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rigé de ce défaut? Valentin, qui était son ennemi. Celui-ci avait exagéré dans toutes les sociétés, les indiscrétions, la curiosité et les inconséquences du jeune Saint-Gérant ; aussitôt que ce dernier entrait, on se tenait sur la réserve, on ne disait presque plus rien. Etonné de ce silence, répété plusieurs fois, il se hasarda, un jour, à en demander la cause; on eut la bonté de l'en instruire, et il s'est tellement observé depuis, qu'il n'est plus personne qui ne le croie parfaitement corrigé de ces trois défauts.

Il échappe souvent aux journalistes des fautes, des niaiseries, des balourdises, et quelquefois des bassesses. Nous lisons leurs feuilles sans nous en apercevoir; qui nous en instruit? ce sont les journaux d'une couleur opposée.

Vous ne connaissez pas à fond la musique. Un nouvel opéra vient de paraître; vous l'avez vu jouer, tous les airs vous ont fait plaisir; parlez-en à un ennemi du compositeur, profondément instruit dans cet art divin, il vous dira que tel duo est un plagiat habilement déguisé ; que les choeurs manquent de force et de mélodie, enfin vous apprendrez tous les endroits faibles du musicien.

Vous n'êtes pas assez initié dans les mystères de la haute poésie. Un poème vient

à paraître; le sujet en est beau, le plan vaste, et il s'y trouve des beautés du premier ordre sur l'éloge qu'on en fait vous l'achetez. Vous aimez les beaux vers; vous dévorez ceux-ci tout dans ce poème vous paraît admirable; mais, vantez-le comme un chef-d'œuvre à un poéte ennemi de l'auteur, il vous montrera toutes les pensées fausses, alambiquées, les vers faibles, prosaïques, les fausses images, les mauvaises métaphores, les fautes de style et les vices de plan.

Voulez-vous savoir si un banquier affiche un luxe insolent et qui surpasse ses moyens, vous l'apprendrez d'un banquier son ennemi. Si nous voulons nous-mêmes connaître quels sont nos défauts, tâchons d'écouter, sans être aperçus, la conversation de nos ennemis sur notre compte.

Moi j'entendrai dire, j'en suis sûr, que je suis fier de ma fortune et du rang où je suis élevé; toi, Firmin, que tu es enclin à la paresse, et toi, Saint-Félix, un peu trop emporté. C'est ce que disait hier un homme qui ne nous veut pas de bien; mais dont je vous tairai le nom, pour ne point vous accoutumer à la haine. Ainsi, mes enfans, tâchons de nous corriger tous les trois.

Un jeune auteur, qui jouit déjà d'une certaine réputation, apprendrait sans doute qu'il doit plutôt celle dont il jouit à lá

chaleur du parti qu'il a embrassé, qu'à la perfection de ses écrits; cela lui deviendrait utile, il apporterait plus de temps et plus de soins à ses ouvrages; il y gagnerait,

et ses ennemis trouveraient moins de motifs à leur censure.

Tel homme en place entendrait dire que ce n'est point au talent, mais à la bassesse et à l'intrigue, qu'il doit les hautes dignités dont il est revêtu; tel magistrat, qu'il est un pédant en robe rouge; tel ministre du seigneur, un hypocrite ambitieux; enfin, plus d'un com-1 merçant, qui se croit un parfait honnête homme, apprendrait quelques particularités sur son compte, qui n'annoncent pas une conscience exempte de reproche.

Passons au paragraphe suivant :

On se venge de ses ennemis en devenant soiméme plus homme de bien.

et

«Ne voyons-nous pas sur nos théâtres, « ceux qui jouent aux fêtes de Bacchus, « qui n'ont point de concurrent, se négliger « et remplir nonchalamment leurs rôles? leur « oppose-t-on des rivaux qui excitent leur « émulation? ils s'appliquent davantage, dis«posent mieux leurs instrumens, et mettent dans leur chant et dans leur jeu plus d'har

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monie et de régularité. De même, quand «< on se connaît un ennemi, qui, jaloux de « notre gloire, cherche dans notre vie de « quoi nous rabaisser, n'est-on pas plus at« tentif sur soi-même ? ne pèse-t-on pas avec «< plus de soin toutes ses actions? ne met-on << pas dans sa conduite plus d'accord et d'har<< monie? On disait devant Scipion Nasica, <«< que la puissance romaine n'avait plus rien « à craindre, depuis que Carthage était dé« truite et la Grèce soumise. « Au contraire, « répondit-il, nous sommes bien moins en « sûreté, maintenant que nous n'avons plus «< personne qui puisse nous faire craindre ni « rougir.» Rien n'est plus sensé, ni plus «< conforme à la saine politique que la ré<< ponse de Diogène, à un homme qui lui de<< mandait comment il devait se venger <<< ennemi : « En devenant vous-même plus << homme de bien. » Quand on voit les che<< vaux et les chiens d'un homme qu'on n'aime «< pas, prisés et estimés, ses terres et ses jar« dins bien cultivés et en bon rapport, n'é« prouve-t-on pas une espèce de tristesse? « Que sera-ce donc, si votre ennemi vous « voit juste, prudent et bon, sensé dans << vos discours, honnête dans vos actions, « réglé dans votre conduite? « Ceux qui sont « vaincus, dit Pindare, ont la langue liée, et n'osent pas parler. » Cela est-il vrai de

de son

tous en général? Non; mais de ceux-là seu<«<lement qui se voient vaincus par leurs en«nemis, en vigilance, en bonté, en grandeur <«<d'ame, en bienfaisance, en humanité. Voilà, « selon Démosthènes, ce qui lie la langue, <«< ferme la bouche, suffoque, et réduit au «<plus triste silence.

« Voulez-vous mortifier un homme qui <«vous hait? au lieu de lui reprocher qu'il «est mou et efféminé, qu'il vit dans le li

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bertinage, qu'il est injuste et avare; soyez « vous-même homme de bien, vivez avec <«< tempérance, respectez la vérité, paraissez << en toute rencontre ami de la justice et de « l'humanité. Vous croyez-vous obligé de le «reprendre? prenez garde de tomber dans <<< aucun des vices que vous blâmez en lui. «Sondez votre ame, examinez tous ses en« droits faibles, pour n'être pas exposé à vous «entendre dire, comme dans la tragédie : « Tu « veux guérir les autres, et tu es toi-même « couvert de blessures. »

« Un ennemi vous reproche-t-il votre igno«rance? redoublez d'ardeur pour le travail, «<et de goût pour les sciences. Vous acccuse«t-il de lâcheté? ranimez votre courage. Vous << traite-t-il de lascif et d'intempérant? voyez, « si vous n'avez pas quelque penchant à la volupté, et effacez-en de votre ame jusqu'à « l'apparence. Rien ne serait plus honteux et

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