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Par un si haut mérite est assez excusé.

Cette flamme vers moi ne vous rend point coupable;
Et, dans le noble orgueil dont je me sens capable,
Sachez, si vous l'étiez, que ce seroit en vain
Que vous présumeriez de fléchir mon dédain,
Et qu'il n'est repentir, ni suprême puissance,
Qui gagnât sur mon cœur d'oublier cette offense.

DONE ELVIRE.

Mon frère, d'un tel nom souffrez-moi la douceur,
De quel ravissement comblez-vous une sœur!
Que j'aime votre choix, et bénis l'aventure
Qui vous fait couronner une amitié si pure!
Et de deux nobles cœurs que j'aime tendrement...

SCENE VI.

D. GARCIE, DONE ELVIRE; DONE IGNÈS, DÉGUISÉE EN HOMME; D. ALPHONSE, CRU D. SYLVE; ÉLISE.

D. GARCIE.

De grâce, cachez-moi votre contentement,
Madame, et me laissez mourir dans la

croyance

Que le devoir vous fait un peu de violence.
Je sais que de vos vœux vous pouvez disposer,
Et mon dessein n'est pas de leur rien opposer;
Vous le voyez assez, et quelle obéissance
De vos commandements m'arrache la puissance :
Mais je vous avoûrai que cette gaieté
Surprend au dépourvu, toute ma fermeté,

Et qu'un pareil objet dans mon âme fait naître

Un transport dont j'ai peur que je ne sois pas maître; Et je me punirois, s'il m'avoit pu tirer

De ce respect soumis où je veux demeurer.

Oui, vos commandements ont prescrit à mon âme
De souffrir sans éclat le malheur de ma flamme;
Cet ordre sur mon cœur doit être tout-puissant,
Et je prétends mourir en vous obéissant:
Mais, encore une fois, la joie où je vous treuve
M'expose à la rigueur d'une trop rude épreuve,
Et l'âme la plus sage en ces occasions
Répond malaisément de ses émotions.
Madame, épargnez-moi cette cruelle atteinte,
Donnez-moi par pitié deux moments de contrainte;
Et, quoi que d'un rival vous inspirent les soins,
N'en rendez pas mes yeux les malheureux témoins:
C'est la moindre faveur qu'on peut, je crois, prétendre,
Lorsque dans ma disgrâce un amant peut descendre.
Je ne l'exige pas, madame, pour long-temps,

Et bientôt mon départ rendra vos vœux contents.
Je vais où de ses feux mon âme consumée"
N'apprendra votre hymen que par la renommée :
Ce n'est pas un spectacle où je doive courir,
Madame; sans le voir, j'en saurai bien mourir.

DONE IGNÈS.

Seigneur, permettez-moi de blâmer votre plainte.
De vos maux la princesse a su paroître atteinte;
Et cette joie encor, de quoi vous murmurez,

Ne lui vient que des biens qui vous sont préparés.
Elle goûte un succès à vos désirs prospère,

Et dans votre rival elle trouve son frère;
C'est don Alphonse enfin dont on a tant parlé,
Et ce fameux secret vient d'être dévoilé.

D. ALPHONSE.

Mon cœur, grâces au ciel, après un long martyre,
Seigneur, sans vous rien prendre, a tout ce qu'il désire,
Et goûte d'autant mieux son bonheur en ce jour,
Qu'il se voit en état de servir votre amour.

D. GARCIE.

Hélas! cette bonté, seigneur, doit me confondre;
A mes plus chers désirs elle daigne répondre.

Le

coup que je craignois, le ciel l'a détourné,
Et tout autre que moi se verroit fortuné :
Mais ces douces clartés d'un secret favorable
Vers l'objet adoré me découvrent coupable;
Et, tombé de nouveau dans ces traîtres soupçons,
Sur quoi l'on m'a tant fait d'inutiles leçons,

Et

par qui mon ardeur, si souvent odieuse,
Doit perdre tout espoir d'être à jamais heureuse.....

Oui, l'on doit me haïr avec trop de raison;
Moi-même je me trouve indigne de pardon;
Et, quelque heureux succès que le sort me présente,
La mort, la seule mort est toute mon attente.

DONE ELVIRE.

Non, non; de ce transport le soumis mouvement,
Prince, jette en mon âme un plus doux sentiment.

Par lui de mes serments je me sens détachée :

Vos plaintes, vos respects, vos douleurs m'ont touchée; J'y vois partout briller un excès d'amitié,

Et votre maladie est digne de pitié.

Je vois, prince, je vois qu'on doit quelque indulgence
Aux défauts où du ciel fait pencher l'influence;

Et, pour tout dire enfin, jaloux ou non jaloux,
Mon roi, sans me gêner, peut me donner à vous.

D. GARCIE.

Ciel, dans l'excès des biens que cet aveu m'octroie,
Rends capable mon cœur de supporter sa joie!

D. ALPHONSE.

Je veux que cet hymen, après nos vains débats,
Seigneur, joigne à jamais nos cœurs et nos États.
Mais ici le temps presse, et Léon nous appelle;
Allons dans nos plaisirs satisfaire son zèle,
Et, par notre présence et nos soins différents,
Donner le dernier coup au parti des tyrans.

FIN DE DON GARCIE DE NAVARRE.

SUR

DON GARCIE DE NAVARRE.

I

La jalousie est une des passions les plus propres à réussir au théâtre. Molière essaya pour la première fois de la peindre dans cette pièce; ' mais il échoua; et le peu de succès de son entreprise lui fit deviner les moyens de présenter cette passion sous les véritables couleurs qu'elle doit avoir dans la comédie. La jalousie est une passion très-sérieuse : elle fait le tourment de ceux qui en sont atteints: tout est pour eux matière de soupçons et d'inquiétudes; et l'aveuglement qui les égare leur fait souvent commettre des injustices mais ce travers, qui rend aussi malheureux ceux qui s'y abandonnent que celles qui en sont l'objet, n'est pas susceptible d'intérésser au théâtre comique : on ne prend aucune part aux visions qui en sont la suite; et l'homme jaloux ne peut même espérer d'être plaint.

Le ridicule de cette passion est donc le seul côté par lequel on peut la présenter avec succès sur la scène comique. Aussi Molière, éclairé par l'acceuil froid qu'on fit à DON GARCIE, ne peignit plus lajalousie que dans des rôles plaisans. Sganarelle et Arnolphe offrirent ce travers dans toute son énergie: on ne

2

1 Sganarelle, dans le Cocu imaginaire, n'est point véritablement jaloux; il n'est pas amoureux de sa femme.

2 École des Maris, École des Femmes.

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