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Un édifice auffi extraordinaire que la pyramide dont nous venons de parler, conftruit moins pour aucune utilité réelle que pour être un objet d'admiration à la postérité, & pour éternifer dans la mémoire des générations, les noms de ceux qui en ont été les auteurs, a dû néceffairement recevoir fur quelqu'une de fes dimensions, l'une des mefures géodéfiques de l'Egypte, une ou plufieurs fois répétées. Cette particularité que j'avois foupçonné devoir caractériser la pyramide, a été pour moi un motif de curiofité; j'ai défiré favoir quelle pourroit être cette mefure; elle étoit facile à appercevoir, on en pourra juger.

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M. de Chazelles, de l'Académie des Sciences, s'étant transporté en Egypte, examina & mefura cette pyramide. Sa base eft un quarré parfait; fes faces font égales & femblables, étant chacune un triangle équilatéral; elles regardent les quatre points cardinaux du monde; la plate-forme eft auffi un quarré parfait dont chaque côté eft de 16 pieds de Roi: quant au côté de la base, il s'eft trouvé de 690 pieds; mais l'opération ayant été faite fur un terrein inégal qui s'élevoit vers le milieu par une hauteur qui eft de 35 pieds de Roi (38 pieds anglois, felon M. Gréaves), il faut, de l'aveu même de M. de Chazelles, y faire une réduction, laquelle en fuppofant que la hauteur du terrein formoit un feul angle vis-à-vis le milieu de la base de la pyramide, feroit de 3 pieds, enforte qu'il refteroit 686 pieds, pour la longueur du côté de la pyramide. Cette mesure a été prife également par d'autres voyageurs; elle fut trouvée de 682 pieds de Roi par M. de Monconis en 1647, & enfuite par le P. Fulgence de Tours, Capucin Mathématicien, puis vérifiée par Thévenot, dont l'exactitude eft reconnue par les Savans. Si l'on prend un moyen proportionnel entre la mefure de M. de Chazelles & celle de Monconis, l'on aura 684 pieds de Roi, pour la longueur du côté de la bafe de la pyramide.

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La pyramide ayant pour faces quatre triangles équiangles, l'angle au fommet (en fuppofant la pyramide non tronquée) formé par les plans de deux faces oppofées eft de 70° 32′, & chaque angle fur la base de 54° 44'; l'axe entier devoit être de 483.8 pieds de Roi, & fon axe tronqué ou la hauteur perpendiculaire de la pyramide dans l'état où elle existe, est de 472 pieds.

Strabon, qui alla en Egypte avec Elius Gallus vers l'époque

P*

de l'Ere vulgaire, dit (Lib. XVII, pag. 555, édit. de Cafaubon) qu'à quarante ftades de Memphis eft un terrein élevé où font plufieurs pyramides qui fervoient pour la fépulture des Rois. Des trois plus remarquables deux ont été mifes au nombre des sept merveilles du monde. Elles font chacune de la hauteur d'un ftade, ont leur base quarrée, & leur hauteur furpaffe un peu la longueur de chaque coté : ἐισὶ γὰρ ταδιαῖαι τὸ ὕψος, τετράγωνοι τῷ χήματι, τῆς πλευρᾶς ἑκατης μικρῷ μεῖζον τὸ ὕψος ἔχουσαι. Je déférerois avec docilité à l'affertion de Strabon, qui dit que la hauteur des pyramides eft plus grande que le côté de la bafe, fi le contraire n'étoit prouvé; il faut donc renverfer fa phrafe, & en appellant avec lui ces pyramides adatai, dire que le côté de leur bafe étoit d'un ftade, & que ce côté étoit plus grand que teur, foit perpendiculaire, foit oblique, de la pyramide. Car fi Strabon a écrit ces mefurages, ce n'eft pas qu'il les ait faits lui-même, on les lui donna dans le pays, & apparemment qu'il confondit ces deux dimenfions en les prenant l'une pour

l'autre.

