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VAUCLUSE.

Ce département compte au moins deux transportés :

BARRÈRE,
BARILLON.

Le premier est le petit-fils du conventionnel Barrère; le second est chevalier de la Légion d'honneur. Tous deux, ils subirent le sort des transportés du Rhône et furent internés à Souk-Harras.

CONCLUSION.

I

Les voilà, ces hommes, chassés de leur patrie, arrachés à leur famille, à leurs amis, jetés dans les cachots et transportés en Afrique!

Qui sont-ils? Nous ne craignons pas de le dire : ils sont tous d'honnêtes gens, contre lesquels nous défions qu'on relève le moindre délit! médecins, avocats, officiers ministériels, négociants, artisans, ils se livraient péniblement à leurs travaux, attendant du temps, et du temps seul, la réalisation de leurs espérances! Ils ne s'occupaient plus de politique qui donc s'en occupait depuis 1852! Ils descendaient, non pas gaiement, comme on le leur conseillait, le fleuve de la vie, mais laissant à d'autres le souci des affaires publiques! ils regrettaient le passé, et ils s'en font gloire, mais en silence!

Les uns étaient couchés, moribonds, sur leur lit de douleur; les autres vivaient retirés au fond de leurs montagnes, évitant avec soin jusqu'au mot qui pouvait

donner prise au gendarme. Ceux-ci revenaient, depuis quelques mois à peine, d'exil, de Cayenne ou de Lambessa; ceux-là étaient morts depuis des années!

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Une nuit, entre minuit et deux heures, à peu près partout, le jour anniversaire de la révolution de Février, on va frapper à la porte des vivants et jusqu'aux tombeaux des morts! α Qui va là? La police. Que me veutelle? Tu es républicain? - Il ne m'est pas permis de le dire. Tu l'es, tu as défendu la république en 1848, la constitution et la loi, en 1851. Suis-moi, tu es un gibier de prison, un pensionnaire désigné de Cayenne ou de Lambessa! Viens, et suis-nous, la chaîne au cou et les menottes aux mains! Tu es malade? tu vas mourir? En voiture cellulaire, c'est bien bon pour un républicain! Mais pourquoi? L'Italien Orsini a tiré sur l'Empereur.

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« Et toi, qui es-tu? Vous demandez mon père? il est mort depuis deux ans. Mon mari? il est dans une maison de fous. - Mon frère? il est aux États-Unis. Mon autre frère? il est encore en Afrique, où vous l'avez transporté en 1852.

- Ton père est mort? ce n'est pas vrai, puisqu'il est sur la liste. Tu soutiens toujours qu'il est mort? Viens avec nous, il nous faut quelqu'un de ce nom. »

Et ailleurs : « Et vous, madame, vous êtes la femme d'un républicain, vous êtes républicaine vous-même; votre mari revient de Cayenne? Allons, laissez là votre mari, vos enfants, vos affections, votre ménage, vos occupations; suivez-nous au cachot et en Afrique. » Et ailleurs encore : « Qui es-tu, toi ? Moi? que me voulez-vous? » Et la fille, aux gendarmes : « Que voulez-vous à mon père ? - Retirez-vous; nous l'emmenons en prison. Et l'enfant et la femme tombent étendues sans vie sur le parquet.

D

Et ce colloque se continue, se prolonge, s'étend pendant des mois, et dans tous les coins de la France, entre les gendarmes et près de deux mille citoyens français!

II

Et que peut-on faire, en prison, de cette masse d'hommes, à qui on n'a rien à reprocher, qu'on ne parviendrait pas à faire condamner à la plus légère amende par le tribunal le plus rigide?

Comment les condamner? où trouverait-on des juges? En 1851, il y avait bien des commissions mixtes, mais peut-on, alors que le pays est dans le calme le plus complet, alors que personne, quoi qu'on en dise, ne croit au danger dont on le dit menacé, recommencer le même système? Est-on bien sûr, du reste, que les magistrats de 1851 voudraient continuer la besogne commencée à cette époque?

Comment sortir de là? Il faut cependant suspendre sur les têtes une terreur salutaire. La loi est déjà violée, puisque tous les citoyens, dont les prisons regorgent, ont été arbitrairement arrêtés. Il faut se tirer de là au plus tôt, il faut donner à ce qui a été fait les apparences de la légalité.

Quoi de plus simple? Et le Corps législatif vote la loi de sûreté générale!

Mais encore, cette loi n'autorise les arrestations, les séquestrations, les transportations que dans des cas déterminés. Qui donc va l'appliquer? Y aura-t-il des juges? Les décisions seront-elles publiques? Les garanties qu'on accorde aux malfaiteurs, les républicains en seront-ils entourés? pourront-ils se défendre, se justifier, démon

trer leur innocence, revendiquer leurs droits, demander l'application de la loi? Non, non, non.

Un général ministre de l'intérieur et de la sûreté générale, qui a pour mission de rassurer les bons et de faire trembler les méchants», sera juge et partie! N'est-ce pas justice? N'a-t-il pas pour devoir de sauver l'ordre et la société? Et quand un Italien vient jusque dans les rues de Paris faire éclater des bombes, les républicains n'en sont-ils pas responsables? Allez, allez, vous n'êtes que l'écume de la société, M. de Morny vous l'a dit; avez-vous dès lors le droit de vous plaindre d'être frappés injustement? Cachez vos figures pâles, elles sont un danger pour la France!

La loi de sûreté générale, que nous avons citée textuellement plus haut, autorisait, par son article septième, le gouvernement impérial à «interner, dans un des départements de l'Empire ou en Algérie, ou à expulser du territoire français, tout individu qui a été soit condamné, soit interné, expulsé ou transporté, par mesure de sûreté générale, à l'occasion des événements de mai et juin 1848, de juin 1849 et de décembre 1851, et que des faits graves signalent de nouveau comme dangereux pour la sûreté publique. »

Eh bien les récits qui précèdent nous y autorisent, nous mettons encore au défi qu'on nous cite un seul des citoyens arrêtés et transportés que DES FAITS, NOUS NE D1SONS PAS MÊME GRAVES, MAIS AYANT L'APPARENCE DE VÉRITÉ, AIENT SIGNALÉ DE NOUVEAU COMME DANGEREUX POUR LA SURETÉ PUBLIQUE !

C'est qu'en effet, et nous avons insisté sur ce point dans tout le cours de ce travail, rien, absolument rien ne peut, non-seulement faire croire à leur culpabilité, à leur complicité même morale, mais encore à leur danger. Oui, tous, tous sans exception, ils étaient parfaite

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