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vous le faites. >> dame?»<«< Comment? répliqua-t-elle ; de deux choses l'une, ou vous êtes insensible, ou vous avez de faux mollets, car voilà deux épingles que je vous enfonce dans celui-ci, et vous ne les sentez pas. » On partit d'un grand éclat de rire; chacun voulut voir les deux épingles, et les vit en effet. Mon original pâlit et rougit; en moins de deux secondes il ouvrit la porte et se sauva. Depuis je ne l'ai pas revu; mais cette aventure nous a beaucoup divertis.

« Comment cela, ma

Voilà le portrait de la plupart de ceux qui censurent les autres, ce sont les plus à craindre, parce que ce sont des hommes faux et hypocrites. Ils ont plus de défauts que ceux qu'ils censurent, mais ils ont le soin de les cacher; on ne les découvre qu'en leur enfonçant des épingles.

Dans une capitale aussi vaste, et où il est si facile d'échapper aux regards, il est trèsordinaire d'entendre prêcher morale le matin par des hommes qui vont se rouler dans la fange le soir.

L'hypocrisie, dans tous les genres, est à l'ordre du jour : on n'a plus que le masque des mœurs qu'on affiche. Celui qui crie après le jeu de la hausse et de la baisse, dans son quartier et dans les salons qu'il fréquente, est celui qui en fait mouvoir les ressorts. Il y a

beaucoup de tartufes de religion; mais les tartufes de mœurs sont en plus grand nombre: c'est un vice que nous ont transmis des temps antérieurs. Des femmes se sont acquis beaucoup de réputation par des écrits consacrés à la morale et à l'éducation des jeunes demoiselles; et ces femmes, en prêchant la vertu, n'étaient et ne sont encore que des intrigantes et des personnes de mœurs les plus dépravées.

Beaucoup de jeunes gens même se salissent tous les jours de la boue du siècle actuel. Ils vous diront que leur tailleur, leur chapelier, leur bottier sont des fripons. Consultez ces honnêtes artisans, ils vous répondront qu'ils sont la dupe de ces jeunes censeurs ; que tout ce qu'ils leur ont avancé leur est dû; qu'ils ne peuvent en arracher un sou. Que font donc ces jeunes gens des sommes que leur donnent leurs parens pour les entretenir à Paris? Au lieu de payer leurs dettes, de s'occuper sérieusement de leurs études, ils jouent, courent les cafés, les spectacles, les bals publics, recherchent les femmes sans conduite, et engagent par avance, pour se procurer de l'argent, ce qui doit un jour leur échoir en partage. Cependant, à les entendre, ce sont des amis de la morale publique, et ils crient au scandale bien plus fort que les personnes réellement honnêtes. De tels jeunes gens ne sont point bons à fréquenter; il en est tant d'au

tres qui se livrent sérieusement à l'étude, ce sont ceux-là qu'il est bon de voir et de connaître.

Pour étre homme de bien il faut avoir des amis sincères ou des ennemis ardens.

« On peut blâmer utilement son ennemi; «< mais il n'est pas moins utile d'être blâmé « soi-même par ceux qui nous veulent du « mal, lorsqu'on sait en profiter. Aussi An«< thisthène disait-il, avec beaucoup de sens, « que pour être homme de bien, il fallait << avoir ou des amis sincères, ou des ennemis «ardens. Les premiers nous éloignent du mal << par leurs avis, les seconds leur censure. << Mais comme aujourd'hui l'amitié flatte hau« tement, et qu'à peine elle ose élever la voix << quand elle devrait parler avec liberté, c'est « de la bouche d'un ennemi qu'il faut se ré«<soudre à entendre la vérité. Téléphe, qui << n'avait reçu aucun soulagement de ses mé

par

decins ordinaires, trouva dans le fer de son << ennemi un remède à sa blessure. Ainsi, quand « nous manquons d'un ami sincère qui nous « redresse par ses conseils, écoutons patiem«<ment les reproches d'un ennemi qui* gour«mande nos vices, et arrêtons-nous bien «< moins à la mauvaise intention qui le « guide, qu'au service réel qu'il nous rend.

« Un ennemi de Pronathis le Thessalien « l'ayant frappé de son épée, à dessein de le «< tuer, perça du coup un abcès qu'il avait, et << lui sauva la vie. Tel est souvent l'effet d'une «< médisance dictée par la colère ou l'inimi« tié; elle guérit notre ame d'une maladie qui << nous était inconnue, et que nous avions né«< gligée. Mais que font la plupart des hommes

quand on les reprend? Au lieu d'examiner << si les réprimandes sont fondées, ils usent de «< récriminations. Semblables aux lutteurs, <«< qui ne secouent pas la poussière dont ils << sont couverts, mais qui en couvrent leurs « adversaires, ils ne pensent point à se justi<< fier, mais ils se chargent mutuellement d'in«<jures, et s'accablent les uns les autres des << traits de la plus noire médisance. Ne serait« il pas plus raisonnable, dans ces occasions, « de corriger le vice dont nous sommes jus« tement repris, avec plus de soin que nous << n'ôterions de dessus nos habits une tache qu'on nous aurait montrée? Le reproche est<<< il injuste ? Il n'en faut pas moins rechercher «< ce qui a pu y donner lieu, et prendre garde, «si, sans le savoir, nous n'avons pas à nous « reprocher quelque chose de ce genre. Ainsi, « des cheveux peignés avec trop de soin, une « démarche molle et délicate, firent imputer « à Sacyde, roi des Argiens, du déréglement « dans ses mœurs. Pompée, tout éloigné qu'il

« était de mériter une pareille imputation, «en fut cependant soupçonné, parce qu'il << avait l'habitude de se gratter la tête avec « un doigt. On accusa Crassus d'avoir com« merce avec une vestale, sur ce que, vou<< lant acheter d'elle une maison de campa« gne, il était venu la voir plusieurs fois, «<et paraissait lui faire trop assidument la «<cour. Une autre vestale, nommée Posthu<< mia, fut accusée de s'être laissé corrompre, «< parce qu'on la voyait rire et parler trop << librement avec les hommes : elle fut, il << est vrai, déclarée innocente; mais le pon«<tife Spurius Minucius, en prononçant sa * sentence d'absolution, l'avertit de n'être pas << moins réservée dans ses discours que dans « sa conduite. L'amitié de Thémistocle pour « Pausanias, les lettres et les messages figu« rés qu'il lui envoyait, le firent soupçon<«< ner de trahison, quoiqu'il en fût très<< innocent.

«

<< Ne méprisez donc pas une accusation, «< lors même que vous en connaissez la faus«<seté mais examinez vos discours et vos ac«<tions, la conduite de vos amis ou des per«sonnes que vous fréquentez, pour voir ce

qui a pu servir de prétexte à la calomnie, « et pour l'éviter désormais avec soin. Les << accidens et les disgrâces sont pour bien des agens des maîtres utiles. >>

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