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chofes néceffaires : l'exemple précédent en montre la raifon. Sous le confulat de Métellus, la provifion annuelle de bled pour une perfonne revenoit, par fuppofition, à foixante fous de notre monnoie actuelle; & ces années dernieres la même quantité de bled valoit en France foixante livres d'où il fuivroit que fous le confulat de Métellus, celui qui jouiffoit d'un revenu de dix mille deniers Romains, qui dans notre hypothèse vaudroient intrinféquement dix mille livres de la monnoie actuelle de France, poffédoit réellement la même fortune que celui qui a aujourd'hui deux cents mille livres de rente.

Il fembleroit, d'après ces notions, qu'il eft peu utile de réduire les efpeces anciennes au taux des efpeces qui ont cours aujourd'hui dans le commerce; mais ce n'eft qu'une fuppofition que nous avons faite, & jamais le bled n'a été à si bas prix. Dans tous les temps, les chofes néceffaires à la nourriture & aux befoins de l'homme ont toujours eu pour mesure appréciative une quantité raifonnable d'or, d'argent ou de cuivre, & fort approchante de celle d'aujourd'hui. Le bled & les autres chofes valoient fous le confulat de Métellus, ce qu'elles valent de nos jours dans les années fertiles & abondantes, comme nous tâcherons de le prouver dans la fuite. Par conféquent la réduction des monnoies anciennes aux nôtres peut fervir fuffifamment à l'appréciation des richeffes des peuples de l'antiquité, & la connoiffance de leur rapport réciproque ne doit pas paroître une chofe indifférente; mais pour connoître ce rapport, il eft nécessaire de prendre quelques notions relatives à la fabrique des monnoies, & au prix actuel de l'or, de l'argent & du cuivre dans le commerce.

Dans un Etat gouverné avec Religion, fageffe & équité, les monnoies & la qualité des métaux qui fervent à les fabriquer doivent une fois pour toutes être réglées & fixées fur un pied où il ne foit plus permis de faire de changement: car les monnoies font des mefures deftinées à régler & à fixer la propriété du citoyen débiteur & créancier, & elles doivent être immuables comme les poids & les autres mefures. Les Juifs en gardoient les modules ou prototypes avec un foin religieux. Le ficle, défigné fous le nom de ficle facré ou ficle du fanctuaire, étoit configné dans le Temple de Jérufalem avec les étalons des autres monnoies, poids & mefures, dont la confervation inaltérable étoit un précepte formel de leur Loi : Non habebis in facculo diverfa pondera, majus & minus:

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non erit in domo tuâ modius major & minor. Pondus habebis justum & verum, & modius æqualis & verus erit tibi; ut multo vivas tempore fuper terram, quam Dominus Deus tuus dederit tibi: abominabitur enim Dominus Deus tuus, eum qui facit hæc & averfatur omnem injuftitiam (Deut. cap. XXV.). Ce fut encore dans le même efprit d'équité que les Juifs, les Egyptiens, tous les Aliatiques, les Grecs & les Romains dans les beaux temps de la République, eurent grand foin de n'employer pour la fabrication de leurs monnoies que des métaux bien épurés de toute matiere étrangere: ils ne mettoient en œuvre que de l'or & de l'argent affinés au degré où l'induftrie humaine peut atteindre; procédé difpendieux qui fut néanmoins fuivi par tous les anciens peuples. Je fuis même perfuadé que la monnoie Euboïque s'appella ainfi, non parce que c'étoit celle de l'Ifle d'Eubée, ni précisément parce qu'elle portoit l'empreinte d'un boeuf, mais parce que l'argent en étoit très-fin.

Les Romains furent les premiers qui apprirent au monde l'art criminel de dépraver la pureté des métaux destinés à la fabrication des monnoies. Livius Drufus, Tribun du peuple, mêla, au rapport de Pline (lib. XXXIII, cap. III.), une huitieme partie de cuivre avec fept huitiemes d'argent pour la fabrication de la monnoie Livius Drufus in tribunatu plebis octavam partem æris argento mifcuit. Le Triumvir Antoine altéra auffi la pureté de l'argent du denier en y faifant entrer du fer: Mifcuit denario Triumvir Antonius ferrum. Mifcuit æri falsæ monetæ (Plin. lib. XXXIII, cap. IX. ). Les mêmes Romains enfeignerent encore aux hommes l'art frauduleux d'altérer le poids du denier : Alii è pondere fubftrahunt; furquoi Pline s'écrie: Mirumque in hac artium fola vitia difcuntur, & falsum denarii fpectant exemplar, pluribufque veris denariis adulterinus emitur.

