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ARNOLPHE.

Vous fuyez l'ignorance, et voulez, quoi qu'il coùte, 1560 Apprendre du blondin quelque chose?

AGNÈS.

Sans doute.

C'est de lui que je sais ce que je puis savoir1:
Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir.

ARNOLPHE.

1565

Je ne sais qui me tient qu'avec une gourmade
Ma main de ce discours ne venge la bravade.
J'enrage quand je vois sa piquante froideur,
Et quelques coups de poing satisferoient mon cœur.

AGNÈS.

Hélas! vous le pouvez, si cela peut vous plaire'.
ARNOLPHE 3.

Ce mot et ce regard désarme ma colère,

Et produit un retour de tendresse et de cœur,
Qui de son action m'efface la noirceur.
Chose étrange d'aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles foiblesses!
Tout le monde connoît leur imperfection:
Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion ;
Leur esprit est méchant, et leur àme fragile;
Il n'est rien de plus foible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle: et malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.

1570

1575

I.

2.

Ce que je peux savoir. (1682, 1734.)

Si cela vous peut plaire. (1673, 74, 82, 1734.)

3. ARNOLPHE, à part. (1734.)

4. Il y a désarment, dans l'édition originale et dans celles de 16634, 1675A, 84A, 94 B; mais ce pluriel est impossible avec produit du vers suivant.

5. Qui de son action efface la noirceur. (1673, 74, 82, 1734.)

6. L'édition originale ponctue ainsi :

Chose étrange! d'aimer, et que....

Hé bien! faisons la paix'. Va, petite traîtresse,
Je te pardonne tout et te rends ma tendresse.
Considère par là l'amour que j'ai pour toi,
Et me voyant si bon, en revanche aime-moi.

AGNÈS.

1580

Du meilleur de mon cœur je voudrois vous complaire : Que me coûteroit-il, si je le pouvois faire?

ARNOLPHE.

Mon pauvre petit bec', tu le peux, si tu veux 3. (Il fait un soupir 4.)

Écoute seulement ce soupir amoureux,

1 585

Vois ce regard mourant, contemple ma personne,
Et quitte ce morveux et l'amour qu'il te donne.
C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi, 1590
Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.

Ta forte passion est d'être brave et leste:
Tu le seras toujours, va, je te le proteste;
Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai,
Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai;

1595

1. Cet hémistiche est précédé de l'indication: A Agnés, dans l'édition de 1734.

2. La Fontaine a dit au même sens, dans le conte intitulé Pâté d'anguille:

Un sien valet avoit pour femme

Un petit bec assez mignon,

Nous lisons dans le Dictionnaire de l'Académie (1694) : « On dit d'une femme qu'elle fait le petit bec pour dire qu'elle fait la petite bouche, l'aimable, ajouterons-nous, et la gentille; de cette locution on a pu naturellement détacher petit bec au sens où le prennent Molière et la Fontaine.

3.

Mon pauvre petit cœur, tu le peux si tu veux. (1673, 74, 82, 1734.) 4. Cette indication n'est pas dans l'édition de 1734.

5. Brave, bien vêtue: voyez au tome II, p. 112, la note 3, relative au substantif braverie. Quant à leste, Furetière (1690) l'explique par « qui est brave, en bon état et en bon équipage pour paroitre; » et il cite cet exemple où ressort bien le sens du mot: « Les fêtes, les carrousels, les bals demandent que les gens soient fort lestes, pimpants et magnifiques.

6. «<<

>>

Bouchonner se dit dans le style bas et comique pour cajoler, faire des caresses. >> (Dictionnaire de Furetière, édition de 1701.)- Bouchonner signifie, au propre, panser, frotter un cheval avec un bouchon de foin ou de

Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire1:
Je ne m'explique point, et cela, c'est tout dire.
(A part 2.)

Jusqu'où la passion peut-elle faire aller!

Enfin à mon amour rien ne peut s'égaler :

Quelle preuve veux-tu que je t'en donne, ingrate? 1600
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?
Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux?
Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux :
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.

AGNÈS.

Tenez, tous vos discours ne me touchent point l'àme : Horace avec deux mots en feroit plus que vous.

ARNOLPHE.

Ah! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux.
Je suivrai mon dessein, bête trop indocile,

Et vous dénicherez à l'instant de la ville.
Vous rebutez mes vœux et me mettez à bout;
Mais un cul de couvent me vengera de tout.

