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Voltaire, dans sa tragédie d'OEdipe, met dans la bouche de Jocaste ces deux vers :

Les prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense; Notre crédulité fait toute leur science.

Ce n'est point une impiété, mais une insulte aux ministres des autels, et que la plupart des jeunes gens applaudissent avec fureur, sans se rendre compte de la situation affreuse où se trouvent les Thébains et conséquemment la reine elle-même. Sa sollicitude pour les malheurs de son peuple doit plutôt la porter à implorer la clémence des Dieux qu'à insulter leurs ministres, comme l'a déjà très-judicieusement remarqué un célèbre personnage. Dans quelle circonstance Jocaste parle-t-elle ainsi des prêtres? Lorsque les oracles s'accomplissent sous ses yeux, que la peste moissonne une grande partie de ses sujets, et lorsque le voile qui couvrait les crimes prédits à elle et à son fils commence à se déchirer. Ces deux vers sont donc un affreux contre-sens dans la bouche de Jocaste. Sous le rapport du goût, ils ne seraient bien placés nulle part, et déparent un des plus beaux ouvrages dramatiques sortis de la plume de Voltaire. Le premier est désagréable à l'oreille, en ce que les cinq P qu'il renferme font une espèce de pétarade qui n'est pas très

harmonieuse. Le second n'est réellement que de la prose qui n'a pas même la cadence que l'on exige dans les vers, et qui en fait le charme: le premier hémistiche n'est composé que de deux mots, un de deux syllabes et un un de quatre; ce qui se refuse à toutes les mesures de la prosodie française; il n'y a point de césure dans ce vers, et le dernier hémistiche finit par un mot qui n'est point agréable à l'oreille.

Mais la pensée renfermée dans ces deux vers était hardie; il n'est pas étonnant qu'elle ait fait fureur dans sa nouveauté. Les gens sensés, amis de la véritable gloire de Voltaire, les désapprouvent ; ils en rejettent la faute sur la jeunesse. Voltaire commençait alors sa carrière dramatique; mais on peut dire de lui, comme de tous les grands hommes, quel est celui qui n'a point eu ses faiblesses ?

Il y a des précautions à prendre, envers les jeunes gens, dans la lecture des tragédies, où souvent on cherche à pallier des actions criminelles par des discours artificieux et séduisans.

En faisant faire aux jeunes gens ces sortes « de remarques, en louant les bonnes actions, << et blamant les mauvaises, nous préviendrons << les impressions funestes des uns et exciterons

« en eux une émulation louable pour les autres. << Euripide nous représente Phèdre accusant « Thésée d'avoir été cause, par ses torts envers <«<elle, de son amour criminel pour Hippolyte. « Dans sa tragédie des Troyennes, il fait parler « Hélène avec la même liberté : elle prétend « qu'Hécube est plus punissable qu'elle-même, «< pour avoir mis au monde Pâris, son adultère. « Accoutumons les jeunes gens à ne pas approu« ver de tels discours, sous prétexte qu'ils sont << adroits et subtils; à ne pas s'en laisser im« poser par ces frivoles prétextes, mais à les << rejeter avec horreur, à les croire autant et << plus dangereux que les actions mêmes qu'on

«

<< veut êxcuser. »

On ne peut s'empêcher de convenir que la

troisième scène du second acte des Horaces ne soit très-belle, et il n'appartenait peutêtre qu'à Corneille d'en tirer un si grand parti. Il y a peint un de ces caractères farouches et sauvages, prêts à sacrifier les droits les plus sacrés du sang et de la nature à l'amour de la patrie, et il l'a peint avec les couleurs convenables. Tout ce qu'il dit serait dangereux pour un jeune homme qui n'aurait pas assez de jugement pour préférer à ses discours ceux de Curiace, qui conserve au moins quelque chose d'humain.

Tout ce qu'a déjà dit le barbare Horace

a préparé le spectateur à ce que je vais citer:

HORACE.

Contre qui que ce soit, que mon pays m'emploie,
J'accepte aveuglément cette gloire avec joie :
Celle de recevoir de tels commandemens
Doit étouffer en nous tous autres sentimens.
Qui, près de le servir, considère autre chose,
A faire ce qu'il doit lâchement se dispose;
Ce droit saint et sacré rompt tout autre lien.
Rome a choisi mon bras, je n'examine rien.
Avec une alégresse aussi pleine et sincère
Que j'épousai la soeur, je combattrai le frère;
Et pour trancher enfin ces discours superflus,
Albe vous a nommé, je ne vous connais plus.

CURIACE.

Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue; Mais cette âpre vcrtu ne m'était pas connue; Comme notre malheur elle est au plus haut point : Souffrez que je l'admire et ne l'imite point.

Rien de sublime comme la réponse de Curiace, elle est d'une ame grande et forte, qui n'est point épouvantée de l'épreuve où elle va être mise; mais qui gémit d'un choix qui l'expose à outrager la nature. Il y a en lui de la grandeur et de l'humanité; mais Horace est un barbare qui nous fait déjà présager le sort qu'il réserve à sa sœur Camille, et qui nous laisse croire qu'il n'épargnerait pas son père, si son père ne pensait pas comme lui. Malheu

reusement le dernier vers qu'il prononce

Albe vous a nommé, je ne vous connais plus.

a été et est encore le langage de tous les partis, quels qu'ils soient. Il y a bien quelques hommes qui répondent, comme Curiace :

Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue.

mais ce ne sont pas ceux-là qui sont les plus communs et les mieux écoutés. L'opposition de ces deux caractères fait, à la scène, un effet admirable.

Il est bon aussi que les jeunes gens contractent l'habitude de demander raison de tout ce qu'ils lisent.

<< Caton, dans son enfance, faisait ponc«tuellement tout ce que son maître lui or« donnait ; mais il voulait toujours en savoir « les motifs. Ainsi les poćtes ne méritent notre <«< soumission comme nos maîtres et nos législa- ́ << teurs, qu'autant que ce qu'ils nous proposent « est fondé en raison; et il le sera toujours, « s'il est d'une utilité réelle, sinon on en sen<< tira le vide et la faiblesse. En combattant, par « de bonnes réflexions, les fausses maximes << des poètes, on ne sera pas exposé à devenir << le jouet de leurs opinions. »

Il est indispensable que les jeunes gens dont

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