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toujours de la différence entre eux, soit dans les formes du corps, soit dans les caractères, soit dans l'intelligence; les uns ont plus d'aptitude, plus de perspicacité que les autres. Mais s'ensuit-il de là qu'ils doivent être désunis, et n'est-il pas beau à celui qui a de la supériorité sur ses frères par ses talens ou sa fortune, de ne pas la leur faire sentir, et de se rabaisser pour redevenir leur égal. Lucullus ne voulut point entrer en charge avant son frère, quoiqu'il fût son aîné, et il attendit, pour se mettre sur les rangs, que son frère fût en âge de se présenter. Pollux refusa pour lui seul la divinité, et, préférant de n'être qu'un demidieu, il conserva en partie la condition mortelle, pour partager avec son frère l'immortalité. On peut égaler son frère à soi, sans rien perdre des biens que l'on possède, en lui faisant partager l'usufruit de sa gloire, de ses vertus, ou de sa prospérité. C'est ainsi que Platon a rendu ses frères célèbres, en les choisissant pour interlocuteurs de ses plus beaux dialogues; Glaucon et Adimante, de sa république, et Antiphon, le plus jeune, de son Parmenide. En conseillant à des frères de bannir du milieu d'eux le tien et le mien, on peut conserver entre eux, autant qu'il est possible, une parfaite égalité, et établir dans les familles le fondement le plus solide d'une paix et d'une concorde durable. Le roi de Lydie demandait

ǎ Pittacus s'il était riche. « Deux fois plus que je ne voudrais, répondit Pittacus, parce que j'ai perdu mon frère. » Que tous ces exemples soient sans cesse présens à votre mémoire, pour demeurer toujours unis comme vous l'êtes.

Celui qui a l'avantage sur ses frères ne doit point chercher à les déprimer.

« Comme il y a de l'inégalité dans les talens <«<et dans la fortune des frères, il est impos<«<sible aussi qu'un seul d'entre eux soit en << tout supérieur aux autres. Les élémens, «< formés dit-on d'une même matière, ont les «< qualités les plus contraires; mais on ne vit « jamais que de deux frères, nés d'un même «< père et d'une même mère, l'un fut tel que « le sage des Stoïciens, beau, agréable, libé<«<ral, honorable, riche, éloquent, studieux << et humain, et l'autre, laid, désagréable, « avare, méprisable, pauvre, sans talent pour <«< la parole, ignorant et misanthrope; les moins << estimables, les moins favorisés de la nature, << ne sont pas sans agrément, sans faculté, sans << aptitude au bien.

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Que celui qui a l'avantage sur ses frères << ne cherche point à les déprimer, à obscur«cir leurs belles qualités, à leur enlever la palme comme dans un combat. »

Dans les choses mêmes où il a de la supériorité, un frère doit consulter ses frères et s'aider de leurs conseils, de leurs avis, exalter leurs belles qualités, au lieu de les déprimer; c'est surtout lorsqu'il entend quelqu'un les attaquer dans leur honneur, leur moralité, leur conduite, qu'il doit les défendre

e; ce qu'on dit de son frère, il doit le regarder comme s'adressant à lui-même, et le repousser de toute son indignation et de toute son éloquence, comme si l'on parlait directement à lui. Il ne doit rien souffrir de ce qui tend à rabaisser l'estime que l'on peut avoir pour ce frère; cacher ses défauts, s'il en a; les couvrir d'un voile impénétrable, s'il lui est possible, et prouver qu'il est estimable lors même qu'il ne serait pas tel en effet. Il défend son honneur, il défend celui de son père et de sa mère, en prenant la défense de son frère, et cette défense tourne à son avantage, en lui gagnant l'estime de tout le monde.

Le plus malheureux de tous les hommes est celui qui porte envie à son frère.

Plutarque poursuit ainsi :

« Tels sont les conseils que je donnerais à « celui qui est supérieur aux autres : quant à

«< celui qui n'a pas les mêmes avantages, il << doit penser que son frère n'est pas le seul «< qui soit plus riche, plus savant, plus estimé « que lui; dans cette multitude d'hommes, il «< y en a un très-grand nombre qui sont au« dessus de lui. S'il porte envie à tous, ou si, <«< dans cette foule de gens heureux, il n'est « affligé que du bonheur d'un frère qui, lui << étant uni par les liens du sang, devrait lui « être si cher, il est en vérité le plus malheu<< reux de tous les hommes. Métellus disait « les Romains devaient rendre grâce aux que « dieux de ce qu'un aussi grand homme que << Scipion n'était pas né ailleurs qu'à Rome. De « même chacun doit souhaiter d'être le mieux << partagé des dons de la nature et de la for« tune, ou, s'il ne le peut, désirer du moins « pour son frère la supériorité qu'il demandait « pour lui-même. »

Celui qui a le malheur de porter envie à son frère, doit être envieux de la prospérité de tous les autres hommes; il doit par conséquent être le plus malheureux de tous. Chaque personne qu'il voit et qui le surpasse en talent, en richesse ou en dignité, doit être un tourment pour lui, et chacun de ses regards un supplice. A quoi nous conduit l'envie? seulement à souffrir.

Il vaut mieux, pour son propre bonheur, regarder ceux qui sont au-dessous de nous,

que ceux qui nous sont supérieurs, et cela dans quelque circonstance que ce soit. Il ne faut donc être envieux de personne et encore moins de son frère que de tout autre. Il n'en doit pas être de deux frères, dit notre philosophe, comme des bassins d'une balance dont l'un s'élève à mesure que l'autre baisse. L'ambition entre frères leur est ordinairement funeste, parce qu'elle les désunit et détruit l'harmonie qui devait régner dans la famille; elle est le fléau des états, lorsque des frères ne veulent pas rester à la seconde place auprès du trône. Cratère fit les fonctions de lieutenant sous son frère Antigonus, et eut soin de ses affaires domestiques. Périlaüs en fit autant pour Cassandre. Mais l'ambition funeste des Séleucus, des Grypus, des Cysicénus fit leur propre malheur et celui de l'Asie qu'ils désolèrent, parce qu'ils ne voulurent pas rester à la seconde place après leur frère, et qu'ils aspirèrent à la pourpre et au diadême.

Pour éviter la jalousie entre frères, il est bon qu'ils poursuivent des carrières différentes.

« Il est ordinaire aux hommes ambitieux de «< concevoir de la jalousie et de la rivalité con<«<tre ceux qui les surpassent en gloire et en « honneur. Afin de l'éviter, il serait utile à « des frères de prendre, pour parvenir, des

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