3

1610

Au

paille. L'exemple suivant de Bonaventure des Périers (nouvelle xxv) montre bien, ce nous semble, comment du sens propre on a pu passer au sens figuré que nous avons ici : « Il vous la bouchonne (une vieille mule), il la vous estrille, il la traite si bien, qu'il sembloit qu'elle fût encore bonne bête, vers 769 de l'École des maris, nous avons vu bouchon pris comme terme de caresse, mais nous ne croyons pas qu'il y ait un rapport de signification entre cet emploi du substantif et celui du verbe.

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2. Bas, à part, dans l'édition de 1734, qui met haut avant le vers 1599. 3. Convent est l'orthographe des éditions de 1663a, 63, 65, 66, 73, 74, 82, 97, 1710 voyez ci-dessus la note du vers 135.

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Cette expression de cul de couvent, que je n'ai encore remarquée que dans Molière, a une énergie particulière, en ce qu'elle renferme, par analogie, l'idée de prison, de cachot. Arnolphe dit un cul de couvent, comme il dirait un cul de basse fosse. » ( Vote d' Auger.) — Furetière, dans son Dictionnaire (1690), donne l'expression comme étant d'usage ordinaire : « On appelle un cul de basse fosse, un cul de couvent, le lieu le mieux gardé, le plus resserré d'un couvent, le plus bas d'une prison. » Mais Furetière ne cite aucun exemple, et M. Littré ne donne que celui-ci.

SCÈNE V.

ALAIN, ARNOLPHE'.

ALAIN.

Je ne sais ce que c'est, Monsieur, mais il me semble Qu'Agnès et le corps mort s'en sont allés ensemble.

ARNOLPHE.

La voici. Dans ma chambre allez me la nicher 2:
Ce ne sera pas là qu'il la viendra chercher;
Et puis c'est seulement pour une demie-heure3:
Je vais, pour lui donner une sùre demeure,
Trouver une voiture. Enfermez-vous des mieux *,
Et surtout gardez-vous de la quitter des yeux.
Peut-être que son àme, étant dépaysée,
Pourra de cet amour être désabusée.

1615

1620

SCÈNE VI.

ARNOLPHE, HORACE.

HORACE.

Ah! je viens vous trouver, accablé de douleur.

1. ARNOLPHE, Agnés, Alain. (1734.)

2. L'édition de 1734 fait suivre ce vers des mots : à part.

3. Nous conservons à ce composé l'orthographe de l'édition originale : e muet devant le trait d'union; les éditions de 1682, 97, 1710, 33 et 34 écrivent, avec hiatus, demi-heure.

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1625

1630

Le Ciel, Seigneur Arnolphe, a conclu mon malheur1;
Et par un trait fatal d'une injustice extrême,
On me veut arracher de la beauté que j'aime.
Pour arriver ici mon père a pris le frais;
J'ai trouvé qu'il mettoit pied à terre ici près;
Et la cause, en un mot, d'une telle venue,
Qui, comme je disois, ne m'étoit pas connue2,
C'est qu'il m'a marié sans m'en récrire rien,
Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien.
Jugez, en prenant part à mon inquiétude,
S'il pouvoit m'arriver un contre-temps plus rude.
Cet Enrique, dont hier je m'informois à vous,
Cause tout le malheur dont je ressens les
Il vient avec mon père achever ma ruine,
Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine.
J'ai, dès leurs premiers mots, pensé m'évanouir;
Et d'abord, sans vouloir plus longtemps les ouïr,
Mon père ayant parlé de vous rendre visite,
L'esprit plein de frayeur je l'ai devancé vite.
De grâce, gardez-vous de lui rien découvrir
De mon engagement qui le pourroit aigrir;
Et tâchez, comme en vous il prend grande créance,
De le dissuader de cette autre alliance.

coups;

1635

1640

1645

Oui-da.

ARNOLPHE.

HORACE.

Conseillez-lui de différer un peu,

1. Non pas peut-être a résolu (comme l'interprète Auger), mais a consommé,

a mis le comble à, a rendu complet. Corneille a dit, dans un sens analogue :

2.

Voici le jour heureux

Qui doit conclure enfin nos desseins généreux.

(Cinna, vers 164.)

Qui, comme je disois, me sembloit inconnue. (1673, 74.)

3. Récrire est la leçon de l'édition originale et de 1663; elle est altérée fau tivement en rescire (sic) dans celles de 1684 A, 94 B; les autres ont écrire.

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