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REMERCIMENT AU ROI'.

Votre paresse enfin me scandalise,
Ma Muse; obéissez-moi :

Il faut ce matin, sans remise,
Aller au lever du Roi.

Vous savez bien pourquoi ;
Et ce vous est une honte

De n'avoir pas été plus prompte
A le remercier de ses fameux bienfaits;
Mais il vaut mieux tard que jamais.
Faites donc votre compte 2

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D'aller au Louvre accomplir mes souhaits.

Gardez-vous bien d'être en Muse bâtie :

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1. Dans l'édition de 1682 et celles de la même série le titre est : « Remerciment au Roi, fait par J. B. P. de Molière, en l'année 1663, après avoir été honoré d'une pension par Sa Majesté. » — La pièce est divisée en stances dans la 2de édition (1664); les coupes que nous indiquons par des blancs y sont marquées par des fleurons. Les autres éditions, y compris la première, laissent, pour la plupart, un blanc entre les vers 74 et 75, mais partout ailleurs, elles divisent par de simples alinéas : cette division est possible dans les anciens textes, parce que tous les vers, quelle qu'en soit la longueur, y ont même marge, et qu'on ne les fait pas, comme nous ici d'après le constant usage d'à présent, rentrer plus ou moins selon la mesure.

2. Plusieurs éditions anciennes écrivent conte, tout en ayant à la fin du second des deux vers qui riment avec le 10°, prompte, et non pronte.

3. Sauf un voyage de onze jours en Lorraine, à la fin d'août, et des promenades assez courtes à Versailles, à Saint-Germain, à SaintCloud et à Vincennes, le Roi était resté cette année à Paris. On sait qu'il ne se fixa à Versailles que plusieurs années après la mort de Molière, en 1678.

Un air de Muse est choquant dans ces lieux; On y veut des objets à réjouir les yeux;

Vous en devez être avertie;

Et vous ferez votre cour beaucoup mieux,
Lorsqu'en marquis vous serez travestie.
Vous savez ce qu'il faut pour paroître marquis;
N'oubliez rien de l'air ni des habits:
Arborez un chapeau chargé de trente plumes
Sur une perruque de prix;

Que le rabat soit des plus grands volumes,
Et le pourpoint des plus petits;
Mais surtout je vous recommande

Le manteau, d'un ruban sur le dos retroussé :
La galanterie en est grande;

Et parmi les marquis de la plus haute bande
C'est pour être placé.

Avec vos brillantes hardes

Et votre ajustement,

Faites tout le trajet de la salle des gardes 1;

Et vous peignant galamment,

Portez de tous côtés vos regards brusquement;

Et, ceux que vous pourrez connoître 2,
Ne manquez pas, d'un haut ton,

De les saluer par leur nom,

De quelque rang qu'ils puissent étre.
Cette familiarité

Donne à quiconque en use un air de qualité.

Grattez du peigne à la porte

De la chambre du Roi ;

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1. La salle des gardes au Louvre est maintenant la salle des Cariatides.

2. Dans l'édition de 1664, connestre, pour rimer à l'œil avec estre. 3. « Le baron de la Crasse, héros d'une comédie, de Raymond

Ou si, comme je prévoi,
La presse s'y trouve forte,
Montrez de loin votre chapeau,
Ou montez sur quelque chose
Pour faire voir votre museau,
Et criez sans aucune pause,

D'un ton rien moins que naturel :

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<< Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel1. » Jetez-vous dans la foule, et tranchez du notable; Coudoyez un chacun, point du tout de quartier, Pressez, poussez, faites le diable

Poisson, qui porte ce titre (1662), raconte qu'étant allé au Louvre, il avait frappé à la porte du Roi pour se faire ouvrir. L'huissier lui dit (scène 1) :

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Cet usage subsiste encore aujourd'hui. Molière nous apprend ici que, du temps de Louis XIV, les courtisans se servaient, pour gratter à la porte du Roi, du peigne qu'ils avaient dans la poche. >> (Note d'Auger, 1825.) Voyez la citation de Courtin, à la note suivante. C'est aussi le lieu de citer cette phrase de la Bruyère (tome I, de la Cour, p. 300 et 301, 15): «N** arrive avec grand bruit; il écarte le monde, se fait faire place; il gratte, il heurte presque; il se nomme : on respire, et il n'entre qu'avec la foule. » Voyez les notes de M. Servois sur ce passage, dans lesquelles il conviendrait de supprimer les deux mentions de l'Impromptu de Versailles, qui donneraient à entendre que le Remerciment au Roi était, ce qu'en a fait Bret (voyez ci-dessus, p. 283), une annexe à cette pièce. On peut rapprocher de cet endroit du Remerciment la scène des deux marquis dans l'antichambre du Roi (ci-après p. 410).

