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périences ont encore aujourd'hui force de loi. Nous espérons bien n'être pas les derniers à remettre au jour le mordant pamphlet qui n'a pas peu contribué à augmenter le discrédit dont ne se relevera jamais l'hypocrisie des tartufes de toute robe. En attendant cette publication, qui nous est demandée depuis longtemps, nous réimprimons les Pensées de Pascal, sur lesquelles nous reviendrons en quelques mots.

Blaise Pascal est né à Clermont-Ferrand, le 19 juin 1623. Son père, Etienne Pascal, président de la cour des aides de la même ville, vint s'établir en 1631 à Paris, et commença l'éducation de l'enfant prodige, dont il voulait se charger seul, par les lettres latine et grecque, en lui interdisant la lecture des livres de mathématiques. L'élève, tout en suivant la ligne tracée par son père, lui désobéit aux heures de son sommeil et devina jusqu'à la trente-deuxième proposition des Eléments d'Euclide. Pascal avait alors douze ans. Lorsqu'il eut atteint sa seizième année, il fit un Traité des sections coniques, qui fut admiré des gens du métier à ce point que Descartes ne put croire qu'un enfant aussi jeune en pût être l'auteur. Ce travail immense mina, dès l'âge de dix-huit ans, la santé de Pascal. Un an après, il inventa cette machine d'arithmétique par laquelle on fait non-seulement toutes sortes de supputations sans plume et sans jetons, mais même sans savoir l'arithmétique, et avec une sûreté infaillible. Citons rapidement son Triangle arithmétique (1654), ses travaux sur les bases du calcul des

probabilités, sa Théorie de la roulette (1658), publiée sous le nom d'A. d'Ettonville; son livre de l'Equilibre des liqueurs (1648), et sur la Pesanteur de la masse de l'air (1653); rappelons l'expérience qu'il fit sur le Puy-de-Dôme le 19 septembre 1648, à la suite de Torricelli qui, se fondant sur une idée entrevue par Galilée, avait inventé le baromètre. Pascal prouva que les effets que l'on avait jusqu'alors attribués à l'horreur du vide sort causés par la pesanteur de l'air. Ce génie supérieur ne dédaigna pas les objets d'utilité journalière; c'est à lui qu'on doit l'invention de la brouette-vinaigrette ou chaise roulante traînée à bras; celle du haquet, heureuse combinaison du levier et du plan incliné; quelques-uns même lui attribuent l'invention de la presse hydraulique.

Mais nous devons perdre de vue le savant pour ne nous attacher qu'au philosophe.

En 1647, une attaque de paralysie achève de ruiner sa santé. Une de ses sœurs, religieuse à Port-Royal-des-Champs, le détermine à quitter le monde, à l'âge de trente ans à peine. Il s'applique dans sa retraite à la lecture et à l'étude des livres de religion. Ses relations avec les jansénistes le mènent insensiblement sur la pente de la controverse; de cette époque datent les fameuses Lettres (1) qui sont estimées, dit Moreri, « comme un chef-d'œuvre en ce genre de dialogue, tant pour la politesse du langage que pour les traits d'esprit et les railleries fines et agréables qui s'y rencon

(1) Elles furent réunies en 1657 et réimprimées en 1684, à Cologne, sous le pseudonyme de Wendrock.

trent. Malheureusement, le grand homme tomba dans les excès d'une dévotion puérile. Il se crut appelé à prendre la défense du catholicisme contre les athées, les libertins (que nous nommons aujourd'hui les librespenseurs) et les juifs. Il jetait çà et là ses idées sans ordre et sans suite, bien qu'il eût arrêté depuis longtemps les bases du grand ouvrage qu'il ne devait pas achever. En 1654, il fut vietime d'un terrible accident au pont de Neuilly: les chevaux du carrosse dans lequel il faisait une promenade, prirent le mors aux dents et se précipitèrent dans la Seine; les traits se rompirent, et la voiture fut sauvée; mais l'imagination de Pascal fut ébranlée, et il crut, depuis ce funeste événement, voir un précipice béant sans cesse entr'ouvert à ses côtés. Le véritable précipice, les commentateurs s'accordent à le faire remarquer, c'était le doute dans lequel la raison du penseur s'était engloutie, le doute auquel il ne pouvait se soustraire, malgré les pratiques superstitieuses auxquelles il se livrait, et vers lesquelles, dit M. Villemain, cette puissante intelligence avait reculé pour fuir de plus loin une effrayante incertitude. Ce fut en proie à ces terreurs que Pascal passa les dernières années de sa vie; il s'éteignit le 19 août 1662, âgé de trente-neuf ans, avant d'avoir achevé le monument que son imagination s'était plu à construire. Les matériaux épars de ce monument furent recueillis et mis en ordre par les solitaires de Port-Royal, qui en donnèrent une édition, en 1670, sous le titre de Pensées de M. Pascal sur la religion. Le P.

Desmolets, de l'Oratoire, donna une suite de ces Pensées (celles qui avaient été supprimées par les premiers éditeurs) dans les Mémoires de littérature et d'histoire. En 1687, on en publia une édition plus complète, augmentée de la Vie de Pascal, par sa sœur, d'un discours de Dubois et d'un autre discours sur les preuves des livres de Moïse. Les OEuvres de Pascal furent rééditées en 1779, par Bossut, qui donna aux Pensées un autre ordre que celui des premières éditions. Mais elles ont été le plus souvent réimprimées d'après une édition de 1776, accompagnée des notes de Voltaire et précédée de l'Eloge de Pascal, par Condorcet. Nous avons suivi cette version, et nous devons en donner la raison.

Il existe de nos jours une école de rapetasseurs de vieilles ferrailles, comme dirait maître Rabelais, qui considère comme un outrage fait à la mémoire des grands hommes tout travail d'arrangement, fût-il le plus logique du monde, et qui s'est attachée à l'ombre de Pascal pour lui redemander ses brouillons les plus informes et les mettre sous les yeux d'un public émerveillé de ces intelligentes besognes. Le philosophe éclectique Cousin signala un des premiers (1842), les altérations qu'avait subies le texte de Pascal; il fut suivi par MM. Prosper Faugère et Havet, lesquels, dit un critique de la petite presse, « cherchant et retrouvant l'œuvre originale sous les râtures et les enjolivements de Port-Royal, nous ont donné, au lieu d'un livre bien peigné, des notes jetées sans suite et sans ordre, dans la folie du génie, dans la fièvre de la foi et du

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doute! Or, comme nous ne voyons pas quel bénéfice peut retirer la mémoire de Pascal de cette réhabilitation de son chaos, nous avons préféré la version première, qui a au moins le mérite de se laisser lire, d'être claire, exprimée d'une manière noble, vive et persuasive. Nous ne croyons pas que le « mensonge éloquent des solitaires de Port-Royal ait rendu un mauvais service à l'esprit troublé qui eût certes, s'il eût pu coordonner son œuvre, repris une à une les notes incohérentes que l'on veut nous forcer à admirer sur parole. Le bloc de marbre sera-t-il dieu, table ou cuvette? Celui qui devait le sculpter a vu le ciseau s'échapper de ses mains; des praticiens dévoués l'ont ramassé, et nous comptons une œuvre d'art de plus dans le panthéon de nos gloires nationales.

N. DAVID.

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