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» crue, détermine l'étendue des pays qu'elles doivent inonder, » & par une conféquence néceffaire elle regle l'espérance » de la récolte. Des deux bords du fleuve on a tiré des ca»naux qui portent l'eau dans les endroits les plus éloignés ; » & quand les eaux du fleuve baiffent, on ferme les canaux » avec des digues que l'on n'ouvre que dans l'inondation, mais » feulement à proportion de la hauteur du Nil, pour ne faire >> couler dans les canaux que l'eau qu'ils peuvent répandre fur >>> les terres.

>> Par-là on voit qu'il doit y avoir un rapport conftant entre » la hauteur du Nil & la quantité d'eau que peuvent recevoir » les terres. Ce rapport n'a pu être connu que par une longue » expérience, dans laquelle on s'eft toujours fervi de la même » mesure. Un changement dans la mesure en eût produit un » dans le rapport, & il auroit fallu marquer un autre nombre » de coudées pour donner celui qui promettoit une récolte » abondante. Si, par exemple, feize coudées d'augmentation » dans la crue du Nil fuffifoient pour donner l'espérance d'une » année fertile, en changeant la grandeur de l'ancienne coudée, » ce nombre de feize n'auroit plus marqué la même augmenta>>tion des eaux du Nil. Ce principe eft, ce me semble, incon>> teftable, & delà je fuis en droit de conclurre que fi le nom»bre des coudées néceffaire à la hauteur des eaux du Nil pour » donner l'abondance à l'Egypte, n'a point changé depuis le >> temps d'Hérodote, la grandeur de cette coudée eft encore » aujourd'hui la même qu'elle étoit de fon temps. Diodore de » Sicile, Ecrivain. affez inftruit de ce qui concerne l'Egypte, dit >> formellement dans fon fecond Livre, que les Rois avoient >> foin de publier par toute l'Egypte la quantité de coudées & » de doigts de la crue du Nil; par-là, ajoute-t-il, le peuple est >> inftruit de la quantité de grain de la récolte prochaine : » car les obfervations de ce rapport entre la crue du fleuve & la » fertilité de la terre, ont été mifes par écrit avec grand foin pendant plufieurs générations, & l'on a établi des principes & des regles » là deus.

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>> Pour ouvrir les canaux du Nil voifins du Caire, & par con» féquent du lieu où étoit autrefois Memphis, on attend que le » Nil fe foit élevé de feize dévakhs, à ce que nous apprennent » Thévenot & Monconis, voyageurs curieux, & dont les obfer

>> vations ont été faites avec exactitude. Si les eaux du fleuve » s'élevent à une moindre hauteur, il y a beaucoup de canaux » que l'on n'ouvre pas, l'année eft mauvaise; & comme la » récolte eft à peine fuffifante pour nourrir les habitans, on fait » une remise de la plus grande partie des impofitions.

» C'est par cette raifon que l'on annonce au peuple la crue » du Nil jufqu'à ce qu'il foit à la hauteur de quinze dévakhs : >> alors on ouvre les canaux; & quoique le Nil croiffe encore » d'une coudée dans les bonnes années, c'est-à-dire, que fes > eaux montent jufqu'à feize dévakhs, on n'annonce plus cette

> crue.

» El Edriffi, Géographe Arabe du douzieme fiecle, nous ap>> prend que de fon temps l'accroiffement ordinaire & convena» ble pour la pleine récolte, étoit de feize coudées de vingt-qua>> tre doigts; que quand il paffoit dix-huit coudées, il caufoit de >> grands ravages; & que quand il ne paffoit pas douze coudées, >> il y avoit famine.

» Nous voyons par la cinquantieme Lettre de l'Empereur Ju» lien, que de fon temps on publioit l'inondation du Nil dans » toute l'Egypte, lorfqu'il s'étoit élevé à quinze coudées, & que » les habitans des lieux voifins de ce fleuve annonçoient cette >> importante nouvelle à ceux qui en étoient plus éloignés.

