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BALLET DU PREMIER ACTE.

PREMIÈRE ENTRÉE.

Des joueurs de mail, en criant gare, l'obligent à se retirer'; et comme il veut revenir lorsqu'ils ont fait,

DEUXIÈME ENTRÉE 2

des curieux viennent, qui tournent autour de lui pour le connoître, et font qu'il se retire encore pour un moment3,

1. Des joueurs de mail, en criant gare, obligent Éraste à se retirer. (1734.) 2. SECONDE ENTrée. (1666, 73, 74, 82, 1734.)

3. Après que les joueurs de mail ont fini, Éraste revient pour attendre Orphise. Des curieux tournent autour de lui pour le connoître, et font qu'il se retire encore pour un moment. (1734.)

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

ÉRASTE.

Mes Fâcheux1 à la fin se sont-ils écartés?

Je pense qu'il en pleut ici de tous côtés.

Je les fuis, et les trouve; et pour second martyre, 295
Je ne saurois trouver celle que je desire.

Le tonnerre et la pluie ont promptement passé 2,
Et n'ont point de ces lieux le beau monde chassé.
Plùt au Ciel, dans les dons que ses soins y prodiguent,
Qu'ils en eussent chassé tous les gens qui fatiguent! 300
Le soleil baisse fort, et je suis étonné

Que mon valet encor ne soit point retourné.

SCÈNE II.

ALCIPPE, ÉRASTE.

ALCIPPE.

Bonjour.

ÉRASTE 3.

Eh quoi? toujours ma flamme divertie'!

1. Les Fâcheux. (1734.)

2. L'édition de 1682 indique par des guillemets que ce vers et les trois suivants étaient supprimés à la représentation.

3. ÉRASTE, à part. (1734.)

4. Divertir, ici et au vers 742, détourner, au sens latin et primitif du

ALCIPPE.

Console-moi, Marquis, d'une étrange partie
Qu'au piquet je perdis hier contre un Saint-Bouvain, 305
A qui je donnerois quinze points et la main.
C'est un coup enragé, qui depuis hier m'accable,
Et qui feroit donner tous les joueurs au diable,
Un coup assurément à se pendre en public1.

mot. << Combien de fois m'a cette besogne diverti de cogitations ennuyeuses! et doivent être comptées pour ennuyeuses toutes les frivoles. » (Montaigne, livre II, chapitre XVIII.) Nous avons déjà vu dans l'Étourdi (vers 906) :

Après de si beaux coups, qu'il a su divertir.

1. Avant d'entrer dans les détails de cette partie,... il est bon de noter lés différences qu'on remarque à la lecture de la scène, entre la manière dont le piquet se jouait du temps de Molière, et celle dont il se joue maintenant. D'abord, chaque couleur avait les six : ainsi on jouait avec trente-six cartes au lieu de trente-deux. Cependant chaque joueur n'en avait que douze dans la main.... Douze cartes formaient donc le talon, et par conséquent on avait douze cartes à écarter; le premier en écartait huit et le dernier quatre.... : le premier avait, comme aujourd'hui, le droit d'en écarter moins qu'il ne lui en revenait.... (Note d'Auger.) - Le même commentateur, à chacun des incidents du jeu, entre dans de nouvelles explications fort précises et fort claires, un peu longues peut-être; elles ont depuis été développées et confirmées, à l'aide de renvois au code authentique du jeu, tel qu'il était constitué au temps des Fâcheux, par M. Eugène de Certain, dans un article de la Correspondance littéraire (numéro du 10 avril 1861, p. 250 et suivantes), auquel nous croyons devoir renvoyer les lecteurs. Il est probable que la plupart d'entre eux n'y porteront pas beaucoup plus d'intérêt qu'Éraste, et se hâteront de dire comme lui :

J'ai compris le tout par ton récit,

Et vois de la justice au transport qui t'agite,

ce qui est une façon de se dispenser d'approfondir la question, tout l'intérêt dramatique étant d'un côté dans le transport qui agite le joueur malheureux, et de l'autre dans la parfaite indifférence, ou, pour mieux dire, dans l'impatience d'Éraste. Tous cependant n'ont pas le même droit de refuser leur attention aux choses qui ne les intéressent point; l'éditeur qui a déclaré cette partie inintelligible a eu tort de ne pas vouloir la comprendre ou se la faire expliquer. Il paraît sûr, au contraire, que la moindre connaissance des règles permettait aux contemporains de la suivre; ces règles ont été plus tard quelque peu altérées; il suffit d'en avertir les joueurs actuels ils ont l'habitude de cette langue rapide et passionnée, et jugeront sans peine avec quelle vraisemblance est amenée la péripétie dernière. Ce qui n'avait d'ailleurs besoin d'aucune démonstration, c'est que, comme pour la partie de chasse, Molière était vraiment tenu et a dû se piquer de faire un récit exact : qui voudrait jamais admettre qu'il ait pu perdre aucune de ces petites gageures-là ?

