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lance attentive. Les Hébreux les dépofoient dans leur temple, d'où viennent ces mots fi fréquens dans l'Ecriture: mesure du janctuaire, poids du fancluaire. Les Athéniens établirent une Compagnie de quinze Officiers appellés μérporous, Confervateurs des meJures, qui avoient la garde des mefures originales & l'inspection de l'étalonnage. Les anciens Romains les gardoient dans le temple de Jupiter au Capitole, comme un dépôt facré & inviolable; c'eft pourquoi la mesure originale étoit furnommée Capitolina, Capitoline. Les Empereurs Chrétiens en confierent dans la fuite la garde aux Gouverneurs ou aux premiers Magiftrats des Provinces. Honorius chargea le Préfet du Prétoire de l'étalon des mefures, & confia celui des poids au Magiftrat appellé Comes facrarum largitionum, qui étoit alors ce qu'eft aujourd'hui chez nous le Contrôleur-Général des Finances. Juftinien rétablit l'usage de conferver les étalons dans les lieux faints; il ordonna que l'on vérifieroit toutes les mefures & tous les poids, & que les originaux en feroient gardés dans la principale Eglife de Conftantinople. Il en envoya de femblables à Rome, & les adreffa au Sénat comme un dépôt digne de fon attention. La Novelle 118 dit auffi qu'on en gardoit dans chaque Eglife: de ces étalons, les uns étoient de cuivre ou d'airain, les autres de pierre.

En France, les étalons étoient autrefois gardés dans le Palais de nos Rois, comme nous l'apprenons d'un titre daté de la vingtieme année du regne de Dagobert pour l'Abbaye de Saint-Denis, dans lequel on lit que ceux qui contreviendront à ce qui eft porté par ce titre, feront condamnés à dix livres d'or très-pur & à dix livres d'argent fin, ad penfum Palatii, ce qui fait affez connoître que dans ce temps-là, c'eft-à-dire, vers l'an 650, on gardoit dans le Palais du Roi, l'original des poids & mefures du Royaume. Un autre titre de Louis le Débonnaire, daté de la cinquieme année de son empire, qui étoit l'an 819, contient la même formule d'amende, & nous apprend la même chofe concernant les étalons; il y a une peine ordonnée contre les infracteurs de ce titre, de dix livres d'or très-pur & de vingt livres d'argent fin, ad pondus Palatii noftri.

Charles le Chauve renouvella, en 864, le Réglement pour les étalons, & ordonna que toutes les Villes & autres lieux de fa domination, rendroient leurs poids & mefures conformes aux étalons Royaux qui étoient dans fon Palais, & enjoignit aux Comtes

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& autres Magiftrats des Provinces d'y tenir la main; ce qui fait juger qu'ils étoient auffi dépofitaires d'étalons conformes aux étalons originaux que l'on confervoit dans le Palais du Roi. On en confervoit auffi des copies exactes dans quelques Monafteres & autres lieux publics.

Le Traité fait en 1222 entre Philippe-Augufte & l'Evêque de Paris, fait mention des mesures à vin & à bled comme d'un droit Royal que le Prince fe réferve, & dont le Prévôt de Paris avoit la garde. Le Roi céda feulement à l'Evêque les droits utiles qui se levoient dans les marchés, pour en jouir de trois semaines l'une, & ordonna au Prévôt de faire livrer les mefures aux Officiers de l'Evêque.

Sous le regne de Louis VII, la garde des mefures de Paris fut confiée au Prévôt des Marchands. Les Statuts donnés par S. Louis aux Jurés Mefureurs, portent qu'aucun Mefureur ne pourra se servir d'aucune mesure à grain qu'elle n'ait été fignée, c'est-à-dire, marquée du seing du Roi; qu'autrement il feroit en la merci du Prévôt de Paris; que fi la mesure n'étoit pas fignée, il devoit la porter au Parloir-aux-Bourgeois, pour y être juftifiée & fignée.

Le Roi Henri II ordonna en 1557, que les étalons des gros poids & des mefures feroient gardés dans l'Hôtel-de-Ville de Paris.