L'ufage de mélanger les métaux étant devenu aujourd'hui général dans tous les Etats, il a fallu établir des principes fur lef quels on pût régler la quantité de l'alliage. Pour cela on a fixé un certain poids du métal destiné à être monnoyé; on a divisé ce poids, par la pensée, en un certain nombre des poids égaux; enfuite on a confidéré combien le poids total contenoit de petites parties en matiere pure, & ce combien eft ce qu'on a appellé titre de la monnoie.

En France on a pris pour poids principal à la monnoie le marc qui eft la moitié de la livre. On eft convenu que le marc fe

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diviferoit pour l'or, en vingt-quatre karats, ou en sept cents foixante-huit trente-deuxiemes, enforte que le karat d'or contient trente-deux trente-deuxiemes. On eft de même convenu que le marc d'argent fe diviferoit en douze deniers, ou en deux cents quatre-vingt-huit grains, de maniere que le denier contient vingt-quatre grains.

En Allemagne on fe fert du marc de Cologne, qui fe divife pour l'or en vingt-quatre karats, ou en deux cents quatre-vingthuit grains, le karat contenant douze grains; & pour l'argent en feize loths, ou en deux cents quatre-vingt-huit grains, le loth se fous-divifant en dix-huit grains.

En Hollande le marc d'or contient vingt-quatre karats, ou deux cents quatre-vingt-huit grains, le karat contenant douze grains; & le marc d'argent contient douze deniers, ou deux cents quatre-vingt-huit grains, le denier valant vingt-quatre grains.

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En Angleterre on fe fert de la livre de Troy, qui se divise pour l'or en vingt-quatre karats, en quatre-vingt-feize grains, en trois cents quatre-vingt-quatre quarts, le karat contenant quatre grains ou feize quarts, & le grain quatre quarts; & pour l'argent la livre de Troy fe divife en douze onces, ou deux cents quarante pennys, l'once contenant vingt pennys.

En Espagne le marc d'or du Pérou contient cinquante caf tillans, ou quatre cents tomins, le caftillan contenant huit tomins. Le marc d'argent fe divife en douze dineros, ou en deux cents quatre-vingt-huit granos, le dineros contenant vingt-quatre granos.

En Ruffie l'or & l'argent s'apprécient à la livre de quatrevingt-seize solotnics. En Chine l'argent le plus fin eft de cent

tocques.

· Delà il fuit que l'or le plus fin, celui où il n'entre point d'alliage, eft en France à vingt-quatre karats, & de même en Allemagne, en Angleterre & en Hollande; en Efpagne de cinquante caftillans, & en Ruffie de quatre-vingt-feize folotnics.

Le marc d'argent fin eft en France, en Angleterre & en Hollande de douze deniers, en Allemagne de feize loths, en Ruffie de quatre-vingt-feize folotnics & en Chine de cent tocques.

Un lingot ou une pièce d'or, dans laquelle il y a moitié cuivre ou argent, eft de l'or à douze karats : & une piece d'argent où il entre moitié cuivre ou autre matiere étrangere, eft de l'argent au titre de fix deniers; par où l'on voit que ce qui conftitue

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la valeur intrinfeque & réelle d'une piece de monnoie, c'est le nombre des grains pefant d'or ou d'argent fin qu'elle contient. Une piece d'or du poids d'une once à 24 karats contient 576 grains d'or en matiere pure & fans aucun alliage. Une piece d'or du poids d'une once à 23 karats contient 552 grains d'or fin & 24 grains d'alliage. Une piece d'or à 22 karats pefant une once, deux fcripules & deux grains, eft de même valeur intrinseque que l'once d'or à 23 karats, la feule différence confiftant dans les 26 grains d'alliage qu'elle contient de plus que l'once d'or à 23 karats, & qui font comptés pour rien. Ce n'eft pas qu'un Orfévre qui a besoin d'or à 23 karats pour fon travail ne payât plus cher dans le Commerce la piece d'or à 23 karats que l'autre, à cause de toute la dépense qu'il faudroit faire pour affiner celle à 22 karats. Les mines ordinaires ne produifent point d'or au-dessus de 22 karats, & l'emploi de l'or très-fin eft rare dans le com

merce.