la hau

Pomponius Méla (de futu orbis Lib. I, IX) parlant des pyramides d'Egypte, dit qu'elles étoient conftruites de pierres de trente pieds de longueur : que la plus grande (car il observe qu'il y en a trois) occupe par fa bafe un terrein de quatre plethres de longueur, & qu'elle a autant de hauteur: Pyramides tricenum pedum lapidibus extructæ : quarum maxima (tres namque funt) quatuor fere foli jugera fuá fede occupat : totidem in altitudinem erigitur. Je ne m'arrêterai point à difcuter fi par le mot Jugera Méla prétend ici parler d'une mefure de fuperficie ou d'une mesure de longueur; il seroit ridicule d'appliquer une mesure de fuperficie au mefurage d'une hauteur, comme le feroit ici cet Ecrivain. Quant à la qualité de la mesure défignée fous l'expreffion de Jugera, on peut affurer que c'eft le plethre linéaire compofé de cent pieds ou de cent coudées ; je dis ou de cent coudées, car il feroit facile de produire un grand nombre d'exemples qui prouvent qu'on a rendu fouvent le mot coudée par celui de pied, & au contraire. Méla n'eft point le feul qui ait rendu le mot plethre par celui de jugere; Lucréce, Virgile, Tibulle, Ovide, Pline, Hygin, Natalis Comes, & après eux Valla, Traducteur d'Hérodote, & nombre d'autres Ecrivains l'ont fait également. En voici un exemple remarquable qui tiendra lieu de plusieurs autres. Homere dans l'O

diffée (XI) dit: J'ai vu Tityus, fils de la terre, étendu de fon long & occupant un espace de neuf plethres.

καὶ Τίτυον είδον γαίης ἐρικυδέος υιὸν

Κείμενον ἐν δαπέδω, ὁ δ ̓ ἐπ ̓ ἐννέα κεῖτο πέλετρα.

Lucréce (Lib. III) a dit à sa maniere:

.

Qui non fola novem difpenfis jugera membris
Obtineat.

Virgile (Æn. VI.)

Per tota novem cui jugera corpus
Porrigitur.

Tibulle (Lib. I, Eleg. 3.)

Porrectufque novem Tityus per jugera terræ.
Ovide (IV Met.)

Vifcera præbebat Tityus lanianda, novemque
Jugeribus diftractus erat.

Hygin (Fab. 55.) Qui novem jugeribus ad inferos exporrectus jacere dicitur. Enfin cette étendue de neuf plethres qui, dans le fens d'Homere, vaudroient cent vingt-huit de nos toifes, est souvent traduite en françois par l'expreffion de neuf arpens. Je conclus donc que Méla, par quatre jugeres, a entendu quatre plethres, mais qu'il les a compofés lui-même de quatre cents coudées qui durent être dans l'original grec qu'il a copié : & ces quatre cents coudées étoient la valeur du ftade de Marin de Tyr, de Ptolémée & de Héron.

Pline (Lib. XXXVI, Cap. XII) entre dans un grand détail fur les pyramides; voici ce que j'y trouve d'intéreffant pour la matiere que je traite: Ampliffima (pyramidum) octo jugera obtinet Joli, quatuor angulorum paribus intervallis, per octogentos octoginta tres pedes fingulorum laterum altitudo, à cacumine pedes XXV. Alterius intervalla fingula per quatuor angulos pares DCC.XXXVII comprehendunt. Tertia minor prædictis, fed multò fpectatior, Æthiopicis lapidibus confurgit CCCLXIII pedibus inter angulos. Je préviens d'abord que je ne ferai pas dans ce moment ufage de ces mots octo jugera, c'est une traduction d'Hérodote que je réserve pour une autre occafion. J'observe enfuite que Pline attribue aux deux plus grandes pyramides des hauteurs fort différentes, quoique M. Norden qui les a vues & mefurées, les ait trouvées de même hauteur & également de cinq cents pieds danois, mesure qui pourtant me paroît trop grande, à moins qu'il n'entende par

leur hauteur perpendiculaire, l'axe entier jufqu'à la pointe du fommet qui n'existe plus; dans ce cas fa mesure feroit très-juste, car 500 pieds danois font 483 pieds de France, & nous avons vu par les mesures de M. de Chazelles qu'elles avoient précisément cette hauteur lors de leur conftruction. J'observe en troifieme lieu que Pline donne à deux pyramides des mesures qui appartiennent à la même ; mais au lieu de octogentos octoginta tres, paffage corrompu, il faut lire nongentos viginti tres, & entendre par le mot pedes des fpithames. Et deflors tout eft clair & exact; la hauteur oblique, ou, comme difent les Géometres, l'apothême de la pyramide tronquée (fingulorum laterum altitudo) étoit de 923 fpithames, fa hauteur perpendiculaire de 737 fpithames, & chaque côté de la plate-forme en-haut étoit de 25 fpithames, d'où l'on déduit par le calcul que le côté de la base de la pyramide étoit de 1067 fpithames, & l'axe entier de 754 ·

Or, fuivant les rapports donnés par Héron, le ftade contenoit 1066 fpithames; donc le côté de la base étoit d'un ftade; l'axe entier devoit être ftrictement de 754 fpithames.

