Images de page
PDF
ePub

Aux timides Mortels cachent ici les Rois!
Au fond de leur Palais leur majesté terrible
Affecte à leurs Sujets de fe rendre invisible.
Et la mort eft le prix de tout audacieux,
Qui, fans être appellé, se présente à leurs yeux!
Si le Roi, dans l'instant, pour fauver le coupable,
Ne lui donne à baifer fon fceptre redoutable.
Rien ne met à l'abri de cet ordre fatal,
Ni le rang, ni le fexe, & le crime est égal.
Moi-même, fur fon trône, à fes côtés affife,
Je fuis à cette loi, comme une autre, foumife
Et, fans le prévenir, il faut, pour lui parler,
Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me faffe appeller.
MARDO CHÉ E.

Quoi! lorfque vous voyez périr votre patrie,

Pour quelque chofe, Efther, vous.comptez votre vie?
Dieu parle, & d'un Mortel vous craignez le courroux?
Que dis-je, votre vie, Efther, eft-elle à vous ?
N'eft-elle pas au fang dont vous êtes issue?
N'eft-elle pas à Dieu, dont vous l'avez reçue?
Et qui fait, lorfqu'au trône il conduifit vos pas,
Si, pour fauver fon peuple, il ne vous gardoit pas ?
Songez-y bien. Ce Dieu ne vous a pas choifie
Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Afie,
Ni pour charmer les yeux des profanes humains.
Pour un plus noble ufage il réserve ses Saints.
S'immoler pour fon nom & pour fon héritage,
D'un enfant d'Ifraël voilà le vrai partage.

1

Trop heureuse pour lui de hafarder vos jours!
Et quel befoin fon bras a-t-il de nos fecours?
Que peuvent contre lui tous les Rois de la terre?
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre ;
Pour diffiper leurs ligues, il n'a qu'à fe montrer.
Il parle, & dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit, le Ciel tremble.
Il voit comme un néant tout l'Univers ensemble.
Et les foibles Mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant les yeux comme s'ils n'étoient pas
S'il a permis d'Aman l'audace criminelle,
Sans doute qu'il vouloit éprouver votre zèle.
C'est lui qui, m'excitant à vous ofer chercher,
Devant moi, chère Efther, a bien voulu marcher.
Et s'il faut que fa voix frappe en vain vos oreilles,
Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles.
Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers,
Par la plus foible main qui foit dans l'Univers.
Et vous, qui n'aurez point accepté cette grace
Vous périrez peut-être, & toute votre race.

ESTHER.

Allez. Que tous les Juifs, dans Suze répandus,
A prier avec vous jour & nuit affidus,

Me prêtent de leurs vœux le fecours falutaire,
Et pendant ces trois jours gardent un jeûne austère.
Déjà la fombre nuit a commencé fon tour.
Demain, quand le Soleil rallumera le jour,
Contente de périr, s'il faut que je périffe,

J'irai

pour mon pays m'offrir en facrifice. Qu'on s'éloigne un moment.

(Le Chaur fe retire vers le fond du Théâtre.)

SCENE IV.

ESTHER, ELISE, LE CHŒUR.

ESTHER.

O

mon fouverain Roi!

Me voici donc tremblante & feule devant toi.
Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance,
Qu'avec nous tu juras une fainte alliance,
Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
Il plut à ton amour de choisir nos ayeux.
Même tu leur promis de ta bouche facrée,
Une poftérité d'éternelle durée.

Hélas, ce peuple ingrat a méprifé ta loi!
La Nation chérie a violé sa foi.

Elle a répudié fon époux & fon père,

Pour rendre à d'autres Dieux un honneur adultère. Maintenant elle fert fous un Maître étranger, Mais c'est peu d'être efclave, on la veut égorger. Nos fuperbes vainqueurs, infultant à nos larmes, Imputent à leurs Dieux le bonheur de leurs armes Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel Aboliffe ton nom, ton peuple, & ton autel,

Ainfi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourroit anéantir la foi de tes oracles?

Raviroit aux Mortels le plus cher de tes dons,
Le Saint que tu promets, & que nous attendons?
Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
Yvres de votre fang, ferment les feules bouches
Qui dans tout l'Univers célèbrent tes bienfaits;
Et confonds tous ces Dieux qui ne furent jamais.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
Tu fais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leur table, leurs feftins, & leurs libations;
Que même cette pompe où je fuis condamnée,
Ce bandeau, dont il faut que je paroiffe ornée,
Dans ces jours folemnels à l'orgueil dédiés,
Seule & dans le fecret, je le foule à mes pieds;
Qu'à ces vains ornemens je préfere la cendre,
Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre
J'attendois le moment marqué dans ton arrêt,
Pour ofer de ton peuple embraffer l'intérêt.
Ce moment eft venu. Ma prompte obéissance
Va d'un Roi redoutable affronter la préfence.
C'est pour toi que je marche. Accompagne mes pas
Devant ce fier lion, qui ne te connoit pas.
Commande, en me voyant, que fon courroux s'appaife
Et prête à mes difcours un charme qui lui plaife.
Les orages,
les vents, les Cieux te font loumis,
Tourne enfin fa fureur contre nos ennemis.

PLEURON

SCENE V.

Toute cette Scène est chantée.

LE CHŒUR.

UNE ISRAELITE feule.
LEURONS & gémiffons, mes fidelles compagnes.
A nos fanglots donnons un libre cours.

Levons les yeux vers les faintes montagnes
D'où l'innocence attend tout fon fecours.
O mortelles allarmes !

Tout Ifraël périt. Pleurez, mes triftes yeux.
Il ne fut jamais fous les Cieux
Un fi jufte fujet de larmes.
TOUT LE CHE U R.
O mortelles allarmes !

UNE AUTRE ISRAELITE.
N'étoit-ce pas affez qu'un vainqueur odieux
De l'augufte Sion eût détruit tous les charmes,
Et traîné les enfans captifs en mille lieux ?
TOUT LE CHUR.

O mortelles allarmes !

LA MESME ISRAELITE. Foibles agneaux, livrés à des loups furieux, Nos foupirs font nos feules armes.

TOUT LE CHOU R

O mortelles allarmes!

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »