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« lui dit son mari, c'est moi qui, sur vos ins«tances, ai forgé cette fable, afin de vous « éprouver. » Ce fut un trait de sagesse de la « part de ce sénateur, d'avoir mis à l'épreuve, << sans aucun danger, la discrétion de sa « femme; comme pour essayer un vase fêlé, << on y verse non de l'huile ou du vin, mais seulement de l'eau. »

Les femmes, on le sait, sont généralement moins discrètes que les hommes; mais il y a aussi beaucoup d'hommes qui sont moins discrets que certaines femmes ; et il en est plesieurs qui feraient comme celle du sénateur. La discrétion est une des principales vertus de l'homme d'état. C'est ce que Plutarque donne ici à entendre; puisque l'objet de sa délibération qui occupait le sénat, et tenait toute la ville dans la plus grande inquiétude, était d'une si haute importance; il n'eut été prudent ni sage à un sénateur de laisser échapper dans sa propre maison, quelque propos qui aurait sans doute été nuisible à ce que le sénat voulait faire. Le mystère dans les affaires en fait souvent tout le succès. C'est ce qui rend l'action du gouvernement, dans les monarchies, plus positive et plus prompte que dans les républiques.

Les rois connaissent bientôt tous les ressorts qui font mouvoir les hommes dans un état républicain, et les républiques ne peu

vent pénétrer les secrets d'un monarque qui sait gouverner.

Si, comme le sénateur, on pouvait éprouver sans danger la discrétion d'un grand nombre d'homines, que de Labillards on parviendrait à connaître, et avec lesquels on est toug les jours sans croire que ce sont des indiscects. Mais il est inutile d'en dire davantage sur ce paragraphe, il est par lui-même une assez bonne leçon.

Fulvius, un des amis d'Auguste, se donne la mort, pour se punir de son indiscrétion.

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«< Fulvius, un dés amis d'Auguste, enten« dit un jour ce prince, déjà vieux, déplorer « les pertes de sa famille. Il disait que deux « de ses petits-fils étaient morts; que Posthu«mus, le seul qui lui restât, vivait en exil, « victime de la calomnie, et qu'il se voyait « forcé d'appeler à l'empire le fils de sa « femme. Touché du sort de Posthumus, il paraissait vouloir le rappeler de son exil. << Fulvius rapporta ce discours à sa femme, qui « le rendit à l'impératrice. Celle-ci se plai« gnit amèrement à Auguste de ce qu'au lieu « de rappeler son petit-fils, comme il en avait depuis long-temps la pensée, il la rendit « odieuse à celui qu'il destinait à l'empire. « Le lendemain matin, Fulvius vint, selon

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sa coutume, saluer l'empereur et lui sou<< haiter le bonjour. « Et moi, lui dit Au« guste, je vous souhaite d'être plus sage. » « Fulvius comprit ce que cela voulait dire, «et, revenant aussitôt chez lui, il appella « sa femme, et lui dit : « L'empereur sait que <«< j'ai trahi son secret, et je vais me donner << la mort. >> «< Vous vous ferez justice, lui << dit sa femme; car depuis le temps que nous << sommes ensemble, vous auriez dû me con<< naître, et vous tenir en garde contre mon <«< indiscrétion; mais je dois mourir avant « vous. » En même temps, elle prend l'épée, « et se tue avant son mari. Aussi rien n'est « plus sage que la réponse du poète comique Philippide au roi Lysimaque, qui lui de<< mandait de quoi il voulait qu'il lui fit part : <«< Prince, lui dit-il, de tout ce qu'il vous <«< plaira, excepté de vos secrets. »

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Fulvius se punit trop cruellement peut-être de son indiscrétion. On trouverait peu d'indiscrets qui auraient la force de se faire ainsi justice. Plutarque, j'en suis persuadé, n'approuvait pas qu'il se donnât la mort; s'il l'a cité pour exemple, c'était seulement pour apprendre s'il est honteux de trahir la confiance que, d'un ami, on doit en rougir bien davantage quand cet ami occupe le trône. Lorsqu'on a trahi les secrets d'un prince qui avait mis en vous sa confiance, et qu'il en est instruit, il

n'est plus possible de reparaître devant lui. Se donner la mort est un parti qui me semble trop violent et qui nous est défendu par la religion; il faut donc se résoudre à ne plus se montrer à la cour; ce qui est déjà une punition bien grande pour ceux qui ont longtemps respiré l'air des palais.

Il en est de même dans les classes plus inférieures de la société; on ne peut plus voir celui qui a rapporté ce que vous avez dit ou fait; il ne doit plus se présenter devant vous, il a encouru votre inimitié, vous lui tournez le dos, vous lui fermez votre porte, et vous avez raison : ce qu'il a fait à vous, il le fera à cent autres; c'est un incorrigible. On ne lui pardonne pas ses fautes, et il en commet toujours de nouvelles. Qu'il soit puni sur le champ ou plus tard, c'est pour lui la même chose; il n'est pas son maître, c'est sa langue qui est plus forte que lui, qui ne lui fait faire que des sottises, et des sottises impardonnables.

La réponse du poète Philippide est de l'homme le plus sensé, et, comme Plutarque, je dirai le plus sage. Il n'est jamais bon de savoir le secret des princes, cette connaissance nous expose aux plus grands dangers.

Les secrets font souvent périr ceux qui ne peuvent les garder.

« La curiosité, défaut non moins condam<<<nable que l'intempérance dans les paroles, <«<< en est une suite ordinaire. Les babillards <«< veulent tout savoir, afin d'avoir le plaisir « de le redire. Curieux surtout des secrets « ils vont partout, cherchant à les éventer « pour fournir à leur babil une ample, mais « odieuse matière. Ils ressemblent à ces enfans «< qui ne veulent pas lâcher la glace qu'ils tien<< nent dans leurs mains, et qui ne peuvent la re<< tenir, ou plutôt les secrets qu'ils recueillent << sont comme des serpens qu'ils cachent dans «<leur sein, et qui les déchirent. Incapables « de les contenir, ils sont forcés de les laisser « échapper. On dit que les aiguilles de mer « et les vipères crèvent lorsqu'elles font leurs petits. De même les secrets font souvent pé« rir ceux qui ne savent pas les garder.

« Seleucus Collinicus avait perdu toute son « armée dans une bataille contre les Galates. « Craignant d'être reconnu, il quitta le dia« dême, et prit la fuite par des chemins dé« tournés, accompagné seulement de trois ou «< quatre de ses officiers. Après une longue << marche, il arrive, épuisé de faim et de fa

tigue, à une cabane où il demande du pain

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