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Pline nous donne un détail très-circonftancié de l'effet que produifoient les divers degrés de hauteur à laquelle s'élevoient les eaux du Nil. Juftum incrementum eft cubitorum fexdecim; minores aquæ non omnia_rigant; ampliores detinent tardius recedendo. In duodecim cubitis Egyptus famem fentit, in tredecim etiamnum efurit. Quatuordecim hilaritatem afferunt, quindecim fecuritatem, fexdecim delicias. La hauteur convenable des eaux du Nil étoit-elle de seize coudées, il y avoit alors pleine récolte: fi les eaux ne s'élevoient pas jufque-là, elles ne pouvoient être portées partout; fi elles montoient plus haut, elles féjournoient trop longtemps fur les terres. Lorfque la crue du Nil ne paffoit pas douze coudées, la récolte manquoit, à treize & à quatorze il y avoit une mauvaise récolte, & il en falloit au moins quinze pour donner l'affurance d'une récolte fuffifante. C'étoit donc la même chofe au temps de Pline & de l'Empereur Julien, qu'au temps d'El Edriffi & qu'au nôtre.

« Hérodote dit la même chofe pour fon temps; il nous affure

que dans les bonnes années le Nil s'élevoit de feize coudées » ou au moins de quinze. Par conféquent le rapport n'a point » changé entre la fertilité des récoltes de l'Egypte & le nom»bre des coudées de la crue du Nil; par conféquent la coudée >> qui fervoit de fon temps eft la même que celle d'aujourd'hui. Si » l'on eût changé cette coudée, il faudroit fuppofer qu'il feroit » arrivé un changement proportionnel dans la quantité de l'eau » des pluies d'Ethiopie qui caufent la crue du Nil, ou dans la » hauteur & l'étendue des terres d'Egypte. Je dis un change» ment proportionnel; car il faudroit que ce changement eût » été proportionné à celui de la coudée, ans quoi le même » rapport n'eût pu subsister. Or bien loin de pouvoir supposer » un tel changement, il n'y a pas même lieu de fuppofer qu'il >> en foit arrivé aucun.

» Les pluies d'Ethiopie font un phénomene cofmique & dé>> pendant des loix générales de l'univers. L'approche du foleil » produit tous les ans ces pluies réglées dans les pays fitués entre » les Tropiques, lorfqu'il approche de leur Zénith. Elles font à» peu-près les mêmes toutes les années, & il n'y a aucun lieu » de croire qu'elles foient aujourd'hui plus ou moins abondan» tes que du temps d'Hérodote. Je fais que d'une année à l'au>> tre il y a quelque différence, ce qui caufe l'inégalité de l'inon»dation & celle des récoltes mais cette différence ne peut » être prife pour un changement conftant & réglé, par lequel » la quantité de ces pluies aille continuellement en augmentant » ou en diminuant. Elle eft tantôt plus grande, tantôt plus pe>> tite; la variation est très-sensible d'une année à l'autre, & ne » dépend que du concours des causes accidentelles qui modifient » la caufe générale : mais on n'a pu encore y appercevoir aucune » regle, loin d'y pouvoir fuppofer un progrès conftant & fuc» ceffif.

>> On ne peut pas fuppofer non plus qu'il foit arrivé un chan»gement fenfible dans la fituation du terrein de l'Egypte. Ce pays est une longue vallée bornée à droite & à gauche par » deux montagnes de roc: le Nil coule au milieu; & s'il y dé» pofe un limon pendant l'inondation, la rapidité que fes eaux » ont alors fait qu'elles enlevent quelques parties du terrein fur lequel elles coulent; enforte que les terres qu'elles amenent » avec elles, ne font que rendre au fol de l'Egypte ce que ces

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» eaux

»eaux lui avoient ôté, pour le porter dans la mer. »

Sur ces raifons & d'autres encore que M. Fréret rapporte dans fon Mémoire, il fe croit en droit de conclurre qu'y ayant le même rapport entre la hauteur des eaux & la quantité des terres inondées, ce rapport ne peut être exprimé par le même nombre de coudées, fi la grandeur de cette coudée a changé: donc cette ancienne coudée d'Hérodote eft la même que le dévakh actuel du Nilométre ou Mokkias qui eft près du Caire. Pour prouver démonftrativement la vérité de l'affertion de M. Fréret, il faut en premier lieu connoître quel eft le rapport du dévakh à notre pied de Roi. M. Gréaves, qui a donné en anglois un Ouvrage fur la grandeur du pied Romain, ayant mefuré actuellement fur le lieu cette coudée avec une très-grande exactitude, l'a trouvée de 1824 milliemes parties du pied d'Angleterre, ce qui revient à 20 pouces du pied de Roi, ou très-exactement à 1.712 pieds de Roi. Voyons à préfent fi par le moyen de cette coudée nous trouverons la mefure de la terre prise par les Anciens, conforme aux mefurages modernes. Je remarque en premier lieu que quatre cents de ces coudées me donnent un tade de 684.8 pieds jufte, ou de 114.13 toifes & enfuite que cinq cents de ces ftades donnent 57066 toifes pour la grandeur d'un degré de méridien. On pourroit ajouter ici, comme à la fin d'un théorême en Géométrie : ce qu'il falloit démontrer.

