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Si même nous regardions comme plus dignes de foi les copies données dans la correspondance de Colbert, nous ne songerions pas à faire remonter jusqu'au ministre la responsabilité de la sourde malveillance que semblent marquer ces pièces. Il n'avait que le tort de placer assez mal sa confiance, pour << toutes les choses dépendantes des belles-lettres, » et de s'en rapporter trop volontiers à Chapelain, « qu'il reconnoissoit, comme il m'a fait l'honneur de me le dire plus d'une fois, dit Perrault, pour l'homme du monde qui avoit le goût le meilleur et le sens le plus droit pour toutes ces matières1. » Le nom de Molière n'est pas sur la liste de 1672. Il ne faudrait pas en conclure pourtant qu'on n'eût pas dessein de l'y porter, et qu'on ait voulu lui retrancher sa pension, comme on le fit plus tard pour Corneille, à qui elle était plus nécessaire. Nous savons par le premier commis de Colbert, Perrault, que ces pensions ne furent payées régulièrement que pendant les premières années, que bientôt elles furent toujours en retard, et, comme il le dit, que les années finirent par avoir seize mois 2. Il est donc fort probable qu'au moment

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1. Charles Perrault, Mémoires de ma vie, dans la 1re édition, 1759, p. 31; mais nous avons revu nos citations sur un manuscrit de la Bibliothèque nationale qu'on croit autographe. On voit, par ce qui suit dans Perrault, qu'il faut, avec Chapelain, nommer l'abbé de Bourzeis, Cassagne, et Perrault lui-même, qui formaient auprès du ministre « une espèce de petit conseil » littéraire (p. 31 et 33); il fut assemblé pour la première fois le 3 février 1663; un peu plus tard, Charpentier leur fut encore adjoint (p. 40). Chapelain mourut un an après Molière, au commencement de l'année 1674. 2. ... M. Colbert fit un fonds de la somme de cent mille livres sur l'état des bâtiments du Roi, pour être distribuée aux gens de lettres. Tout ce qui se trouva d'hommes distingués pour l'éloquence, la poésie, les mécaniques et les autres sciences, tant dans le Royaume que dans les pays étrangers, reçurent des gratifications, les uns de mille écus, les autres de deux mille livres, les autres de cinq cents écus, d'autres de douze cents livres, quelques-uns de mille livres, et les moindres de six cents livres. Il alla de ces pensions en Italie, en Allemagne, en Danemark, en Suède et aux dernières extrémités du Nord: elles y alloient par lettres de change; et à l'égard de celles qui se distribuoient à Paris, elles se portèrent, la première année, chez tous les gratifiés, par le commis du trésorier

de la mort de Molière (17 février 1673), la liste pour 1672 n'était pas encore dressée1. De quelque façon d'ailleurs qu'on explique l'absence de son nom sur cette liste, il faut bien se dire que la prospérité de son théâtre, comme la célébrité de son nom, lui rendait alors la gratification assez inutile, et qu'elle n'avait plus pour lui, à beaucoup près, la même valeur qu'en 1663.

Le Remerciment au Roi est signalé par un contemporain, qui porte sur cette petite pièce un jugement plus favorable que sur l'École des femmes même. Robinet écrit : « Avez-vous vu, le Remerciment qu'il (Molière) a fait sur sa pension de bel es-prit? Rien n'a été trouvé si galand ni si joli. C'est un portrait de la cour trait pour trait. On y voit la cour comme si l'on y étoit, les habits, la façon d'agir des courtisans; enfin tout vous y paroît, jusques au ton de voix2. »

Le Remerciment de Molière a été d'abord, comme celui de Corneille, imprimé à part3. Cette édition originale, sur la

des bâtiments, dans des bourses de soie et d'or, les plus propres du monde; la seconde année dans des bourses de crin ; et comme toutes choses ne peuvent pas demeurer au même état et vont naturellement en diminuant, les années suivantes il fallut les aller recevoir soi-même chez le trésorier en monnoie ordinaire; et les années commencèrent avoir quinze et seize mois. Quand on déclara la guerre à l'Espagne, une grande partie de ces gratifications s'amortirent. » (Mémoires de Charles Perrault, p. 51-53.)

