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CHAPITRE SEPTIÈME.

SUR LA DÉMANGEAISON DE PARLER.

A l'âge où vous voilà, et instruits comme vous l'êtes, il est cependant beaucoup de choses que vous ignorez encore. On n'apprend presque que du grec et du latin dans les classes; c'est dans le monde qu'on apprend à vivre avec ceux qui nous entourent: ce qu'il y a de certain, c'est qu'un jeune homme qui sort des bancs du collége paraît bien neuf lorsqu'il se montre pour la première fois dans la société. Il est une foule de choses qu'il faut savoir, pour ne pas être importun et paraître ridicule, et ce sont ces choses qu'il ignore. Il ne sait pas, par exemple, que parler à propos est une science; que la démangeaison de parler est sujette à beaucoup d'inconvé niens; et que le babillard est un homme ennuyeux que l'on fuit. Ce chapitre ne peut donc que vous apprendre des choses qu'on ne vous a sans doute pas enseignées. Vos professeurs ne vous ont orné que l'esprit, et Plutarque a travaillé pour le cœur et pour l'ame. Vous avez de grandes obligations aux pre

miers; mais vous n'en devez pas moins au philosophe des connaissances solides et qui sont utiles dans toutes les circonstances de la vie. Il dit donc :

Les babillards n'écoutent point.

La langue du babillard rend au centuple ce qu'elle a reçu.

Les conduits de l'ouïe aboutissent, chez le babillard, non pas au cœur, mais sur la langue.

Le babillard n'obtient jamais cette confiance que tout discours sollicite naturelle

ment.

Le silence est la preuve d'une grande sagesse. Le babillard cherche à plaire et il impor

tune.

Sylla se vengea d'une manière atroce, lorsqu'il prit la ville d'Athènes, des railleries de ses habitans.

L'indiscrétion d'un seul homme empêcha que Rome ne fût délivrée de la tyrannie de Néron, et ne recouvrât la liberté.

Discrétion de Lenna dans la conjuration d'Harmodius et d'Aristogiton.

Hest toujours temps de dire ce qu'on a tu. Réponse d'Antigone à son fils.

Discrétion salutaire d'Eumène.

Une parole lâchée se répand avec rapidité; elle précipite dans l'abîme l'imprudent qui la laisse échapper.

Adresse d'un sénateur pour éprouver la discrétion de sa femme.

Fulvius, un des amis d'Auguste, se donne la mort pour se punir de son indiscrétion. Les secrets font souvent périr ceux qui ne peuvent les garder.

Les babillards se perdent eux-mêmes sans aucun motif.

Il faut opposer à la fureur de parler le frein de la raison, et élever autour de la langue comme une digue qui arrête ses débordemens. Le babillard, en cherchant à être aimable, se rend odieux.

Les hommes concis dans leur langage sont plus en réputation de sagesse que les grands parleurs.

Rien n'est plus injurieux que la précipitation à prévenir les réponses d'un autre.

Les babillards parlent de tout sans discer

nement.

Un babillard écarte la conversation qui traite d'objets qu'il ignore, pour ne pas acheter par le silence l'avantage de s'instruire.

Il est inutile de parler lorsqu'un propos n'est ni utile à celui qui le tient, ni nécessaire à celui qui l'écoute.

Vous avez assez d'intelligence l'un et l'autre pour vous être aperçus déjà des leçons importantes renfermées dans ce chapitre. La discrétion est une vertu salutaire qu'il est

bon d'acquérir et qui n'est pas souvent le partage de la jeunesse. Vous apprendrez à retenir les mouvemens de votre langue. Le babil n'est pas une preuve de sagesse. Un jeune homme s'instruit en gardant le silence, parce qu'alors il est tout oreille, et que tout ce qu'il entend se. grave facilement dans sa mémoire: s'il se mêle à la conversation, il sort du cercle sans avoir rien apprís. La langue est dans bien des circonstances un instrument très-dangereux. Le babillard n'apprend rien à personne, parce qu'il n'a pas su écouter pour s'instruire: il ne peut communiquer ce qu'il ne s'est pas donné la peine d'apprendre. Se taire à propos habitue l'homme à bien répondre aux questions qu'on lui fait. Il ne dit que ce qu'il faut, parce qu'il n'est point un babillard. Celui-ci, au contraire, dira toujours une foule de mots où il n'en faudrait qu'un ; il a la démangeaison de parler : c'est une passion qu'il a besoin de satisfaire à quelque prix que ce soit. Ainsi Vous voyez que c'est un grand défaut.

Le philosophe nous dit d'abord :

Les babillards n'écoutent point,

« C'est une cure difficile pour la philo<< sophie, que celle de la démangeaison de parler. Le remède à cette maladie serait

« d'écouter, et les babillards n'écoutent per<< sonne; ils parlent toujours. Ce refus d'écou«<ter, qu'on peut appeler une surdité volon«<taire, est le premier vice de ces grands « parleurs, qui doivent, sans doute, blâmer « la nature de ne leur avoir donné qu'une lan« gue, tandis qu'ils ont deux oreilles. >>

Nous avons déjà rencontré plusieurs fois de ces personnes qui vous accablent d'un flux de paroles, et parlent sans raison, sans motif. Ce qu'elles vous disent n'a aucun but; ce n'est pas pour vous apprendre quelque chose, qu'elles parlent sans cesse : ce n'est pas pour vous communiquer leurs pensées, leur opinion, leurs idées; elles n'ont rien de tout cela. Parler à tort et à travers est tout ce qu'elles désirent. Leur langue est un mouvement perpétuel. Elles n'attendent pas qu'on leur réponde; elles font elles-mêmes la demande et la réponse, passent d'un objet à un autre avec une rapidité qui vous confond, vous ferme la bouche et finit par vous étourdir au point d'être obligé de quitter la place. Si elles avaient la tête remplie de quelque chose, elles ne babilleraient pas tant, réfléchiraient davantage et sauraient se taire pour s'instruire. Il est bon de les éviter, on n'apprend rien avec elles.

T. 2.

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