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ame, la dégraderont, et vous ne serez plus, après les avoir lus, que les esclaves des plus viles passions. Voyez-les s'acharner après leurs ennemis, ils leur refusent l'honneur, les louanges, l'estime qui leur sont dus, et que tout le monde leur accorde, excepté eux.

Puisqu'il est bien reconnu parmi les hommes que la justice est la première des vertus, parce que d'elle découlent toutes les autres, pourrez-vous être justes, lorsque vous serez aveuglés par les inimitiés et par la haine, ou par d'autres passions aussi basses et aussi avilissantes. Connaissez-vous beaucoup d'hommes qui agiraient comme Scaurus? En existe-t-il un grand nombre qui inspireraient la confiance qu'avaient les Romains dans les vertus de Caton? Il faut pourtant le dire, à la honte de certains chrétiens, Scaurus et Caton étaient idolâtres. Quelle confiance pourrait-on avoir dans un magistrat ou dans tout homme public qui serait injuste envers son ennemi, par cela seul qu'il aurait de la haine contre lui? Pourrait-on lui accorder son amitié et rechercher la sienne? Ne serait-il pas à craindre que la haine n'eût fait entrer dans son ame la jalousie, les rivalités et l'envie, et que l'habitude d'écouter son ressentiment, n'étendit jusque sur l'amitié les passions qui le maîtrisent et lui font la loi? Pour être véritable

ami de la justice, il faut l'accorder à tous ceux qui la méritent, fussent-ils même vos plus grands ennemis en la leur accordant, vous doublez l'estime qu'on avait déjà pour vous. Il est de votre intérêt de la leur rendre, outre que c'est un droit qui leur appartient et que vous ne pouvez leur refuser sans vous rendre méprisables.

Qu'une noble émulation vous réveille et vous fasse arriver à de grandes choses. Ayez le noble désir d'égaler, de surpasser même ceux qui ont embrassé la carrière que vous parcourez; mais que l'envie, la jalousie et les rivalités, n'aient aucune prise sur votre ame. Rendez-vous compte des raisons qui font que les autres s'élèvent, quand vous restez en arrière; en descendant en vous-mêmes vous vous trouverez peut-être coupables de négli gence, d'inaction, et d'une conduite reprochable.

Voyez avec l'œil du mépris ceux qui s'avancent dans les cours ou dans le gouvernement des affaires publiques, par la bassesse, l'intrigue et la flatterie, et qui vendent leurs talens comme le mercenaire vend son travail; ne leur enviez point un crédit et des emplois qui les déshonorent, et dites, comme Platon: «Tout l'or qui est sur la terre et dans les mines ne peut entrer en parallèle avec la

vertu. >>

Enfin Plutarque termine par dire, dans son dernier paragraphe :

Tout ce qui s'acquiert par l'infamie n'est ni beau ni durable.

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<< Pourquoi donc envier ces honneurs, ces applaudissemens qu'on prodigue sur les « théâtres; ces distinctions humiliantes dont << on jouit auprès des grands? Tout ce qui s'ac« quiert par l'infamie est-il beau et durable ? « Cependant, comme on s'aveugle aisément sur « le compte de ses amis, c'est dans la con« duite de nos ennemis que nous sentirons <«< mieux ce qu'il y a de condamnable dans la « nôtre. Par-là, au lieu de laisser inutiles en « nous, et le chagrin que nous ressentons de << leurs avantages, et la joie que nous causent «< leurs fautes, nous éviterons le mal qu'ils au<< ront fait, nous tâcherons de devenir meil<«<leurs qu'eux, et d'égaler leurs succès sans «<imiter leur malice. »

Malheureusement les hommes qui intriguent, qui flattent, qui font des bassesses pour arriver à des emplois et obtenir la faveur des princes et des grands, ne se sont jamais fait cette demande : « Tout ce qui s'acquiert par l'infamie est-il beau et durable? » Il en est beaucoup, peut-être, que la réponse toute naturelle que chaque homme de bien doit y

faire, eût arrêtés dans leurs viles démarches et eût fait retourner sur leurs pas. Il en est cependant une grande quantité qui prononcent leur propre condamnation, en blâmant la conduite de leurs ennemis: ceux-là ne se sont point examinés. S'ils avaient porté sur leurs actions un œil équitable et sévère, ils auraient eu honte d'eux-mêmes; ils auraient rougi de se voir tels qu'ils sont. Cet examen désagréable, mais utile, leur aurait appris que rien n'est vraiment beau et durable que la vertu, et que ce n'est point par de basses flatteries et des intrigues qu'on l'acquiert. Ils devraient se dire: ce que je blâme dans mon ennemi, ne doit pas être blâmable que pour lui seul; et si je me dégrade comme lui, je dois être aussi méprisable. Mais on est ordinairement aveugle sur son propre compte; tandis qu'on voit les fautes les plus légères dans les autres, et que notre œil surtout grossit celles de ceux que nous haïssons. Souhaitez des ennemis, mes enfans, pour vous avertir de vos défauts; mais fermez votre ame à la haine et à l'inimitié. Aidez, secourez, soyez justes, accablez même de bienfaits, si vous en trouvez l'occasion, ceux qui vous haïront; c'est le moyen de les réduire au silence; c'est centupler l'estime qu'on pouvait avoir déjà pour vous avant la générosité de votre conduite; c'est ce qui vous donnera le droit de

pouvoir vous plaindre d'eux, sans qu'on puisse vous taxer d'être mus par la haine et par l'inimitié.

il

Nous verrons demain le chapitre septième, a pour titre : Sur la démangeaison de parler. Il y a sans doute des choses utiles à apprendre, je l'examinerai, je le distribuerai comme les autres, d'après les pensées principales de notre auteur, et je ne doute pas que nous n'y trouvions une foule d'idées neuves et lumineuses qui vous seront profitables ainsi qu'à moi.

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