1. Voyez ci-dessus, p. 289, fin de la note 2.

2. Le Panégyrique de l'École des femmes, p. 74.

3. Voyez au tome X du Corneille de la collection des Grands écrivains (p. 175), la Notice de M. Marty-Laveaux. Il en a été de même de l'ode de la Renommée aux Muses de Racine (voyez la Notice de M. P. Mesnard, tome IV, p. 72); cinq strophes de cette ode (vers 85-104) célèbrent la munificence du Roi; c'était le remercîment du jeune poëte au nouvel Auguste et au nouveau Mécène. La guérison du protecteur déclaré des lettres, l'attente ou la reconnaissance de ses bienfaits inspirèrent cette année-là un grand nombre de poésies latines et françaises. Chapelain fit lui-même un sonnet et s'employa activement à hâter la composition et la correction de toutes ces pièces, qu'il se proposait de réunir en volume: voyez (dans l'Appendice, cité plus haut, du tome V de M. P. Clément) les lettres de Chapelain à Colbert des 9 et 23 juin.

quelle nous avons collationné notre texte, forme sept pages petit in-4°. La comparaison avec les anciennes réimpressions ne fournit, comme on le verra, qu'une seule variante: celle du vers 92, surtout (sur tout) au lieu de la leçon sur tous, que nous trouvons partout de 1664 à 1734 exclusivement. Voici quel est le titre de la première édition :

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LISTE DES PENSIONS POUR L'ANNÉE 16631.

Extrait des Manuscrits de M. Colbert, p. 169 et suivantes.

Au commencement de l'année 1663, le Roi voulut donner des marques publiques de l'envie qu'il avoit de faire fleurir les lettres pendant son règne. Pour cet effet, il voulut donner des pensions et des gratifications à tous ceux qui excelloient en quelques sciences, dans son royaume et dans les pays étrangers; et s'étant fait instruire, par les ambassadeurs et par tous ceux qui ont commerce avec les savants, du nom des principaux en tout genre, et des sciences où ils excelloient, il fit choix lui-même d'un bon nombre, auxquels il envoya les sommes qu'il leur avoit destinées, dont voici la liste avec la note :

Au sieur de la Chambre, son médecin ordinaire, excellent homme pour la physique, et pour la connoissance des passions et des sens, dont il a fait divers ouvrages fort estimés, une pension de........ Au sieur Conrard, lequel, sans connoissance d'aucune autre langue que sa maternelle, est admirable pour juger de toutes les productions de l'esprit, une pension de................

Au sieur le Clerc, excellent poëte françois.....

Au sieur Pierre Corneille, premier poëte dramatique du monde. Au sieur Desmaretz, le plus fertile auteur et doué de la plus belle imagination qui ait jamais été....

...

Au sieur Ménage, excellent pour la critique des pièces......

Au sieur abbé de Pure, qui écrit l'histoire en latin pur et élégant.
Au sieur Boyer, excellent poëte françois......

2000 I.

1500

600

2000

1200

2000

1000 800

Au sieur Corneille le jeune, bon poëte françois et dramatique.... 1000 Au sieur Molière, excellent poëte comique...

Au sieur Benserade, poëte françois fort agréable..

1000

1500

1. Tirée des Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l'histoire et à la littérature, par M. D. L. P. (de la Place), tome I (1781), p. 197-202. -Cette liste donnée par la Place est, nous l'avons dit, la seule que nous ayons pour l'année 1663.

Au père le Cointre de l'Oratoire, habile pour l'histoire...

1500 1.

Au sieur Godefroi, historiographe du Roi. ....

3600

Au sieur Huet, de Caen, grand personnage qui a traduit Origène. 1500

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Au sieur Ogier, consommé dans la théologie et les belles-lettres.. 1500 Au sieur Vallier 1, professant parfaitement la langue arabe......

600

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Aux sieurs de Valois frères, qui écrivent l'histoire en latin...... 2400

Au sieur Mauri, poëte latin.............

600

Au sieur Racine, poëte françois..

800

Au sieur abbé de Bourzeis, consommé dans la théologie positive scolastique, dans l'histoire, les lettres humaines et les langues orientales.

3000

Au sieur Chapelain, le plus grand poëte françois qui ait jamais été, et du plus solide jugement..

Au sieur abbé Cassagne, poëte, orateur, et savant en théologie...
Au sieur Perrault, habile en poésie et en belles-lettres....
Au sieur Mézeray, historiographe.....

3000

1500

1500

4000

Les étrangers sont Heinsius, Vossius, Huyghens, Hollandois qui a inventé les pendules, Beklerus, etc., dont les pensions sont de 12 et de 1500 livres.

1. Lisez Vattier.

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