Images de page
PDF
ePub

MILTON DANS LE PARADIS PERDU.

[ocr errors]

Le républicain se retrouve à chaque vers du Paradis perdu; les discours de Satan respirent la haine de la dépendance. Mais Milton qui, enthousiaste de la liberté, avait néanmoins servi Cromwell, fait connaître l'espèce de république qu'il comprenait : ce n'est pas une république d'égalité, une république plébéienne; il veut une république aristocratique et dans laquelle il admet des rangs. « Si nous ne sommes pas tous égaux, dit Satan, nous sommes tous également libres rangs et degrés et degrés ne jurent pas avec la liberté, mais s'accordent avec elle. Qui donc, en droit ou en raison, peut prétendre au pouvoir » sur ceux qui sont par droit ses égaux, sinon en pouvoir et en éclat, du moins en liberté? Qui >> peut promulguer des lois et des édits parmi »> nous, nous qui, même sans lois, n'errons jamais? Qui peut nous forcer à recevoir celui-ci » pour maitre, à l'adorer au détriment de ces » titres impériaux qui prouvent que nous sommes

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» faits pour gouverner, non pour obéir? » (Paradis perdu, livre v. )

S'il pouvait rester quelques doutes à cet égard, Milton, dans son moyen facile d'établir une société libre, s'explique de manière à éclaircir ces doutes: il y déclare que la république doit être gouvernée par un grand conseil perpétuel; il ne veut pas du remède populaire propre à combattre l'ambition de ce conseil permanent, car le peuple se précipiterait dans une démocratie licencieuse et sans frein, a licentious and undridled democraty. Milton, ce fier républicain, était noble; il avait des armoiries: il portait un aigle d'argent éployé de sable à deux têtes de gueules, jambes et bec de sable: un aigle était, du moins pour le poète, des armes parlantes. Les Américains ont des écussons plus féodaux que ceux des chevaliers du quatorzième siècle; fantaisies qui ne font de mal personne.

à

Les discours qui forment plus de la moitié du Paradis perdu ont pris un nouvel intérêt depuis que nous avons des tribunes. Le poète a transporté dans son ouvrage les formes politiques du gouvernement de sa patrie: Satan convoque un véritable parlement dans l'Enfer; il le divise en deux chambres; il y a une chambre des pairs au Tartare. L'éloquence forme une des qualités essentielles du talent de l'auteur : les discours prononcés par ses personnages sont souvent des modèles d'adresse ou d'énergie. Abdiel, en se sépa

rant des Anges rebelles, adresse ces paroles à Satan :

« Abandonné de Dieu, esprit maudit, dépouille » de tout bien, je vois ta chute certaine; ta bande » malheureuse, enveloppée dans cette perfidie, » est atteinte de la contagion de ton crime et de » ton châtiment. Ne t'agite plus pour savoir com» ment tu secoueras le joug du MESSIE DE DIEU; » ses indulgentes lois ne peuvent plus être invo

quées; d'autres décrets sont déjà lancés contre » toi sans appel. Ce sceptre d'or que tu repousses » est maintenant changé en une verge de fer pour » meurtrir et briser ta désobéissance. Tu m'as » bien conseillé je fuis, non toutefois par ton » conseil et devant tes menaces; je fuis ces tentes » criminelles et réprouvées dans la crainte que » l'imminente colère, venant à éclater dans une » flamme soudaine, ne fasse aucune distinction. » Attends-toi à sentir bientôt sur ta tête la foudre, » feu qui dévore! Alors, gémissant, tu appren» dras à connaitre celui qui t'a créé par celui » peut t'anéantir. »

qui

Il reste, dans le poème, quelque chose d'inexplicable au premier aperçu : la République infernale veut détruire la Monarchie céleste, et cependant Milton, dont l'inclination est toute républicaine, donne toujours la raison et la victoire à l'Eternel? C'est qu'ici le poète était domine par ses idées religieuses; il voulait, comme les Indépendans, une République theocratique; la

liberté hiérarchique sous l'unique puissance du Ciel; il avait admis Cromwell comme lieutenant général de Dieu, protecteur de la République.

Cromwell, our chief of men, who through a cloud

Not of war only, but detractions rude,

Guided by faith and matchlefs fortitude,

To peace and truth thy glorious way hast plough'd,
And on the neck of crowned fortune proud

Hast rear'd God's trophies, and his work pursued,
While Darwen stream with blood of Scots imbrued,
And Dunbar field resounds thy praises loud,
And Worcester's laureat wreath. Yet much remains
To conquer still; peace hath her victories

No less renown'd than war: new foes arise
Threatning to bind our souls with secular chains :
Help us to save free conscience from the paw
Of bireling wolves, whose gospel is their maw.

<< Cromwell, chef des hommes, qui, à travers » le nuage non seulement de la guerre, mais en» core d'une destruction brutale, guidé par la foi >> et une grandeur d'ame incomparable, as la>> bouré ton glorieux chemin vers la paix et la » vérité! Toi qui, sur le cou de l'orgueilleuse >> fortune couronnée, as planté les trophées de » Dieu et continué son ouvrage, tandis que le » cours du Darwen se teignait du sang des Ecossais, que le champ de Dunbar retentissait de »tes louanges, et des lauriers tressés à Worcester! » il te reste encore beaucoup à conquérir; la paix » a ses victoires non moins renommées que celles » de la guerre. De nouveaux ennemis s'élèvent » menaçans de lier nos ames avec des chaînes

[ocr errors]
[ocr errors]

séculaires: aide-nous à sauver notre libre con» science des ongles des loups mercenaires, dont l'évangile est leur ventre. >>

[ocr errors]

Dans la pensée de Milton, Satan et ses anges pouvaient être les orgueilleux Presbytériens qui refusaient de se soumettre aux Saints, à la faction desquels Milton appartenait, et dont il reconnaissait l'inspiré Cromwell comme le chef en Dieu.

On sent dans Milton un homme tourmenté : encore ému des spectacles et des passions révolutionnaires, il est resté debout après la chute de la révolution réfugiée en lui, et palpitante dans son sein. Mais le sérieux de cette révolution le domine; la gravité religieuse fait le contrepoids. de ses agitations politiques. Et néanmoins, dans l'étonnement de ses illusions détruites, de ses rêves de liberté évanouis, il ne sait plus où se prendre; il reste dans la confusion, même à l'égard de la vérité religieuse.

Il résulte d'une lecture attentive du Paradis perdu que Milton flottait entre mille systèmes. Dès le début de son poème, il se déclare socinien par l'expression fameuse un plus grand homme. Il ne parle point du Saint-Esprit ; il ne parle jamais de la Trinité, il ne dit jamais que le Fils est égal au Père. Le Fils n'est point engendré de toute éternité; le poète place même sa création après celle des anges. Milton est arien, s'il est quelque chose: il n'admet point la création proprement

« PrécédentContinuer »