1. « Pour le marquis, » et non « pour Monsieur le marquis. » Le Nouveau Traité de la Civilité qui se pratique en France parmi les honnétes gens (par A. de Courtin) traite, au chapitre iv, des règles de politesse qu'il faut observer en se présentant chez les grands: « A la porte des chambres ou du cabinet, c'est ne savoir pas le monde que de heurter; il faut gratter. Et quand on gratte à la porte chez le Roi et chez les Princes, et que l'huissier vous demande votre nom, il le faut dire et jamais ne se qualifier de Monsieur. »

Pour vous mettre le premier;

Et quand même l'huissier,

A vos desirs inexorable,

Vous trouveroit en face un marquis repoussable',
Ne démordez point pour cela,
Tenez toujours ferme là:

A déboucher la porte il iroit trop du vôtre;
Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer,

Et qu'on soit obligé de vous laisser entrer,
Pour faire entrer quelque autre.

:

Quand vous serez entré2, ne vous relâchez pas
Pour assiéger la chaise3, il faut d'autres combats;
Tâchez d'en être des plus proches,

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En y gagnant le terrain pas à pas;
Et si des assiégeants le prévenant * amas
En bouche toutes les approches,
Prenez le parti doucement
D'attendre le Prince au passage:
Il connoîtra votre visage

Malgré votre déguisement;
Et lors, sans tarder davantage,
Faites-lui votre compliment.

Vous pourriez aisément l'étendre,

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1. Bayle (article POQUELIN), cité par Auger, trouvait ce terme barbare. M. Littré n'en cite point d'autre exemple que celui-ci. 2. Comme Molière, dans tout le cours de la pièce, s'adresse à sa Muse, le masculin entré est une singulière inadvertance; à moins toutefois que l'auteur, voyant déjà cette Muse en marquis, ne croie devoir lui parler en conséquence. (Note d'Auger.)

3. La chaise où le Roi est assis.

4. « Le mot prévenant, dit encore Bayle à l'article cité, n'est en usage qu'au figuré, et ne signifie pas un homme qui a passé devant d'autres. >>

Et parler des transports qu'en vous font éclater
Les surprenants bienfaits que, sans les mériter',
Sa libérale main sur vous daigne répandre,
Et des nouveaux efforts où s'en va vous porter
L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre,

Lui dire comme vos desirs

Sont, après ses bontés qui n'ont point de pareilles,
D'employer à sa gloire, ainsi qu'à ses plaisirs,

Tout votre art et toutes vos veilles,
Et là-dessus lui promettre merveilles :
Sur ce chapitre on n'est jamais à sec;
Les Muses sont de grandes prometteuses!
Et comme vos sœurs les causeuses,

. Vous ne manquerez pas, sans doute, par le bec.
Mais les grands princes n'aiment guères
Que les compliments qui sont courts;

Et le nôtre surtout a bien d'autres affaires
Que d'écouter tous vos discours.

La louange et l'encens n'est pas ce qui le touche;
Dès que vous ouvrirez la bouche

Pour lui parler de grâce et de bienfait,

Il comprendra d'abord ce que vous voudrez dire,
Et se mettant doucement à sourire

D'un air qui sur les cœurs fait un charmant effet,

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1. Le Remerciment de Corneille, qui est d'un ton si différent, n'a de commun avec celui de Molière que cette idée nécessaire de modestie :

Tel est l'épanchement de tes nouveaux bienfaits;
Il prévient l'espérance, il surprend les souhaits,
Il passe le mérite....

2. Surtout (sur tout) est le texte de l'édition originale; dans la plupart des suivantes, jusqu'à celle de 1734 exclusivement, il y a le pluriel sur tous.

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