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adresse Molière avait su attacher et plaire pendant cinq actes par la seule confidence d'Horace au vieillard, et par de simples récits. Il semblait qu'un sujet ainsi traité ne dût fournir qu'un acte; mais c'est le caractère du vrai génie de répandre sa fécondité sur un sujet stérile, et de varier ce qui semble uniforme. On peut dire en passant que c'est là le grand art des tragédies de l'admirable Racine.

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MADAME,

A MADAME1.

Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre; et je me trouve si peu fait au style d'épître dédicatoire, que je ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur qui seroit en ma place trouveroit d'abord cent belles choses à dire de VOTRE ALTESSE ROYALE, sur le titre de L'ÉCOLE DES FEMMES, et l'offre qu'il vous en feroit. Mais, pour moi, MADAME, je vous avoue mon foible3. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées; et quelques belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que VOTRE ALTESSE ROYALE pourroit avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, MADAME, ne saute que trop aux yeux; et, de quelque côté qu'on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, MADAME, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l'esprit et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient.

1. Henriette-Anne d'Angleterre, âgée alors (mars 1663) d'un peu moins de dix-neuf ans, depuis deux ans femme de Monsieur, duc d'Orléans, protecteur de la troupe de Molière (voyez au tome II, p. 354, note 1). Cette épître dédicatoire manque dans les éditions de 1675 A, 84 A, 94 B.

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2. Sur ce titre. (1673, 1674, 82, 1734.)

3. On dirait aujourd'hui mon insuffisance. (Note d'Auger.) 4. Comme il faut faire. (1682, 1734.)

Vous en avez du côté de l'âme, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous je veux dire cette douceur pleine de charmes, dont vous daignez tempérer la fierté des grands titres que vous portez; cette bonté toute obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paroître pour tout le monde; et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, MADAME, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes; et ce sont choses, à mon avis, et d'une trop vaste étendue, et d'un mérite trop relevé, pour les vouloir renfermer dans une épître, et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, MADAME, je ne vois rien à faire ici pour moi, que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu'il m'est possible, que je suis,

De VOTRE ALTESSE ROYALE,

MADAME1,

Le très-humble, très-obéissant
et très-obligé serviteur,

J. B. MOLIÈRE 2.

1. Que je suis, MADAME, DE VOTRE ALTESSE ROYALE. (1682, 1734.)

2. Les éditions de 1666, 73, 74, 82, 1734 ont ici MOLIÈRE, sans initiales antécédentes.

PRÉFACE.

BIEN des gens ont frondé d'abord cette comédie; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu'on en a pu dire, n'a pu faire qu'elle n'ait eu un succès dont je me

contente.

Je sais qu'on attend de moi, dans cette impression, quelque préface qui réponde aux censeurs, et rende raison de mon ouvrage; et sans doute que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation, pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres; mais il se trouve qu'une grande partie des choses que j'aurois à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faite en dialogue, et dont je ne sais encore ce que je ferai1. L'idée de ce dialogue, ou, si l'on veut, de cette petite comédie, me vint après les deux ou trois premières représentations de ma pièce. Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir; et d'abord une personne de qualité, dont l'esprit est assez connu dans le monde, et qui me fait l'honneur de m'aimer, trouva le projet assez à son gré, non-seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui-même; et je fus étonné que, deux jours après, il me montra toute l'affaire exécutée d'une manière, à la vérité, beaucoup plus galante

1. L'achevé d'imprimer de l'École des femmes est, comme nous l'avons dit, du 17 mars 1663. La « dissertation en dialogue » dont parle ici Molière, c'est-à-dire la Critique de l'École des femmes, ne fut représentée que le 1er juin suivant.

2. Voyez ci-dessus, la Notice, p. 120-122.

et plus spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi; et j'eus peur que si je produisois cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m'accusat d'abord1 d'avoir mendié les louanges qu'on m'y donnoit. Cependant cela m'empêcha, par quelque considération, d'achever ce que j'avois commencé. Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faire, que je ne sais ce qui en sera; et cette incertitude est cause que je ne mets point dans cette Préface ce qu'on verra dans la Critique, en cas que je me résolve à la faire roître. S'il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens; car, pour moi, je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste suive de même.

pa

1. D'abord, aussitôt, sens fréquent de cette expression au dixseptième siècle.

2. On ne m'accusât d'avoir mendié. (1734.)

3. Du mécontentement par excès de délicatesse, de la mauvaise humeur de certaines gens difficiles à satisfaire.

4. Pourvu que le reste soit de même. (1666, 73, 74, 82, 1734.)

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