Les Auteurs du Livre intitulé Gallia Chriftiana (Tom. VII. col. 253.), rapportent qu'avant l'an 1684, temps auquel la Chapelle de S. Leufroy fut démolie pour agrandir les prifons du grand Châtelet, on y voyoit une pierre taillée en forme de mitre, qui étoit le modele des mefures & des poids de Paris, & que delà étoit venu l'usage de renvoyer à la Chapelle de S. Leufroy, quand il furvenoit des conteftations fur les poids & mefures. M. l'Abbé le Bœuf, dans fa Description du Diocèse de Paris, (Tom. 1.) pense que cette pierre, qui par fa forme devoit être antique, avoit арparemment été apportée du premier Parloir-aux-Bourgeois, qui étoit contigu à cette Eglife de S. Leufroy; il obferve que ce Parloir & un autre (situé ailleurs), ont été le berceau de l'Hôtel-deVille de Paris, où l'on a depuis transféré les étalons des poids & mefures. Il y a encore quelques Villes de Province où il existe préfentement des étalons de pierre, pour la vérification des mefures.

Lorsqu'on établit en titre à Paris des Jurés-Mefureurs pour le

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fel, qui faifoit alors l'objet le plus important du commerce par eau dans cette Ville, on leur donna la garde des étalons de toutes les mesures des arides: c'eft pour la garde de ce dépôt qu'ils ont une chambre dans l'Hôtel-de-Ville.

Les Apothicaires & les Epiciers de Paris ont conjointement la garde de l'étalon des poids de la Ville, tant Royal que médicinal; ils ont même, par leurs Statuts, le droit d'aller deux ou trois fois l'année, affiftés d'un Juré-Balancier, vifiter les poids & balances de tous les Marchands & Artisans de Paris; c'eft delà qu'ils prennent leur devife, Lances & pondera fervant.

Il faut néanmoins excepter les Orfévres, qui ne font sujets à cet égard qu'à la vifite des Officiers de la Cour des Monnoies, attendu que l'étalon du poids de l'or & de l'argent, qui étoit anciennement gardé dans le Palais du Roi, eft gardé à la Cour des Monnoies depuis l'Ordonnance de 1540. Les Merciers ne fe prétendent pas fujets non plus à la vifite des Apothicaires & Epiciers.

Pour ce qui eft des Provinces, la plus grande partie de nos Coutumes donne aux Seigneurs hauts - Jufticiers, & même aux moyens, le droit de garder les étalons des poids & mefures, & d'en étalonner tous les poids & mesures dont on se sert dans les Juftices de leur reffort.

Les Coutumes de Touraine & de Poitou veulent que le Seigneur qui a le droit de mesures, en dépose l'étalon dans l'Hôtelde-Ville le plus proche, fi cette Ville a le droit de Mairie ou de Commmunauté, finon au Siége Royal fupérieur d'où fa Juftice reléve.

Dans tous les Etats du monde, foit que l'on parcoure les Annales de l'antiquité, foit que l'on jette un coup-d'œil fur les Gouvernemens actuels, on appercevra par- tout & en tout temps la même vigilance fur la confervation du prototype des mesures; c'eft qu'on a toujours été parfaitement convaincu qu'en vain on auroit établi & réglé par les Loix ce qu'elles doivent contenir, fi l'on avoit laiffé à chaque particulier la liberté de s'en fervir comme elles fortent des mains de l'ouvrier, & fans aucun contrôle ; ou fi, même après les avoir eues d'abord dans leur jufte proportion, elles n'avoient été fujettes dans la fuite à aucun examen, pour en faire réparer les diminutions qui doivent néceffairement y arriver par un trop long usage. La cupidité du gain auroit porté les uns

à s'en pourvoir de trop grandes ou de trop petites, felon qu'ils auroient eu deffein de s'en fervir dans leur commerce, pour acheter ou pour vendre; & les autres par un efprit de ménage ou d'avarice, au lieu de les renouveller de temps en temps, auroient continué de s'en fervir après qu'elles auroient ceffé d'être juftes par caducité. Tels font les abus qui fe feroient introduits dans la fabrication des mesures, & delà la néceffité d'y remédier par des

étalons.

