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féquement égale à celle d'à préfent; & quand elle le feroit, ce n'est point au plus ou moins d'or effectif qu'il faut attribuer le hauffement de prix des marchandifes. S'il fe trouve dans un Etat plus de métaux, on en fait une plus grande consommation en matieres de luxe. Les changemens de prix dans les denrées néceffaires à la vie, dépendent d'autres caufes; le monopole & les priviléges exclufifs en font le principe. Que le bled, par exemple, fe foit tenu à un prix modique pendant un certain nombre d'années, à la fuite defquelles il fe formera une Compagnie de riches monopoleurs, qui s'empareront d'une quantité de bled excédante le fuperflu de la confommation des habitans d'un Etat; le prix du bled montera. Si le monopole fe foutient, le haut prix du bled se foutiendra; le prix de la main-d'œuvre en tout genre hauffera à proportion, & tout fe mettra en équilibre comme auparavant, même après une crife violente & dangereufe. Voilà donc tout à haut prix; mais le gain & la dépenfe font proportionnés. Après un intervalle de quelques années toutes ces chofes baifferont par d'autres causes; les denrées néceffaires à la vie reviendront à bon prix ; la main-d'œuvre s'y conformera encore, jufqu'à ce qu'il vienne de nouveaux monopoleurs troubler l'heureufe fécurité dont jouiffoit la fociété. Je n'allégue pas ici toutes les causes qui peuvent donner lieu à ces viciffitudes alternatives de chertés & de bas prix dans les chofes de premiere néceffité; il me fuffira de prévenir le Lecteur qu'il appercevra ces variations à l'inspection de la Table que je joins à cet Ouvrage, fur le prix du fetier de bled à Rofai en Brie, réduit au taux de la monnoie courante. En la voyant, fon jugement fe rapprochera peut-être du mien; il en inférera que ce n'eft qu'accidentellement, & indépendamment de la maffe des métaux pécuniaires, que tout eft à un haut prix depuis quelques années ; & que fi la fin du regne de Louis XV a vu la cherté s'établir fur tout, il eft réfervé au regne de Louis XVI d'y voir fuccéder un prix plus modéré.

Pline nous a mis dans l'erreur en nous difant que l'as du poids 'd'une livre de cuivre fut réduit à celui de deux onces dans le temps de la premiere guerre de Carthage. Le raifonnement précédent fur le prix des denrées, tout plaufible & tout judicieux qu'il paroît, trouveroit peut-être des contradicteurs, tant on a peine à fe départir de la perfuafion que les Anciens ont été incapables de nous tromper, Heureusement je trouve une autorité à opposer,

à celle de Pline; c'eft celle de Feftus. Ce Grammairien dit que ce fut dans le temps de la feconde guerre Punique, lorfqu'Annibal faifoit la guerre en Italie, que le Sénat ordonna cette opération pour libérer la République des emprunts qu'elle avoit été obligée de faire, & rembourfer les créanciers fans leur caufer un grand dommage. Il ajoute qu'enfuite de cette réforme, on se servit encore pendant fept ans de l'ancien numéraire, qui attribuoit au denier la valeur de dix as, après quoi l'ufage en fut abrogé, pour y en fubftituer un autre, par lequel le denier étoit de feize as, ce qui fut observé dans la suite, & demeura fixe pour toujours. Tel eft le fens qui me paroît convenir à ces paroles : Sexbellum tantarii affes in ufu effe cœperunt ex eo tempore quo propter Punicum fecundum quod cum Annibale geftum eft, decreverunt Patres, ut ex affibus qui tunc erant librarii, fierent fextantarii, per quos cùm folvi cœptum effet, & populus are alieno liberaretur, & privati quibus debitum publicè folvi oportebat, non magno detrimento adficerentur. Septuennio quoque ufus eft, ut priore numero, fed id non permanfit in ufu, nec ampliùs proceffit in majorem.