Enfin le troifieme monument propre à nous montrer l'exactitude des Anciens dans leurs opérations géométriques, eft un ftade mesuré à Laodicée, par M. Smith, Anglois, comme on le peut voir dans fon Voyage de l'Afie mineure, & évalué à 729 pieds de Londres, qui valent 684 environ, ou 114.04 toifes jufte de Paris, enforte que cinq cents de ces ftades donnent pour la valeur d'un degré de grand cercle 57020 toifes. Nous l'avons déduite de la bafe de la grande pyramide de 57016 toises, & du dévakh de 57066 toifes; fi nous prenons un moyen proportionnel arithmétique entre ces trois résultats qui différent peu les uns des autres, nous aurons enfin 57036 toifes pour la mesure d'un degré de méridien. Confidérons à préfent que la Ville de Tyr, qui eft à-peu-près le centre des pays où ces mefures étoient fuivies, eft à un peu plus de 33° de latitude; & que M. l'Abbé de la Caille ayant mefuré un degré du méridien par

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la latitude moyenne de 33° 18', l'a trouvé de 57037 toifes, & nous ferons obligés de convenir que les Anciens dans les mefures de la terre, avoient été auffi habiles & auffi exacts qu'on l'a été depuis, puifque la différence entre les résultats des opérations des Anciens & celles des modernes n'eft ici que des cinq neuviemes d'une toife fur toute l'étendue d'un degré qui vaut vingt-cinq lieues de France.

Dans les évaluations que je ferai des mefures anciennes, ce ne fera point ce moyen proportionnel qui me fervira de regle: avant que de l'avoir déterminé j'avois fait mon choix, & tous mes calculs étoient effectués fur la coudée du Nilométre; d'ailleurs la différence eft fi peu confidérable entre les trois mesures de degré que je produis, que l'on peut prendre indifféremment celle des trois que l'on voudra; je puis néanmoins alléguer une raifon de la préférence que je donne à la coudée du Nilométre, c'eft qu'il a été plus facile à un voyageur d'en prendre la mesure avec précision; mais fi la pyramide étoit débarraffée des fables qui couvrent fes côtés, & que l'on en prît la mesure avec toutes les précautions néceffaires, je n'hésiterois pas à en regarder le côté de la bafe comme l'étalon du ftade des anciens Egyptiens le plus authentique, le plus certain & le moins fufceptible d'avoir été altéré.

Ce n'eft pas tout; ces mefures étalonnées fur la grandeur d'un degré du méridien dont il eft certain que l'établiffement fubfiftoit avant la fondation de Ninive & de Babylone, & la conftruction des pyramides d'Egypte, fubfiftoient encore vers l'an 830 de J. C., & aujourd'hui elles fubfiftent encore probablement en beaucoup d'endroits. MM. Fréret & d'Anville ont fait fur ce fujet de profondes recherches qui me font fort utiles.

La mesure de la terre faite dans les plaines de Sinjar entre le Tigre & l'Euphrate, eft fameufe par l'habileté des Aftronomes que le Calife Almamoun (mort en 832 de J. C. âgé de 49 ans, 217 de l'hégire, Geogr. Elmakin Hift. Saracenica) y employa; ce Prince qui fut le pere des Lettres chez les Arabes, & qui pendant un regne de vingt ans entreprit & exécuta des projets de Littérature qui tirerent les Arabes de l'ignorance où le mépris qu'ils avoient fait de la Littérature grecque, par un zele de Religion mal entendu, les avoit retenus jufqu'alors.

Golius dans fes Notes fur Alfragan (p. 72 & 73) nous ap

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