Il ne m'en faut que deux; l'autre a besoin d'un pic1: 310
Je donne, il en prend six, et demande à refaire';
Moi, me voyant de tout, je n'en voulus rien faire.
Je porte l'as de trèfle (admire mon malheur),
L'as, le roi, le valet, le huit et dix de coeur,
Et quitte, comme au point alloit la politique',
Dame et roi de carreau, dix et dame de pique.
Sur mes cinq cœurs portés la dame arrive encor®,
Qui me fait justement une quinte major.

315

Mais mon homme avec l'as', non sans surprise extrême, Des bas carreaux sur table étale une sixième 8.

J'en avois écarté la dame avec le roi;

10

Mais lui fallant un pic1o, je sortis hors d'effroi,

Et croyois bien du moins faire deux points uniques.
Avec les sept carreaux il avoit quatre piques,

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320

1. Il ne me fallait plus pour achever et gagner la partie que « deux points uniques (vers 323) sur cent; l'autre ne pouvait plus se sauver que par un pic, qu'en faisant au moins pic (c'est-à-dire faisant soixante points avant que je pusse rien compter). On a vu au tome II, p. 75, note I, comment le pie fait ajouter 30 points à 30, et que le capot (dont il sera question au vers 329 et qui dénouera la partie) fait hausser de 40 le chiffre de points atteint à la dernière levée.

2. Sans doute: me demande par grâce, en considération de sa malechance aux tours précédents (il s'agit du dernier), d'annuler la donne qui ne lui mettait en main que six points. Auger et M. de Certain entendent par « il en prend six, il prend six cartes au talon; ce sens est tout naturel; seulement la demande de refaire après l'écart paraît un peu bien indiscrète, même de la part d'un adversaire à qui on donnerait quinze points et la main.

3. J'ai en main, avant tout écart (vers 317), les cartes suivantes.

4. Et j'écarte.

5. Puisque tout mon jeu était d'avoir le point, que je n'avais à appliquer qu'à cela mon savoir-faire.

6. Aux cinq cœurs que j'ai déjà en main (vers 314), l'écart me fait joindre

la dame de même couleur.

7. Outre l'as de carreau.

8. Une seizième basse en carreau.

9. De ces mêmes carreaux j'avais écarté....

10. Comparez le vers 310.

Mais lui faillant un pic. (1673, 74, 82 (non 97), 1710, 1733.)

Et jetant le dernier1, m'a mis dans l'embarras
De ne savoir lequel garder de mes deux as.
J'ai jeté l'as de cœur, avec raison, me semble;
Mais il avoit quitté quatre trèfles ensemble,
Et par un six de cœur je me suis vu capot,
Sans pouvoir, de dépit, proférer un seul mot.
Morbleu! fais-moi raison de ce coup effroyable :
A moins que l'avoir vu, peut-il être croyable?

ÉRASTE.

325

330

C'est dans le jeu qu'on voit les plus grands coups du sort.

ALCIPPE.

Parbleu! tu jugeras toi-même si j'ai tort,

Et si c'est sans raison que ce coup me transporte; 335
Car voici nos deux jeux, qu'exprès sur moi je porte.
Tiens, c'est ici mon port 2, comme je te l'ai dit,
Et voici....

1. Jetant le dernier pique. — Avec ses sept carreaux, Saint-Bouvain a levé sept mains; il aurait par conséquent, d'après les conventions actuelles, ajouté 7 points aux 23 que les carreaux lui ont déjà valu (7 de point et 16 de sixième), fait pic et gagné. Si la partie continue, c'est qu'alors les basses cartes, du neuf au six, comptaient bien pour le point en cartes, et avaient bien aussi la puissance d'enlever des mains; mais ces mains-là ne rapportaient aucun point. Or quatre au moins, mais probablement six de ces petites cartes arrêtent les progrès de Saint-Bouvain : les neuf, huit, sept et six de carreaux, et, par supposition, deux des piques ". Après donc avoir jeté son dernier pique, Saint-Bouvain reste à 28; tout est en suspens; et ce n'est que grâce à sa dernière carte, au six de cœur (qu'Alcippe peut lui prendre si par malheur il ne jette l'as), c'est par la dernière levée (qui à Alcippe compterait double, dont celui-ci peut jusqu'au bout espérer ses « deux points uniques », tandis qu'à SaintBouvain, qui la fait mais la doit à une basse carte, elle ne comptera pas du tout pour arriver à pic tout en le faisant arriver à mieux), c'est en sautant, non de 30 à 60, mais de 28 à 68, en un mot non par le coup du pic, mais par le coup plus triomphant encore du capot, que Saint-Bouvain va consterner Alcippe.

2. Les cartes que j'avais en main avant l'écart voyez les vers 313 et 317.

a C'est la supposition d'Auger et de M. de Certain; qu'on suppose inférieurs trois des piques ou même tous les quatre (le vers 316 ne s'y oppose pas), l'addition de 40 de capot à 27 ou 26 n'en portera pas moins à 67 ou 66 l'avantage final de Saint-Bouvain.

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