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fefFeftus, dans un autre endroit, après avoir dit que l'ancien sesterce valoit deux livres & demie de cuivre, ce qui lui avoit fait donner ce nom, ajoute qu'il fut augmenté durant la feconde guerre Punique, c'est-à-dire, qu'au lieu de deux as & demi qu'il valoit auparavant, il en valut quatre. Il dit enfuite que l'ancien denier valut d'abord dix as, & le quinaire cinq as; que l'un & l'autre qui étoient caractérisés par des chars attelés de quatre ou de deux chevaux, furent également augmentés à cette époque ce qu'il faut toujours entendre du nombre des as qu'ils devoient avoir. Le denier en valut alors seize au lieu de dix, & le quinaire huit au lieu de cinq. Enfin il finit par nous apprendre que l'usage de l'ancien numéraire qui affignoit dix as feulement pour la valeur d'un denier, cinq pour celle d'un quinaire, & deux & demi pour pour celle d'un fefterce, & qu'il a dit dans le paffage précédent avoir été prorogé pour fept ans, le fut par une loi de Caius Flaminius qui ordonna cette opération dont nous avons parlé, fur la monnoie, afin que le peuple Romain qui fe trouvoit obéré de dettes, pût s'acquitter en payant moins. Je pense que tel eft le fens du paffage de Feftus qui paroît très-corrompu; le voici tel que je le trouve dans l'exemplaire que je poffede de fon ouvrage : Seftertii nota apud antiquos fuit dupondi, & femiffis. Unde feftertius dictus

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quafi femiftertius. Sed auctus eft bello Punico fecundo. Apud antiquos autem denarius, & quinquefis in ufu erant, & valebant denarius denos affes, quadrigati, bigati, quinquefis quinos, fed uterque auctus eft. Numerum æris perductum (productum) effe aiunt lege Flaminia minus folvendi, cùm ære alieno premeretur populus Romanus. Le Conful Caius Flaminius fut tué à la bataille de Trafimene, la feconde année de la feconde guerre Punique, l'an 537 de la fondation de Rome, & 217 avant l'Ere Chrétienne; par conséquent c'est à cette année qu'il faut rapporter la réduction de l'as du poids d'une livre à celui de deux onces, & le changement du numéraire qui fe fit la feptieme année d'après, conviendra à l'an 544.

L'an 544 de la fondation de Rome, 210 ans avant l'Ere vulgaire, fix ans après la bataille de Cannes, Scipion faisant le siege de Carthagene en Espagne, les as furent réduits au poids d'une once de cuivre, & ce fut à cette époque que l'on régla que le denier vaudroit feize as, le quinaire huit, & le fefterce quatre. Ce nouveau numéraire demeura fixe, & ne fut plus changé dans la fuite. Pline obferve que dans ce changement la République gagna moitié; mais cela ne peut être, 1°. parce qu'alors au lieu de dix as, on en donna feize pour un denier; 2°. parce que le denier ne fut point diminué de moitié comme l'as, autrement il auroit été à la taille de 144 à la livre: Pofteà Annibale urgente, Q. Fabio Maximo Dictatore affes unciales facti : placuitque denarium xvj affibus permutari, quinarium octonis, feftertium quaternis. Ita Refpublica dimidium lucrata eft. Vitruve (lib. 111, cap. I.) parle de l'inftitution de ce nouveau numéraire en ces termes : Nos ancêtres établirent d'abord le nombre décennaire pour l'ufage de la monnoie; ils arrêterent que le denier contiendroit dix as de cuivre, & c'est delà que la principale piece d'argent porte encore aujourd'hui ce nom de denier. Ils appellerent fefterce la quatrieme partie du denier , parce qu'il contenoit deux as & demi. Mais dans la fuite ayant remarqué que fix & dix faifoient un nombre parfait, ils les ajouterent ensemble, & en compoferent le nombre de feize. Ils tirerent cette analogie du pied: car retranchant de la coudée deux palmes, refte le pied compofé de quatre palmes; or le palme contient quatre doigts, d'où il fuit que le pied en comprend feize autant que le denier comprend d'as de cuivre : Noftri autem primò decem fecerunt antiquum numerum, & in denario denos areos affes conftituerunt, & ea re compofitio nummi ad hodiernum diem denarii

nomen retinet: etiamque quartam ejus partem, quòd efficiebatur ex duobus affibus & tertio femiffe, feftertium vocitaverunt. Pofteà quoniam animadverterunt utrofque numeros effe perfectos, & fex & decem, utrofque in unum conjecerunt & fecerunt perfectiffimum decuffiffexis. Hujus autem rei autorem invenerunt pedem. E cubito enim cum dempti funt palmi duo, relinquitur pes quatuor palmorum. Palmus autem habet quatuor digitos, ita efficitur uti habeat pes fexdecim di gitos, & totidem affes areos denarius.

Bientôt après, par une loi de Papyrius l'an de Rome 586, fur la fin de la guerre de Perfée, 168 ans avant J. C., l'as fut réduit au poids d'une demi-once. On ne peut guere douter que ce ne foit à cette époque que le denier fut fabriqué à la taille de quatre-vingt-quatre à la livre, ce qui fit qu'alors une livre d'argent valut cinquante-fix livres de cuivre : Mox lege Papyrianá femunciales affes facti (Plin. lib. XXXIII, cap. III.).

