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Quels sont ceux en effet, mes enfans, que nous devons chérir et aimer à l'égal de nos parens? personne : leur préférer un ami c'est leur faire une insulte. Où trouverons-nous des consolations? à qui confierons-nous nos chagrins et nos peines, si ce n'est à un frère? L'amitié ne peut remplacer les liens du sang; la voix de la nature doit être toujours plus forte que celle de l'amitié, et puisque nous avons besoin d'amis, pourquoi les chercher hors de notre famille ? ne sont-ils pas les plus près de nous. Les noms de frère et de sœur sont si beaux, sont si doux à prononcer, qu'ils présentent toujours l'image de l'union, de la tendresse et de l'attachement; et comment se priver pour un étranger du bonheur qu'ils procurent. Ayez des amis, mes enfans, le nombre n'en est jamais trop grand, quand ils sont sincères; mais songez l'un et l'autre que le meilleur que vous puissiez avoir, c'est votre frère. Aussi Plutarque dit-il dans son premier paragraphe :

L'union fraternelle est la force et la santé des familles.

Aristarque, père de Théodecte, disait, « pour se moquer de la multitude des sophistes, « qu'autrefois on ne comptait pas plus de sept «sages; mais que, de son temps, on'eût trouvé << avec peine un pareil nombre de gens qui ne le

a fussent pas. Pour moi, je vois qu'aujourd'hui « l'amitié fraternelle est aussi rare que la haine « entre des frères l'était autrefois. Cependant « la nature à mis bien près de nous, ou plutôt « dans nous-mêmes, un exemple sensible du « concert qui doit régner entre des frères; la * plupart des membres de notre corps, les

«

plus nécessaires, sont doubles, et, pour ainsi « dire, frères jumeaux, tels que les mains, les « pieds, les yeux, les oreilles et les narines ; a cette séparation a eu pour motif leur aide et « leur conservation réciproque, loin qu'elle « doive être une occasion de dispute et de << combat. La main, divisée aussi en plusieurs « doigts inégaux, est par ce moyen le plus << adroit et le plus utile de tous les instrumens; << au point qu'Anaxagoras l'ancien, plaçait dans << la conformation de la main, le principe de la « sagesse et de l'intelligence humaine. Il est << évident que la nature, en formant de la « même matière et par le même principe, << deux, trois, et plusieurs frères, ne les a << pas séparés pour les faire vivre en guerre; << mais pour s'entr'aider avec plus de facilité. « Ces géans à trois corps et à cent mains, si « jamais il en a existé de tels, ayant tous leurs « membres unis, ne pouvaient agir séparément « les uns des autres. Mais des frères peuvent «habiter et voyager ensemble, administrer les affaires publiques et cultiver la terre en

« commun, lorsqu'ils entretiennent ce sen<«<timent d'amitié et de bienveillance que la << nature a mis en eux; s'ils le détruisent, ils << ressemblent à des pieds qui chercheraient «< mutuellement à se supplanter, ou à des doigts << qui s'entrelaceraient l'un dans l'autre, et se << disloqueraient en forçant la nature.

« Dans un corps où les principes opposés, « tels que le froid et le chaud, le sec. et l'hu« mide, réglés par une même nature, reçoi<< vent une nourriture commune; il résulte de « leur équilibre parfait, cette douce harmo«< nie, cette constitution saine, sans laquelle «< ni les richesses, ni la dignité royale elle«< même, qui rend l'homme égal aux dieux, « sont sans agrément et sans utilité. Mais ces << principes constitutifs de notre corps sont-ils « en guerre les uns contre les autres? la des«<truction déplorable de l'individu en est la << suite nécessaire: de même l'union fraternelle « est la force, et, pour ainsi dire, la santé des « familles; par elle, les amis et les proches, <«< comme un chœur de musique bien réglé, << mettent dans leurs actions, dans leurs paro«<les, et jusque dans leurs pensées, un accord « parfait. »>

Une famille désunie est le spectacle le plus affligeant; c'est l'image d'un état en proie à l'a narchie.

La morale publique est outragée lorsque des

frères, au mépris des liens du sang, se haïssent, se querellent et se traitent en ennemis. Cette famille, qui, avant sa désunion, était généralement estimée, a perdu toute considération, toute confiance; chacun de ses membres est regardé avec l'œil du mépris, on le fuit, on l'évite, on craint d'entrer en relations d'intérêts avec lui; on doute de sa probité; on ne peut croire qu'un mauvais frère puisse être un homme délicat dans les affaires et sincère dans ses liaisons. Il est rare que les enfans d'une telle famille réussissent dans leurs entreprises. Il semble que le doigt de Dieu les poursuit partout, pour les punir d'avoir séparé ce qu'il s'était plu

à réunir.

Mais quel tableau plus intéressant que celui d'une grande famille où règnent l'amitié et l'union la plus parfaite, où le frère est heureux du bonheur de son frère, où chacun des membres vole au secours de celui qui éprouve des pertes, où l'on fait un égal partage des peines et des plaisirs. La prospérité de tous est le fruit retirent les membres d'une famille si bien unie. Des distances considérables ont beau les séparer, ils s'aident de conseils, de protection, de secours; et s'il en tombe un dans l'infortune, le deuil est général, mais on se hâte, on s'empresse de le relever; on cache même jus

que

qu'à ses fautes, s'il a pu en commettre. L'union de cette famille fait sa force et sa santé. S'attaquer à un seul, c'est s'attaquer à tous les membres; faire du bien à l'un d'eux, c'est en faire à tous point de rivalités, point de jalousies entre eux, c'est le même esprit, ce sont les mêmes sentimens. C'est ainsi que doivent être des frères. Il est presqu'impossible qu'il n'y ait pas quelques différences entre eux dans le caractère, dans les capacités; mais ils doivent se pardonner leurs caprices et leurs défauts avec cette indulgence et cette bonté qui ne peut se trouver que dans le cœur d'un bon frère et par conséquent du meilleur ami que nous puissions avoir.

Le besoin d'avoir des amis nous avertit de ménager avec soin ceux qui nous sont unis par les liens du sang.

« Un esclave calomniateur, un flatteur « étranger, ou un citoyen envieux, se glissent << adroitement et usurpent l'autorité. Un malade << a de l'aversion pour les alimens qui lui con« viennent, et éprouve des apétits désordon« nés et nuisibles. Ainsi, dans une famille, la « méfiance et les soupçons attirent des socié«<tés dangereuses qui s'insinuent du dehors « dans le vide que la division y laisse.

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