C'est ce que nous avons démontré, en commentant la loi, et c'est ce qu'a virtuellement jugé un arrêt postérieur, de la Cour de cassation (2). Mais cette loi ne pourrait s'appliquer aux élections non politiques, y compris celles de la garde nationale, qui pourtant ont besoin d'une protection pénale; et elle ne prévoit point les faits qui altéreraient ou détruiraient les résultats du scrutin, après le dépouillement dans les sections : d'où résulte la nécessité de recourir, pour ces élections et pour ces faits, aux dispositions du Code pénal destinées à protéger les élections en général et à celles qui punissent toute altération ou destruction d'actes probants (3).

titres, dont voici l'objet en substance. Le premier, intitulé De la responsabilité du président de la Republique, prévoit et punit tous faits pouvant constituer haute trahison, concussion ou prévarication. Le deuxième concerne l'abdication des fonctions. Le troisième a pour objet la responsabilité des ministres et prévoit aussi la haute trahison, la concussion et la prévarication. Les titres quatrieme et suivants règlent tout ce qui concerne la poursuite de ces crimes. Le titre huitième est intitulé: De la responsabilité des autres dépositaires ou agents de l'autorité publique. Il règle l'information judiciaire qui doit précéder la demande en autorisation de poursuite, puis les formes de procéder devant le conseil d'État, enfin l'exercice de l'action civile (voy. Monit. 9 mars 1849). La première délibération a eu lieu le 16 mars (Monit, du 17).

(1) L. 3 mars 1849, art. 4, 7 et 9.

(2) Voy. L. 15 mars 1849 (J. cr., art. 4447), Cass. 30 août 1849 (J. cr., art. 4600).

(3) Voy. l'arrêt rendu dans l'affaire dite de Limoges: Rej. 13 juill. 1849 (J. cr., art. 4635).

La loi organique sur l'état de siége, préparée par le conseil d'État et votée par l'Assemblée législative, a fait une large application de cette maxime de tous les temps: Salus populi suprema lex esto. Réservant à l'Assemblée nationale le pouvoir de déclarer l'état de siége, et ne le conférant au président de la République ainsi qu'aux gouverneurs coloniaux que pour des cas exceptionnels, sous le contrôle d'ailleurs de l'Assemblée, elle a pu aller plus loin que ne le demandait la monarchie constitutionnelle et donner à l'état de siége des effets presque aussi étendus que ceux dont nous avons été témoins en 1848. La déclaration d'état de siége est donc autorisée, dès qu'il y a « péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure » : alors, l'autorité militaire a tous les pouvoirs d'ordre et de police des autorités civiles, elle reçoit même de la loi des pouvoirs extraordinaires; et les tribunaux militaires peuvent être appelés à juger << tous crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l'ordre et la paix publique, quelle que soit la qualité des auteurs principaux et des complices (1).

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Ne fallait-il pas aussi une loi organique ou fondamentale, à l'égard des droits d'association et de réunion? Conquis ou développés en février, proclamés et consacrés dans plusieurs actes législatifs, mais imparfaitement réglementés par la loi du 28 juillet 1848, ces droits n'étaient reconnus par la Constitution que dans les limites voulues par les droits ou la liberté d'autrui et par la sécurité publique. De là, nécessité d'en régler l'exercice, sous leurs diverses formes, par une loi complète, conciliant les droits respectifs. Le plus urgent était de décider si le droit de club devait exister ou s'il ne fallait pas fermer et proscrire ces foyers d'anarchie, menaçants pour tous pouvoirs constitués, que la loi de juillet avait autorisés en essayant de les réglementer. Il a bien fallu reconnaître que les révolutions vont toujours trop loin, que les droits qu'elles donnent d'elles-mêmes tombent fatalement dans l'excès, que l'abus nécessite une réaction, et qu'elle doit être en raison de l'exagération du droit. L'essai avait été malheureux, il fallait en venir à une suppression trop longtemps différée : l'Assemblée constituante ellemême l'a votée, après des débats orageux; mais le temps lui a manqué pour rendre ce vote définitif. Saisie d'un projet plus simple, l'Assemblée législative n'a pas hésité à proscrire les clubs et à confier même au gouvernement, pour un an, le pouvoir d'interdire toutes réunions qui compromettraient la sécurité publique, se réservant de réglementer dans l'année le droit de réunion (2). A l'égard des associations, avec

(1) L. 9 août 1849. Voy. notre commentaire, J. cr., art. 4602. aussi infrà, p. 12.

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(2) 26 janv. 1849, présentation d'un projet de loi portant: « Les clubs sont interdits» (Monit., 27 janv.). 29 janv., discussion sur la violation prétendue de la Constitution (Monit., 30 janv.). En février, rapport et projet nouveaux, par M. Crémieux (Monit., 24 fév.).—Du 19 au 24 mars, discussion non interrompue (Monit. du 20 au 25 mars). 14 juin 1849, présentation d'un projet