Enfin nous voici arrivés à une époque où l'as fut réduit au poids d'un ficilique ou du quart de l'once. « Il n'eft pas facile, dit M. Dupuy,» d'en fixer le temps avec précision, l'Histoire n'en >> difant rien; mais on ne peut prefque douter qu'il ne foit posté>> rieur au fiecle de Pline. Cet Auteur dans le récit qu'il fait des >> variations que nous avons décrites après lui, s'arrête à celle qui » réduifit l'as au poids d'une demi-once. Si de fon temps ou au» paravant il y en avoit eu une autre qui eût encore porté l'as à » la moitié de la demi-once, il n'auroit certainement pas manqué » de nous en inftruire; fon filence eft une preuve que ce dernier >> affoiblissement de l'as n'exiftoit pas encore lorfqu'il écrivoit. C'est » donc au temps qui fuivit le regne de Vefpafien, qu'il faut rap>> porter ce que difent les Anciens, quand ils témoignent que le » denier valoit quatre nummus ou festerces, & que le nummus » avoit le poids d'une once de cuivre ». Les autorités alléguées par M. Dupuy font Eusebe Pamphyle, qui dit, dans fon Eglogue fur les poids & mefures, que le denier eft de la valeur de quatre onces de cuivre, & le fefterce d'une once Savaprov duynıæv d. voûμμos óvynias á; & Julius Africanus qui dit que le denier chez les Romains contient deux victoriats, quatre fefterces, seize as, & que le fefterce (de cuivre) eft du poids d'une once: To devάpion κατὰ Ρωμαιους ἔχει τροπαϊκά δύο. νούμμους δ'. ἀθάρια κ'. ὁ δὲ νοῦμ μος ἔχει συγκίας τὸν σαθμὸν.

Quoique les raifons de M. Dupuy paroiffent très-plausibles, je

penfe que le filence de Pline fur la réduction de l'as à un quart d'once, n'eft point une preuve fuffifante que ce changement ne fût pas arrivé de fon temps. Pline a parlé de toutes les variations qui avoient précédé le temps où il vivoit, fans rien dire de l'état actuel où étoit la monnoie de fon temps, qui étoit connu de tout le monde. Il faut confidérer d'ailleurs que Pline fait des compilations, & que rarement il dit autre chofe que ce qu'il trouve dans les ouvrages des Ecrivains qui l'ont précédé. Je croirois donc plus convenable de placer l'époque de la réduction de l'as à un quart d'once, dans les temps qui fuivirent l'empire de Tibere, foit fous celui de Caligula, foit fous celui de Claude foit fous celui de Néron ; & c'est à l'époque, quelle qu'elle foit, de cet affoibliffement, que je crois devoir auffi rapporter la réduction du denier à la taille de quatre-vingt-feize à la livre, en forte que la livre d'argent ne valut plus que trente-deux livres de

cuivre.

Les révolutions progreffives arrivées dans la puiffance de la République Romaine, fe manifestent de diverfes manieres. Souverain au commencement d'un très-petit territoire, ce Peuple étend bientôt fa domination fur toute l'Italie, puis fur l'Europe entiere, fur l'Afrique & fur l'Afie. Le Citoyen à qui deux jugeres de terre fuffifoient d'abord, en veut quatre enfuite, puis fept, puis cinq cents, puis davantage, & enfin il n'y a plus de mefure, L'an 365 de la fondation de Rome, on trouve à peine dans le tréfor public mille livres d'or (1087000 liv.) pour remplir les conditions du Traité conclu avec Brennus; l'an 586, après la défaite de Persée, la maffe de l'or eft augmentée; Paul-Emile la groffit de trois mille livres pefant (3261000 liv.). L'an 594, fous le confulat de Sextus -Julius & de Lucius-Aurélius, on ne trouva dans le tréfor que fept cents vingt-fix liv. pefant d'or (789162 liv.): les deux premieres guerres Puniques l'avoient épuifé; on y trouva néanmoins de plus 92375 liv. pefant d'argent (6928125 liv.). L'an 663, au commencement de la guerre fociale, fous le confulat de Sextus-Julius-Céfar & de Lucius-Martius - Philippus, en ne trouva dans le tréfor public, fi les calculs de Pline font exacts, que 746 livres pefant d'or ( 919602 liv.); apparemment qu'il avoit été pillé, L'an 672, la République fe trouva en poffeffion de vingt-huit mille livres pesant d'or ( 30436000 liv.) & de cent vingt-deux mille livres pefant d'argent (8677500 liv.). Enfin

l'an

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