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PHEDRE.

Tu connais ce fils de l'Amazone,

Ce prince si long-temps par moi-même opprimé.

OE NONE.

Hippolyte! grands Dieux !

PHÈDRE.

C'est toi qui l'as nommé.

Le spectateur plaint encore Phèdre, malgré toute l'horreur que lui inspire un amour aussi criminel; mais, lorsqu'elle a accusé Hippolyte d'un amour incestueux, et que nous voyons Thésée accabler son fils de toute sa colère, la haine fait place à l'intérêt que Phèdre nous avait inspiré malgré nous, et le poète nous fait concevoir de l'horreur pour la détestable passion qui la rend si criminelle. Racine a donc atteint le but que tout écrivain doit se proposer: celui d'instruire et de corriger les passions.

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La peinture et le récit des mauvaises actions loin de nuire aux lecteurs, leur deviennent au contraire utiles, quand on a soin de faire remarquer la honte et le dommage qu'elles

attirent.

« Un jeune homme donc, en lisant ce que << les poètes font dire et faire à Thersite,

<< personnage ridicule, et au ravisseur Si« syphe, doit louer l'art du poète imitateur, << et détester l'action imitée. Il y a sans doute «< une grande différence entre bien imiter et « imiter une bonne action.

D'un pinceau délicat, l'artifice agréable,
Du plus affreux objet fait un objet aimable;
Ainsi, pour nous charmer, la tragédie en pleurs,
D'OEdipe tout sanglant fait parler les douleurs;
D'Oreste parricide exprime les alarmes,
Et pour nous divertir nous arrache des larmes.

BOILEAU, Art Poétique.

« Prévenons donc les jeunes gens que les poètes << eux-mêmes n'approuvent pas les discours << qu'ils rapportent, et qu'ils attribuent à dessein à des hommes pervers. »

Certes, l'on ne peut croire que Racine, qui avait des principes de vertu, approuvât tout ce qu'il fait dire à Narcisse, dans la seconde scène du second acte de Britannicus. Il rend cet affreux courtisan autant scélérat qu'il peut l'être plus scélérat, on ne pourrait le supporter sur la scène. Lorsqu'après avoir épuisé tout ce que lui suggère son funeste génie, pour pousser au crime Néron, dont le cœur n'y est déjà que trop disposé, et que, resté seul à la fin de l'acte, il le termine par

ces quatre vers qui peignent toute la profondeur de sa scélératesse,

La fortune t'appelle une seconde fois,

Narcisse voudrais-tu résister à sa voix?

:

Suivons jusques au bout ses ordres favorables,
Et pour nous rendre heureux perdons les misérables.

Il n'est personne qui ne se dise : Voilà un monstre, comme on en voit beaucoup, qui sacrifierait l'univers entier à son propre bonheur. Le dernier vers surtout peint toute son ame; il renferme tout le caractère de cet affreux conseiller de Néron. Ce vers est dans le cœur de plus d'un courtisan :

Et pour nous rendre heureux perdons les misérables.

Ce vers fait même tout le fond de la morale et des principes de certains hommes : il est facile de s'en convaincre par leurs actions.

« Ainsi, le récit et la peinture des mauvaises <«< actions, loin de nuire aux lecteurs, leur de<< viennent au contraire utiles, quand on a << soin de faire remarquer la honte et le dom«mage qu'elles attirent. Les philosophes, pour <«< nous instruire, tirent leurs exemples des <«< choses véritables : les poètes produisent les « mêmes effets par des fictions et des exemples << dont ils sont eux-mêmes les créateurs. >>

C'est ainsi que Molière nous avertit du danger qu'il peut y avoir à accorder toute sa confiance à un homme faux et hypocrite. Orgon ne peut croire à ce que lui dit son fils, des tentatives de Tartufe auprès d'Elmire, son épouse.

ORGON, à son fils Damis.

Allons, qu'on se rétracte; et qu'à l'instant, fripon, On se jette à ses pieds pour demander pardon.

DAMIS.

Qui? moi ! de ce coquin, qui, par ses impostures,..

ORGON.

Ah! tu résistes, gueux, et tu lui fais injures !

(A Tartuffe.)

pas.

Un bâton! un bâton! Ne me retenez
(A son fils.)
Sus, que de ma maison on sorte de ce pas,
Et que d'y revenir on n'ait jamais l'audace.

DAMIS.

Oui, je sortirai; mais.....

ORGON.

Vite, quittons la place.

Je te prive, pendard, de ma succession,
Et te donne, de plus, ma malédiction.
Offenser de la sorte une sainte personne!

Orgon est tellement aveuglé sur le compte de Tartufe, qu'il ne peut croire à ce que lui dit Damis de la conduite scandaleuse de cet imposteur auprès de sa mère, et que, dans sa

colère, il va jusqu'à maudire son fils. Cette exclamation :

Offenser de la sorte une sainte personne!

est la plus grande preuve de son aveuglement et de sa sotte confiance dans l'hypocrite qui cherche à suborner sa femme. Molière, dans cet ouvrage immortel, donne aux hommes la plus belle leçon qu'on puisse leur donner. Il a réellement créé cette sublime fiction; mais il avait bien regardé autour de lui avant de mettre en scène tous les personnages qu'il fait figurer dans ce chef-d'œuvre ; et si nous faisons comme Molière, nous verrons que les Tartufes sont encore bien communs dans la société, et que les Orgons y sont en très-grand nombre.

Un principe qu'on ne peut trop répéter aux jeunes gens, c'est que la poésie, dans ses imitations, se plait à embellir les actions et les moeurs dont elle offre le tableau, sans négliger cependant la vraisemblance, qui, seule, peut rendre l'imitation agréable et intéres

sante.

« Si les poètes avancent des maximes dé« raisonnables, il sera facile aux jeunes gens <de trouver eux-mêmes la réponse à ces ma« ximes, si, comme on l'a déjà dit, on forme

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