ou sans réunions périodiques, on a maintenu les dispositions de la loi du 28 juillet (remplaçant les art. 291 et suiv. du Code pénal), qui laissent libres toutes associations industrielles et de bienfaisance, qui proscrivent les sociétés secrètes et qui exigent seulement une déclaration préalable pour les cercles ou autres réunions non politiques n'étant pas publiques absolument. Dans la discussion orageuse qui eut lieu à l'Assemblée constituante, relativement aux clubs, la minorité de la commission, faisant prévaloir le système de proscription des clubs, proposa un projet qui définissait l'association sans réunions et réglementait les associations licites; mais il y avait encore beaucoup de confusion, et ce fut le motif principal de l'ajournement. La loi de l'Assemblée législative a laissé intacte la question relative aux associations. Elles sont donc libres, excepté toutefois les sociétés qu'a prohibées ou réglementées la loi de 1848, les associations ayant un but illicite d'après les lois pénales ou prohibitives, et les associations ou congrégations assujetties à des conditions nécessaires par les lois de police générale non abrogées (1). Quant aux coalitions attentatoires à la liberté du travail ou de l'industrie, elles demeurent soumises aux dispositions du Code pénal qui les concernent les coalitions entre ouvriers ou entre patrons, spécialement, ont fait l'objet de longues discussions aux deux Assemblées nationales, et d'une loi récente modifiant le Code pénal conformément au principe d'égalité qui domine dans la Constitution, mais aussi rendant la répression plus sûre et plus énergique (2).

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Une autre loi organique, également importante et urgente, était celle qui devait à la fois protéger et contenir la liberté de la presse. Mais, ici encore, on a bientôt compris qu'une révolution ne peut jamais donner tout ce qu'elle promet, que les excès qui s'ensuivent légitiment des restrictions plus sévères la Commission exécutive et le gouvernement temporaire du général Cavaignac en avaient fait eux-mêmes l'expérience; l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative, ainsi que le nouveau pouvoir exécutif, ont senti la nécessité de commencer par la répression des écarts de la presse, devenus intolérables. Une loi provisoire, présentée en octobre 1848, adoptée par une commission spéciale de l'Assemblée constituante, a été presque constamment à l'ordre du jour pendant les trois premiers mois de 1849; quelques-unes seulement de ses dispositions, avec des modifications graves, ont été votées

pour autoriser la fermeture des clubs et autres réunions dangereuses (Monit., 15 juin). Trois jours après, rapport de M. J. de Lasteyrie, avec projet plus explicite (Monit., 19 juin). 19 juin, loi pour l'interdiction des clubs et la fermeture de toutes réunions menaçantes (voy, J. cr., art. 4510).

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(1) Voy. 1. 28 juill. 1848 (J. cr., art. 4340). Voy. discussion législative (Monit., 20-25 mars 1849). Voy. l'arrêt concernant la société de la Solidarité républicaine : Rej. 13 décemb. 1849 (J. cr., art. 4627).

(2) L. 27 novemb. 1849. art. 4625.

Voy. notre exposé préliminaire et la loi, J. cr.,

par la Constituante expirante; les autres, reproduites en juin à l'Assemblée législative, ont été adoptées en juillet avec des développements extrêmement remarquables. La plupart des dispositions de la loi de septembre 1835 qu'avait abrogée le gouvernement provisoire sont rétablies; les distributions qu'avait favorisées la dernière loi de la Constituante sont entravées par des prescriptions atteignant surtout le mauvais colportage; certaines attaques ou offenses envers le président de la République sont érigées en délits, ainsi que les provocations qui seraient adressées aux militaires pour les détourner de leurs devoirs, les attaques contre le respect dû aux lois, certaines publications contraires à la justice, la publication ou reproduction avec mauvaise foi de nouvelles falsifiées, etc., etc.; enfin, la poursuite et la répression de tous les délits de presse sont rendues plus faciles et plus promptes. C'est en quelque sorte une loi complète de répression, quant aux délits de presse qui blessent le plus la société (1).

L'organisation judiciaire devait aussi avoir une loi fondamentale, d'après la Constitution et le décret du 11 décembre : les projets successifs, ainsi que toutes les discussions, ont abouti au maintien de l'organisation actuelle, consacré par une solennité imposante; la loi définitive aura, entre autres choses, à décider si les chambres d'accusation doivent ou non être conservées, et nous espérons qu'on les maintiendra (2). Parmi les autres lois organiques, encore à l'étude ou à l'état de rapport, sont, outre celle qui réglera la reponsabilité de tous les dépositaires du pouvoir : la loi qui doit reconnaître la liberté de l'enseignement, proclamée par la Constitution, mais en même temps donner des garanties à la société ainsi qu'aux familles contre l'abus du droit d'enseigner (3); la loi qui organisera l'administration départementale et communale, et qui sans doute définira tous les pouvoirs administratifs, quant à la police notamment ; la loi d'organisation de la force publique, qui réglera le recrutement pour l'armée et peut-être les tribunaux militaires, qui régularisera le service de la garde nationale et tout ce qui tient à la discipline.

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La peine de mort a été l'objet de propositions diverses et de débats

(1) Voy. J. 21 avril 1849 (J. cr., art. 4580); et l. 27 juill. 1849 (J. cr., art. 4532 et 4580). Voy. aussi notre dissertation sur le colportage, art. 4532.

(2) Voy. Constit. de 1848, art. 87 et 114 (J. cr., art. 4392); discussion à l'Assemblée nationale (3 fév. 1849); l. 8-11 août 1849, avec le rapport qui a précédé (Monit., 26 juill., 8 et 9 août). Les inconvénients qui résulteraient, au point de vue judiciaire, de la suppression des chambres d'accusation, ont été parfaitement démontrés par M. Guyho dans la Revue de législation, cahier de sept. 1849, p. 142 et suiv.

(3) Le projet de loi sur l'instruction publique a été préparé par le gouverne ment, examiné par une commission de l'Assemblée législative et par le conseil d'État, qui l'ont plus ou moius modifié. Le projet de la Commission a été présenté à l'Assemblée le 31 décemb. 1849 (voy. Monit., 8 janv. 1850).

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