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APPELÉS peut-être un jour à occuper l'un

et l'autre des places éminentes dans l'état, il est très essentiel pour vous, mes enfans, d'apprendre quelle utilité on peut retirer de ses ennemis. Car, malgré les meilleures intentions, le plus noble désintéressement et l'amour le plus vrai pour la justice, il est presqu'impossible à l'homme d'état de n'avoir point d'ennemis, puisqu'il est bien peu d'hommes qui n'en aient pas dans la vie privée.

Cette leçon me semble donc utile à toutes les classes de la société. Il serait à souhaiter que le plus grand nombre pût connaître ce chapitre du philosophe, les mœurs s'en amé lioreraient peut-être davantage.

C'est donc à vous de profiter des conseils qu'il va vous donner, et de mettre à profit ses leçons, quelle que soit la position où vous puissiez vous trouver, soit hommes publics, soit simples particuliers.

Plutarque dit principalement :

Il faut savoir tirer parti de ses ennemis. La vigilance de nos ennemis nous tient en garde contre nous-mêmes.

On se venge de ses ennemis en devenant soi-même plus homme de bien.

Pour avoir le droit de censurer, il faut être soi-même à l'abri de tout reproche.

Pour être homme de bien il faut avoir des amis sincères ou des ennemis ardens.

Les leçons gratuites d'un ennemi nous apprennent bien des choses que nous ignorons. Rien de plus grand que d'entendre les calomnies d'un ennemi sans en être affecté.

Rien de plus sublime que de secourir son ennemi dans ses besoins, quand on peut se venger de lui.

Tout ce qui s'acquiert par l'infamie n'est ni beau ni durable.

Il n'y a rien là qui ne tende à rendre l'homme meilleur qu'il n'est communément. Je conviens même qu'il faut avoir déjà de grands principes de vertu pour mettre en pratique des leçons aussi sublimes. L'homme vertueux pourrait se relâcher peut-être s'il n'avait pas

d'ennemis, et je crois adoucir par-là le sentiment de Plutarque, qui dit que, pour être homme de bien, il faut avoir des amis sincères ou des ennemis ardens. Je vous assure, mes enfans, que je crois avoir de vertueux principes, et je crois ne les devoir, ni aux amis sincères, ni aux ennemis ardens. J'aime la vertu parce que je la trouve préférable à tout autre chose. Il est vrai que mes parens et mes instituteurs ont été pour moi des amis sincères. Vous avez eu le même avantage, et vous transmettrez, j'ose le croire, les mêmes instructions à vos enfans.

Voyons le premier paragraphe de notre philosophe.

Il faut savoir tirer parti de ses ennemis.

Je crois, mon cher Cornélius, que vous « avez choisi le genre de vie le plus tranquille et le plus doux, et qu'en vous tenant << sagement éloigné du gouvernement, vous << savez vous rendre aussi utile au public, « qu'agréable au particulier. En effet, on << peut bien trouver des pays où il n'y ait point « d'animaux sauvages, comme on le dit entre << autres de l'île de Crète; mais connaît-on une « administration politique qui n'ait pas ex«posé ceux qui l'exerçaient à la jalousie de «<leurs rivaux, à l'envie et à l'ambition,

«

« source féconde d'inimitiés et de haines. L'a<«<mitié toute seule ne suffit-elle pas pour en « faire naître? Quelqu'un se vantait devant << Chilon de n'avoir point d'ennemis : « Vous << n'avez donc pas d'amis? » lui dit ce phi«<losophe. Un homme d'état doit, pour plu« sieurs raisons, avoir réfléchi sur cet objet << important; et en particulier pour savoir << mettre à profit cet avis si utile de Xé<< nophon: << Il est d'un homme sage de tirer << parti de ses ennemis mêmes. » J'ai donc << rassemblé ce que j'eus occasion de dire, «< il y a peu de jours, sur cette matière, « et je vous l'envoie tel que je l'ai prononcé, « en évitant, autant qu'il m'a été possible, « d'y rien répéter de ce que contiennent mes << préceptes politiques, sachant que ce dernier << ouvrage est presqne tout entre vos mains. » << Les anciens, en combattant les bêtes fé«roces, n'avaient d'autre but que de se dé« fendre de leurs attaques. Les hommes d'au« jourd'hui ont appris à se rendre utiles leurs

dépouilles. Ils se nourrissent de leur chair, «<font des étoffes de leurs poils, des remèdes « de leur fiel, de leurs peaux des armes « défensives; et l'on peut dire que, si les

animaux féroces venaient à manquer à « l'homme, il menerait une vie moins agréa<«<ble, moins commode, et risquerait de de« venir lui-même sauvage. Mais si les hommes

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