Images de page
PDF
ePub

Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé !
Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse;
Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse :
Et cependant je l'aime, après ce lache tour,
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour.

995

Sot, n'as-tu point de honte? Ah! je crève, j'enrage, 1000
Et je souffletterois mille fois mon visage.

Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir
Quelle est sa contenance après un trait si noir.
Ciel, faites que mon front soit exempt de disgrace;
Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que j'y passe,
Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidens,
La constance qu'on voit à de certaines gens!

1005

FIN DU TROISIÈME ACTE.

2

ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.

ARNOLPHE.

J'ai peine, je l'avoue, à demeurer en place,
Et de mille soucis mon esprit s'embarrasse,
Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors
Qui du godelureau rompe tous les efforts.
De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue!
De tout ce qu'elle a fait elle n'est point émue;

Et bien qu'elle me mette à deux doigts du trépas,
On diroit, à la voir, qu'elle n'y touche pas.
Plus en la regardant je la voyois tranquille,
Plus je sentois en moi s'échauffer une bile;

[ocr errors][merged small]

1020

Et ces bouillants transports dont s'enflammoit mon cœur
Y sembloient redoubler mon amoureuse ardeur;
J'étois aigri, fàché, désespéré contre elle :
Et cependant jamais je ne la vis si belle,
Jamais ses yeux aux miens n'ont paru si perçants,
Jamais je n'eus pour eux des desirs si pressants;
Et je sens là dedans qu'il faudra que je crève
Si de mon triste sort la disgrâce1 s'achève.

Quoi? j'aurai dirigé son éducation

Avec tant de tendresse et de précaution,

Je l'aurai fait passer chez moi dès son enfance,

1025

I. Les éditions de 1665, 66, 73 portent, faute évidente, sa disgrâce, pour

la disgrâce.

Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance,
Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissans
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache
Me la vienne enlever jusque sur la moustache,
Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi!

1030

Non, parbleu! non, parbleu! Petit sot, mon ami, 1035
Vous aurez beau tourner : ou j'y perdrai mes peines,
Ou je rendrai, ma foi, vos espérances vaines,
Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point.

SCÈNE II.

LE NOTAIRE, ARNOLPHE'.

LE NOTAIRE.

Ah! le voilà! Bonjour. Me voici tout à point
Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire 3. 1040
ARNOLPHE, sans le voir".

Comment faire?

1. UN NOTAIRE, Arnolphe. (1734.)

2. Parmi les critiques que souleva l'École des femmes, il y en a une plus fondée que les autres, et que de Visé ne manqua pas de faire : « Est-il vraisemblable qu'Arnolphe passe toute une journée dans la rue; que Chrysalde s'y trouve deux fois; qu'Horace s'y trouve cinq ou six; que le Notaire s'y trouve aussi? » (Zélinde, p. 112.) On aura remarqué que Molière a tout fait pour sauver cette invraisemblance, en tâchant chaque fois de motiver la présence des différents personnages sur la scène. Le respect de l'unité de lieu rendait à peu près inévitable ce défaut qui est commun à bien d'autres pièces françaises; ces rues, ces places publiques, où il ne passe que les personnages de la pièce, ne se voient qu'au théâtre; mais c'était une convention admise, et l'extrême simplicité de la représentation, nécessitée en partie par la présence des spectateurs qui encombraient la scène, rendait cette invraisemblance moins sensible qu'elle ne le serait aujourd'hui.

3.

Que vous me souhaitez faire. (1665.)

4. ARNOLPHE, se croyant seul, et sans voir ni entendre le Notaire. (1734.)

LE NOTAIRE.

Il le faut dans la forme ordinaire.

ARNOLPHE, sans le voir 1.

A mes précautions je veux songer de près.

LE NOTAIRE.

Je ne passerai rien contre vos intérêts.

ARNOLPHE, sans le voir.

Il se faut garantir de toutes les surprises.

LE NOTAIRE.

Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mises. 1045
Il ne vous faudra point, de peur d'être déçu,
Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu.
ARNOLPHE, sans le voir.

J'ai peur, si je vais faire éclater quelque chose,
Que de cet incident par la ville on ne cause.

LE NOTAIRE.

Hé bien, il est aisé d'empêcher cet éclat,
Et l'on peut en secret faire votre contrat3.

ARNOLPHE, sans le voir.

Mais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en sorte?

LE NOTAIRE.

Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.

ARNOLPHE, sans le voir.

Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras.

LE NOTAIRE.

On peut avantager une femme en ce cas.

ARNOLPHE, sans le voir.

Quel traitement lui faire en pareille aventure?

1050

1055

I. ARNOLPHE, se croyant seul. (1734.) · La même variante se reproduit avant les vers 1044, 1048, 1052, 1054, 1056 et 1060.

2. Quittancer, c'est, dit l'Académie (1694), « décharger une obligation, en écrivant sur le dos, au bas ou à la marge, que le débiteur a payé tout ou partie de la somme à laquelle il étoit obligé.

3.

Faire notre contrat. (1682, 97, 1710, 33.)

LE NOTAIRE.

L'ordre est que le futur doit douer la future
Du tiers du dot1 qu'elle a; mais cet ordre n'est rien,
Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien.

Si....

2

ARNOLPHE, sans le voir.

LE NOTAIRE, Arnolphe l'apercevant.

Pour le préciput3, il les regarde ensemble. 1060 peut comme bon lui semble

Je dis que le futur

Douer la future.

ARNOLPHE, l'ayant aperçu *.
Euh?

LE NOTAIRE.

Il peut l'avantager

Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger,

1. Du tiers de dot. (1734.)

Dans le Thrésor de Nicot (1606) dot est masculin, comme dans Montaigne ; les dictionnaires de la fin du siècle le font tous féminin: Richelet, qui a les deux formes dote et dot, Furetière, l'Académie. Au temps de Molière, le genre du mot était encore douteux; il le fait masculin ailleurs et en prose: <«< C'est une raillerie que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu'elle ne fera point, » (L'Avare, acte II, scène v.) — Quant à l'expression: douer une femme, pour lui assigner un douaire, Richelet (1680) la donne; mais l'auteur des Observations publiées en 1690 avec les Nouvelles remarques de Vaugelas, L. A. Alemand, avocat au Parlement, blâme à ce sujet Richelet; il faut dire assigner un douaire à une femme, et il ajoute (p. 162): « C'est comme nous parlons tous à présent au Palais. »>

[blocks in formation]

3. Le préciput (quand il s'agit de conventions matrimoniales) est un avantage que l'on stipule, par le contrat de mariage, en faveur du survivant des conjoints, et qui se prend sur la communauté avant le partage des biens. (Note d'Auger.) — La formation du mot est étrange, et le t, dit M. Littré, inexplicable. On disait en latin præcipuum, dans notre ancienne langue précipuité. 4. Les mots l'ayant aperçu sont supprimés dans l'édition de 1734. 5. Ici encore l'édition de 1734 remplace Euh? par Hé?

a « Pourtant treuve-je peu d'avancement à un homme de qui les affaires se portent bien d'aller chercher une femme qui le charge d'un grand dot. » (Essais, livre II, chapitre VIII.)

« PrécédentContinuer »