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«perflues, par des digressions hors de propos, <«< ils suspendent sa marche, et font perdre le fil << de l'enseignement; ils ressemblent, dit Hiéro«< nime, à ces chiens lâches et craintifs, qui, à la << maison, mordent les peaux de bêtes féroces, << et en arrachent les poils; mais qui, dans les << bois, n'osent toucher aux animaux eux<< mêmes. >>

Tous les commencemens sont en effet difficiles dans quelque science que ce soit. Si le jeune homme est de suite rebuté par les premières difficultés, il lui est impossible d'atteindre aux connaissances qu'il voudrait acquérir? C'est dans les élémens d'un art ou d'une science qu'il doit apporter plus d'aptitude et de constance. Il faut donc qu'il s'accoutume à bien écouter ce que lui dit l'orateur, ou, si vous l'aimez mieux, le maître qui s'efforce de lui rendre claires les obscurités des premières leçons, s'il veut parvenir à se familiariser avec elles, et à en bien saisir le sens et l'utilité. S'il a honte de demander au maître de lui expliquer ce qu'il n'entend pas, il sortira sans avoir rien compris et n'aura conséquemment que des idées fausses et imparfaites sur ce qu'il veut apprendre. Il ne faut pas qu'il craigne, par vanité, de passer pour un esprit lent à concevoir, et les railleries de ses condisciples à cet égard ne doivent au contraire qu'exciter son émulation. Les esprits lents, mais qui

ont de la constance et que les difficultés ne rebutent pas, sont toujours ceux qui font les progrès les plus durables; ce qu'ils apprennent şe grave dans leur mémoire plus profondément que dans celle des autres, en raison de la peine qu'ils ont eue à l'y faire entrer. Ceux qui ont la conception très-facile, oublient de même en raison de la facilité qu'ils ont à saisir ce qu'on leur explique; c'est ce qui fait que nous voyons tous les jours des jeunes gens qui passaient pour des prodiges d'intelligence, ne rien faire de remarquable; et d'autres, qui avaient la conception lente et tardive, arriver, avec le temps, aux plus heureux résultats. Les jeunes phénomènes ne sont pas toujours des hommes transcendans; ils ressemblent souvent à ces arbres trop précoces qui produisent des fleurs avant la saison, et dont les fruits n'arrivent point à leur maturité.

Les jeunes gens doués d'une intelligence prompte et facile, ont presque toujours des défauts qui nuisent essentiellement à leurs progrès. La présomption, l'amour-propre et la vanité les rendent paresseux et inattentifs; ils croient que la nature a assez fait en leur faveur pour ne pas se donner la peine de l'aider par le travail; ils se fient à leur mémoire, à leur intelligence, et s'aperçoivent, mais trop tard, qu'ils ont eu tort de ne pas cultiver ces dons précieux; les esprits pares

seux dont ils se moquaient sont devenus ce qu'ils devraient être eux-mêmes.

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Il en est beaucoup aussi qui affectent une conception plus facile qu'ils ne l'ont en effet. Ceux-là ne parviendront à rien: ce sont des présomptueux qui n'ont aucune des qualités propres à leur faire pardonner cette présomption. Ils sont retenus par la fausse honte d'avouer qu'ils n'ont rien compris ; ce sont des orgueilleux qui croupiront dans l'ignorance. Interrogez-les après la leçon, sur ce que le maître aura dit, ils éviteront de vous répondre, ils se mettront à jouer, pour ne pas convenir de leur sotte vanité et de leur arrogance.

Ceux-là n'importunent pas le maître par leurs questions; ils rougiraient de lui en faire; ils veulent qu'on soit persuadé qu'ils ont de l'intelligence, et ils affecteront tous les jours de saisir avec la plus grande sagacité ce qu'ils ne comprennent aucunement. Ce sont des incorrigibles dont il ne faut plus s'occuper.

Les difficultés que vous avez trouvées dans vos premières leçons vous sont devenues familières, parce que vous avez apporté toute votre attention aux discours de votre maître.

Il en est de même dans la société; il est une infinité de nuances à saisir, pour s'y faire accueillir avec avantage, qui demandent toute votre attention et toute votre intelli

gence. Ne vous y rendez pas importuns par vos questions; mais ne négligez pas de chercher à vous instruire des usages qui se pratiquent dans les sociétés, et dont vous n'auriez aucune connaissance. Je ne veux pas vous produire dans le monde pour vous exposer au ridicule; mais je veux au moins que vous travailliez vous-mêmes à vous familiariser avec ses lois, ses coutumes et ses usages. On y tient souvent à des minuties, et c'est à ces minuties qu'il faut se soumettre pour ne point se faire remarquer; c'est une dépendance qu'on s'impose et qui nous rend plus sociables.

En même temps qu'un jeune homme s'instruit par les leçons des autres, il doit s'exercer à inventer et à composer lui-même.

<< Pour les esprits lents et tardifs, je leur con«<seillerai de s'attacher à bien saisir les points principaux du sujet qu'on a traité; de s'es«sayer ensuite à les remplir,' et de trouver, à «l'aide de leur mémoire, ce qu'il faudra y «< ajouter. Le peu qu'ils auront retenu sera «< comme un premier germe, qu'il ne s'agira <«< plus que d'accroître et de nourrir. L'esprit

n'est pas comme un vase qu'il ne faille que « remplir : semblable aux matières combusti«bles, il a plutôt besoin d'un aliment qui «<l'échauffe, qui donne l'essor à ses facul

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« tés, et l'enflamme pour la recherche de « vérité. Que diriez-vous d'un homme qui, al«lant chercher du feu chez son voisin, et « trouvant le foyer bien garni, y resterait à se «chauffer, et ne penserait plus à retourner «< chez lui? Voilà l'image d'un jeune homme « qui, prenant des leçons d'un philosophe, loin « de s'appliquer à faire passer dans son ame «< la chaleur qui sortirait de ses discours, et << se bornant au plaisir de l'entendre, se tien<drait tranquillement assis auprès de lui; il a pourrait en apporter une apparence de sa<< voir, semblable à ce rouge vif dont le feu << nous colore; mais la chaleur de la philoso«phie ne détruirait pas la rouille attachée à * son ame, ni sa lumière n'en dissiperait pas « les ténèbres. A tous les préceptes que j'ai « donnés sur cette matière, je n'ajouterai qu'un «mot; c'est qu'en même temps qu'on s'ins« truit par les leçons des autres, il faut s'exer«cer à inventer soi-même et à composer; par «< ce moyen on emportera de son étude, non « un savoir d'ostentation, comme le sophiste, «ou des connaissances de pure spéculation, «mais une science vraiment philosophique, qui formera dans l'ame une habitude perma«<nente car l'application à bien écouter est le commencement d'une bonne vie. »

Ici se termine le chapitre du philosophe. Vous avez dû voir qu'il est entièrement consa

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