Il eft fàcheux qu'on foit obligé de difcuter ainfi ces paffages pour en faisir le vrai fens; mais les Auteurs de l'antiquité fourmillent de pareilles difficultés, & nos ouvrages modernes n'en feroient pas exempts, fur-tout pour des étrangers. Les Ecrivains qui traduifent, font dans un ufage blâmable de rendre les noms des mefures, des poids & des monnoies des étrangers par des dénominations qui leur font familieres, mais qui abufent les Lecteurs, & leur font voir des monftres qui auroient disparu fi l'on avoit confervé à ces chofes leurs noms véritables. Je crois néanmoins que tout Lecteur judicieux penfera que les autorités précédentes font fuffifantes pour convaincre que le côté de la pyramide étoit d'un ftade jufte, & qu'on avoit affecté de lui donner en tout fens cette mefure qui étoit celle de l'Egypte. Voyons donc combien de toifes de France contiendroit un degré de grand cercle de la terre, en lui donnant pour mesure cinq cents fois la longueur du côté de la bafe de cette pyramide, évalué à 684 pieds de Roi; je trouve qu'il contiendroit 57016 toifes ; peut-être ai-je un peu trop retranché de la mesure de M. de Chazelles. La pyramide eft un monument qui mérite d'être examiné de nouveau; il n'y en a point de plus capable de répan dre un grand jour fur l'antiquité.

Le second monument que je produirai pour prouver l'exactitude des Anciens dans les mefures de arcs du méridien de la terre, fera la coudée d'Egypte confervée au Caire dans toute fon intégrité, & avec la même grandeur qu'elle avoit du temps d'Hérodote, & même avant Séfoftris, c'est-à-dire, plus de deux mille cinq cents ans avant l'Ere chrétienne. Mais avant que de tirer des inductions de cette ancienne mesure, il ne fera pas hors de propos de faire connoître quel eft fon ufage en Egypte, & comment durant tant de fiecles elle a pu échapper fans altération aux injures du temps. Un favant Académicien (feu M. Fréret) dans un excellent Mémoire inféré dans les Recueils de l'Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, ayant dit fur ce monument tout ce qu'il eft poffible d'en dire, j'ai cru que je pouvois me borner à rapporter ce que je trouve de plus effentiek dans fon Ouvrage.

La coudée nommée au Caire dévakh, fert principalement à mesurer la crue du Nil. Elle est marquée fur une ancienne colonne de marbre faisant partie d'un édifice appellé mokkias ou mikkias (ce mot fignifie mesure), placé dans l'Ile de Rodda au milieu du Nil, entre le vieux Caire & Gize. On y observe effectivement chaque jour par le moyen de la colonne graduée, l'accroiffement ou la diminution des eaux du Nil, & c'eft fur cela que les crieurs publics fondent les proclamations qu'ils font de ces événemens, à différentes heures, par la Ville. « Ce dévakh » eft la mesure la plus authentique & la mieux confervée qui » nous refte de l'antiquité. Ce point mérite d'être prouvé : on » me pardonnera, dit M. Fréret, fi je m'y arrête, & fi je tâche » de donner un nouveau jour aux preuves de cette opinion qui » m'est commune avec de favans hommes qui ont écrit fur les » mesures anciennes.

» Perfonne n'ignore que le Nil, groffi par les pluies qui tom>> bent tous les ans en Ethiopie, lorfque le foleil s'approche du » Tropique, inonde l'Egypte réguliérement au temps du folftice, » & que la fertilité dépend de cette inondation, qui non-feule» ment engraiffe les terres, mais qui rempliffant les canaux & » les réservoirs, fournit aux habitans les eaux nécessaires pour » arrofer leurs champs dans un pays où la pluie eft un phénomene

> rare.

» La hauteur à laquelle s'élevent les eaux du Nil, lors de fa

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