Les peuples dans tous les temps n'ont pas moins fenti les inconvéniens qui résultent de la multiplicité des étalons & des mesures de jauge différente, les furprises & l'embarras qu'elle occasionne dans le commerce, la perte qu'elle caufe à un Etat en lui enlevant le travail d'un nombre confidérable d'individus occupés à en faire les réductions, & dont l'induftrie pourroit être appliquée plus utilement, &c. L'uniformité des mefures étoit trop visiblement avantageuse, pour ne pas entrer dans le plan d'un habile Législateur. Elle y eft entrée en effet ; & s'il n'eft pas démontré que dans l'antiquité la plus reculée, il n'y avoit qu'une feule & même mefure fur toute l'étendue de notre continent, au moins est-il facile de prouver que les Etats, & même de grandes régions entieres contenant plufieurs Etats, n'avoient chacun qu'un même & unique étalon primordial de leurs mesures.

Du temps d'Ariftide, comme il le témoigne lui-même, (Ariftid, in res facras), & comme nous le ferons voir dans le cours de cet Ouvrage, tous les Etats & toutes les Provinces de l'Afie, la Paleftine & l'Egypte même comprises, se servoient des mêmes mefures, fans aucune inégalité ni différence. Nous ne retrouvons dans la Grece que deux étalons originaux ; l'un des mesures Attiques, en usage dans le Péloponnefe & l'Attique ; & l'autre des mesures Pythiques, dont on fe fervoit dans toute la partie feptentrionale de la Grece, & dans la Macédoine & la Thrace. Ce fut ainsi que les Romains en uferent dans tous les lieux de leur vafte Empire; tous les poids & toutes les mefures y étoient réglées fur celle de la Ville Capitale, & le Prince croyoit au nombre de fes obligations celle de tenir la main à l'obfervation de ce réglement. L'Empereur Julien ordonna à Prétextat, Préfet de Rome, d'en établir de juftes dans les Provinces, pour empêcher les abus qui s'y commettoient en les altérant par l'avidité du gain. Justinien ordonna de même la réforme des poids & des mesures dans toutes

les Villes de l'Empire, fur des étalons publics, qui feroient gardés dans la principale Eglife du lieu. Théodofe renouvella ce même réglement, & y ajouta que ces étalons des mesures feroient d'airain ou de pierre. Honorius chargea les Gouverneurs, qui étoient les premiers Magiftrats des Provinces, d'avoir une infpection intime fur les poids & les mefures, & de punir ceux qui en abuferoient. L'uniformité des mefures étoit regardée comme une chose fi effentielle, que depuis la tranflation du Siege de l'Empire en Orient, les Empereurs envoyoient de Conftantinople à Rome les étalons ou prototypes des mefures, pour y être confervés & y fervir de regle fous leur autorité : Acceptas ab Imperatore menfuras, vel Papa, vel Senatus, fervabant.

On pense que les mesures de capacité des Romains pafferent dans les Gaules avec leur domination, & que nos premiers Rois en conferverent l'ufage. Les Capitulaires de Charlemagne, de l'an 809, & de Charles le Chauve, de l'an 864, Grégoire de Tours Walafride-Strabon & Adalard, font mention du fextarius; le demifextarius ou l'hémine fe trouve dans les Capitulaires de Louis le Débonnaire, de l'an 817, & dans plufieurs anciens Cartulaires rapportés par Ducange; le quartarius dans Grégoire de Tours, dans Adalard & dans une ancienne Charte de Philippe I, de l'an 1052; & le modius dans les Capitulaires de Dagobert II, de Charlemagne & de Charles le Chauve. Mais ces dénominations ne prouvent rien, & on peut les avoir appliquées à des mefures de capacité différente de celle des mefures Romaines, comme cela fe pratique encore aujourd'hui parmi les Ecrivains peu réfléchis, lefquels écrivant en latin, appellent modius tantôt le boiffeau, tantôt le muid de Paris, & qui écrivant en françois, appellent boisseau le modius Romain, comme fi c'étoit la même mesure.

Quoi qu'il en foit, toutes les mefures étoient égales en France. fous nos premiers Rois; c'étoit un des principaux foins dont ils chargeoient par leurs Ordonnances les Magiftrats, d'entretenir cette uniformité dans toutes les Provinces, & d'égaler les mefures fur l'étalon ou prototype qui étoit gardé dans le Palais Royal: Volumus ut æquales menfuras & rectas, pondera jufta & æqualia omnes habeant, five in civitatibus, five in monafteriis, five ad dandum in illis, five ad accipiendum, ficut in lege Domini præceptum habemus. (Carol. Magn. an. 789. Capit. Reg. Fr. Tom. I. col. 238.) Volumus ut unufquifque Judex in fuo minifterio menfuram modia

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