De même une piece d'argent d'une once à douze deniers contient 576 grains pefant d'argent fin. Une piece d'argent du poids d'une once au titre de onze deniers, contient d'argent fin &

de matiere étrangere, c'est-à-dire, 528 grains pefant d'argent pur & 48 grains pefant de matiere étrangere.

Ce plus ou moins d'or ou d'argent pur à maffe égale, ce degré de finesse & de bonté de ces métaux, eft ce qu'on appelle titre, comme nous l'avons dit. Ce titre varie, comme on voit; felon les degrés de pureté du métal. Comme les opérations néceffaires pour l'affinage de ces métaux font très-difpendieuses; l'intérêt réel d'un Etat femble exiger que les monnoies foient frappées au titre naturel que les métaux ont ordinairement dans l'exploitation des mines; c'est auffi à-peu-près le titre de la monnoie en France.

Les Souverains, en prefcrivant des Loix féveres aux monnoyeurs pour les engager après l'affinage & la fabrique d'une quantité de matieres, à rendre tant d'efpeces de tel poids & de tel titre, ont confidéré qu'il étoit prefqu'impoffible aux ouvriers d'atteindre; fans perte de leur part, au point prefcrit par les Loix. Il y a toujours quelques déchets dans les opérations, quelque perte de fin parmi l'alliage ou les fcories qui demeurent. On a cru qu'il étoit jufte d'avoir quelqu'indulgence à cet égard, & de regarder le titre & le poids comme fuffifamment fournis, lorfqu'ils en approchent

de fort près; & afin qu'on sût à quoi s'en tenir, les Loix ont réglé jufqu'où cette tolérance feroit portée.

Les louis d'or de vingt-quatre livres monnoie, par exemple, font à la taille de trente au marc & au titre de 22 karats; mais le monnoyeur eft cenfé avoir fatisfait à l'efprit de la Loi concernant le titre, lorfqu'il a fabriqué les louis d'or au titre de 21 karats & ; il n'eft pas même répréhensible, lorfqu'il les fournit au titre de 21 karats; enforte que la tolérance eft portée jusqu'à & ¦ même jufqu'à de karat, fur le titre porté par la Loi.

Cette indulgence eft ce qu'on appelle remede, c'est-à-dire, moyen pour ne point faire fupporter au monnoyeur des déchets inévitables. Il y a deux fortes de remedes, celui qu'on accorde fur le titre & celui qu'on accorde fur le poids; le premier fe nomme remede d'aloi, l'autre remede de poids. Il y a pareillement foiblage d'aloi & foiblage de poids.

Remede de loi ou d'aloi à la monnoie, eft, comme nous venons de voir, une permiffion que le Roi accorde aux Directeurs de fes monnoies fur la bonté intérieure des efpeces d'or & d'argent, en les tenant de très-peu de chofe moins que les Ordonnances ne le prescrivent.

Remede de poids à la monnoie, eft de même une permiffion que le Roi accorde aux Directeurs de fes Monnoies fur le poids réel des efpeces lors des comptes à la Cour. Comme il est très-difficile, quelque précaution que l'on prenne, que les efpeces d'or & d'argent qui doivent être chacune d'un poids égal & d'une certaine partie du marc, foient taillés fi jufte chacune dans leur poids qu'il ne s'y rencontre quelques parties de grains plus ou moins dans un marc, on a introduit un remede de poids à l'inftar de celui de loi. Par exemple:

Nos louis d'or de 24 liv. font à la taille de trente au marc, au titre de 22 karats, au remede fur le titre de de karat; il peut même aller jufqu'à, fans que le monnoyeur foit en contravention, & au remede de poids de 15 grains par marc.

Suivant ces réglemens, le marc d'or de 4608 grains du poids de Paris pourroit fe trouver réellement réduit à 4593 grains, & le titre à 21 karats. Mais il faut faire attention que cette réduction est un extrême au-deffous duquel on ne peut descendre fans fe rendre coupable, de même que le marc d'or du poids de 4608 grains de la livre de Paris, & au titre de 22 karats juste,

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