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La langue du babillard rend au centuple ce qu'elle a reçu.

« On ne saurait remplir des principes de la « sagesse l'esprit d'un homme qui parle à ceux « qui ne l'écoutent pas, et qui n'écoute pas par hasard << ceux qui lui parlent. Donne-t-il « quelques momens d'attention : bientôt sa « langue, comme entraînée par un reflux na« turel, rend au centuple ce qu'elle a reçu.

« Il y avait à Olympie un portique qui ré« pétait plusieurs fois les mots qu'on y avait « prononcés, et qu'on appelait le portique « à sept voix. De même, si le babillard en« tend un seul mot, il en repète mille,»

Comment en effet un homme pourrait-il devenir sage, s'il ne veut pas écouter ce qui lui apprendrait à l'être. Parler toujours n'est pas s'instruire, c'est au contraire fermer ses oreilles à l'instruction. Quel fruit auriezvous retiré de vos études, si, au lieu d'écouter les leçons de vos maîtres, vous vous fussiez entretenus avec vos camarades de tout autre chose. S'il s'élève un petit différent dans une société, et si tout le monde parle à la fois, on ne pourra jamais apprendre ce qui fait l'objet de la discussion. Pourquoi les disputes parmi le peuple sont-elles presque toujours interminables, c'est que les adversaires parlent sans

mesure, et ne veulent pas écouter; c'est à qui ne se taira pas pour entendre ce que l'autre veut dire. On trouve beaucoup de personnes, dans la haute société, qui sont peuple de ce côté là: elles ne le croient pas, et pourtant cela est. Le babillard est un homme insipide ; il ressemble à Samson qui assommait avec une mâchoire d'âne.

Les conduits de l'ouïe aboutissent, chez le babillard, non pas au cerveau, mais sur la langue.

« On dirait que, dans les babillards, les con«duits de l'ouïe n'aboutissent pas au cerveau, « mais sur la langue; car au lieu de conserver, « comme tout le monde, les discours qu'ils « entendent; ils les laissent aussitôt s'écouler, « semblables à des vases vides, qui ne rendent qu'un vain son.

« Il y a deux grands avantages, qui sont « d'écouter les autres et d'en être écouté. Les « habillards ne veulent point de l'un et ils dé<< sirent l'autre sans jamais l'obtenir. La plu« part des maladies de l'ame, telles que l'a-. « varice, l'ambition, l'amour des plaisirs ; jouissent quelquefois des objets de leurs dé<«< sirs; mais une chose désespérante pour les «<babillards, c'est qu'ils voudraient des audi<< teurs, et ils n'en trouvent point, leur pré

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«<sence les éloigne tous: s'ils paraissent dans << un cercle ou dans une promenade publique, «< chacun prend la fuite.

<< Un jour, le sage Aristote était étourdi des <«< contes ridicules d'un babillard qui lui ré«<pétait sans cesse: « Aristote, cela n'est-il ́« pas admirable ? » — « Non, lui répondit-il; << mais ce que j'admire, c'est qu'un homme « qui a des pieds puisse supporter votre bavar«dage.» Un autre de ces importuns lui di«sait, après l'avoir entretenu long-temps: « Philosophe, ne vous ai-je pas bien fati« gué? » « Non, lui dit Aristote; car je ne « vous ai pas écouté. » En effet, lorsque dans « un cercle un babillard s'est emparé de la « conversation, les assistans le laissent verser «autour de leurs oreilles les flots de son ba« bil; et leur esprit, retiré en lui-même, s'y «occupe de ses propres pensées; personne « ne veut ni l'écouter, ni le croire. Les dé« bauches rendent impuissans ceux qui s'y li« vrent, et les discours des grands parleurs ne « produisent qu'un bruit stérile. »

Il est presqu'impossible qu'un babillard soit un homme d'esprit. Premièrement il n'a pas celui de voir qu'il est importun. On l'évite, on le fuit, et il ne sait pas encore se dire: C'est à mon babil que je dois l'abandon où je suis, et la crainte qu'on a de ma présence ou de mon approche. Il ne sait pas même

sentir les railleries et les épigrammes auxquelles il s'expose.

Un babillard vint un jour s'asseoir à la promenade auprès d'un jeune homme très-spirituel. Un jeune avocat, de leur connaissance, prit place à côté d'eux. L'homme aux paroles inutiles les assomma tellement de son habil, que l'avocat fut obligé de quitter la place. « Je croyais, dit le babillard, que ce jeune avocat avait de l'esprit, et je vois qu'il n'en est rien; il n'a pas ouvert la bouche pour me répondre. » -« Vous vous trompez, reprit le jeune homme en se levant, car je l'ai vu bâiller plusieurs fois.» « Ce n'est pas une preuve qu'il ait de l'esprit, » dit le babillard; mais le jeune homme était déjà bien loin. Vous voyez que celui-ci n'a pas senti le trait que le jeune homme lui a lancé en l'abandonnant, et il n'a pas eu l'esprit de se dire : C'est parce que je les ennuyais qu'ils m'ont laissé tout seul.

lui

Les anciens croyaient que quand il se faisait un grand silence dans une assemblée, c'est que Mercure y était entré. Dès qu'un babillard paraît dans une compagnie ou dans un banquet, aussitôt chacun se tait, pour ne pas donner occasion de parler. Si, malgré cela, il ouvre la bouche, tout le monde s'enfuit avant que l'orage éclate; comme les matelots s'empressent de gagner la terre, lorsqu'ils se

voient menacés de la tempête. Aussi personne, à moins qu'il ne puisse s'en dispenser, né veut-il avoir un babillard pour convive ou pour compagnon de voyage. Importun par son babil, il ne l'ést pas moins par ses manières, ses mouvemens et ses gestes. Avec un homme de ce caractère, c'est surtout de ses pieds qu'on a grand besoin.

Une chose qu'il est bon de remarquer, c'est que tout le corps d'un babillard est en mouvement lorsqu'il vous parle. Si vous n'avez pas l'air de l'écouter, il vous frappe pour réveiller votre attention. Il faut qu'il accompagne tout ce qu'il vous dit de gestes extravagans comme il ne vous dit que des choses futiles, il gesticule beaucoup pour leur donner plus de poids. S'il veut vous raconter une scène dont il a été le témoin, il vous placera dans la situation où il a vu les personnages, et se rendra principal acteur pour vous la faire mieux comprendre. Il tracera d'abord, sur le sable, avec le bout de sa canne, le lieu où la chose s'est passée; mais il n'est pas au milieu de son récit que tout le monde l'a fui, et qu'il s'aperçoit que personne ne l'écoute. Eh bien, vous croiriez que cela doit le corriger; point du tout, il ira en faire autant plus loin, s'il rencontre quelques-unes de ses connaissances. C'est une folie, c'est une manie, c'est tout ce que vous voudrez ; mais c'est

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