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noies Grecques. On trouve ici l'application d'un endroit de Pline, favoir que quoique le numéraire de la monnoie Romaine eût été changé dans le temps de la feconde guerre Punique, & qu'au lieu de dix as que l'on donnoit auparavant pour la valeur d'un denier, on y en comptât feize; cependant on continua dans la fuite à ne donner aux foldats que dix as pour la valeur d'un denier, enforte que leur paie n'étoit réellement que des cinq huitiemes du denier d'argent: in militari tamen ftipendio femper denarius pro decem affibus datus. Nous avons évalué le denier du poids d'une fextule à trente fous de notre monnoie en combinant le prix de l'argent avec celui du cuivre ; fur ce pied le denier ftipendiaire n'auroit valu qu'environ dix-neuf fous, & c'étoit la paie du cavalier; le centurion n'auroit donc eu que 12 fous 8 deniers, & le fimple fantassin que 6 fous 4 deniers. Mais fi nous voulons croire que dans le temps que Polybe écrivoit fur la paie des foldats Romains, le denier étoit alors à la taille de 84 à la livre, & que de plus la réduction des monnoies Romaines en monnoies Grecques faite par cet Hiftorien, étoit à-peu-près exacte; alors nous dirons que le fantaffin avoit de paie le tiers du denier courant, c'est-à-dire cinq ou fix as, le centurion dix ou douze as, & le cavalier, le denier courant & réel. De cette maniere d'entendre Polybe, il résultera toujours à-peu-près la même paye que ci-deffus, favoir, au moins 6 fous pour le piéton, 12 fous pour le centurion, & 18 fous le centurion, & 18 fous pour le cavalier. Polybe a foin d'obferver que fur ce modique falaire, le foldat étoit obligé de se nourrir & de fe fournir d'armes & d'habits ce qui apparemment avoit toujours été pratiqué depuis l'inftitution de la paye militaire: non frumentum, non veftem, nec arma gratuita militi fuiffe ; fed certa horum pretia de ftipendia à quæftori

bus deducta.

Ceci dura jufqu'au temps de Jules-Céfar, qui, au rapport de Suétone (in Jul. Cæf. c. 26.), pour s'attacher davantage les foldats légionnaires, doubla leur paye, c'eft-à-dire, qu'il leur donna le denier ftipendiaire entier, favoir, dix as du denier réel d'argent qui en valoit feize; enforte que fi tout fut proportionné cette époque, le fantaffin eut dix as, le centurion vingt; & le cavalier trente. Legionibus ftipendium in perpetuum duplicavit. Alors donc le fantaffin eut 11 fous 3 deniers de paye, le centurion 22 fous 6 deniers, & le cavalier 33 fous 9 deniers. Cette paye paroît

́considérable, mais c'étoit le prix qu'on vouloit mettre à la liberté des citoyens.

Cependant les foldats, lors de la fédition qui s'éleva en Pannonie dans le camp des trois légions qui y étoient réunies fous le commandement du confulaire Junius Bléfus, immédiatement après la mort d'Augufte, fe plaignent de fa modicité. Tacite ('Annal. lib. I. n° XVII.) fait ainfi parler Percennius instigateur de la fédition.

<«< Pourquoi obéir comme de vils efclaves à un petit nombre de >> Centurions, & à un nombre encore moindre de Tribuns? Quand »oferont-ils fe promettre du foulagement dans leurs maux, fi » une requête où les armes à la main, ils ne vont en demander » au Prince (Tibere) nouvellement élevé à l'Empire, & encore >> chancelant fur le trône? Que c'étoit trop d'avoir fouffert durant » tant d'années, que malgré leur vieilleffe & les bleffures dont » leur corps étoit couvert, on les obligeât de porter les armes » pendant trente & quarante ans. Qu'encore feroient-ils heutrop »reux, fi après avoir obtenu leur congé, on mettoit fin à leurs les »fervices, mais qu'on les retenoit fous le drapeau pour y charger des mêmes travaux fous le nom de vétérans. Que s'il » s'en trouvoit qui euffent affez de force pour furmonter tant de » fatigues, on les tranfplantoit en diverfes contrées où sous pré>>texte fpécieux de leur donner des terres à cultiver, on les em>>ployoit à deffécher des marais ou à défricher des montagnes » arides. Que leur fervice étoit auffi ingrat qu'il étoit pénible. » Qu'ils fe vendoient, corps & ame, pour dix as par jour. Que »fur ce mince falaire, il falloit s'entretenir d'habits, d'armes, de >>tentes, fe racheter des châtimens que leur infligeoient les Cen» turions, & en extorquer à prix d'argent quelques momens de » relâche. Qu'en vérité leur vie entiere n'étoit qu'un tiffu de maux, » que pour eux fe fuccédoient fans interruption, les coups, les » bleffures, les rigueurs des hivers, les fatigues de l'été, les périls » dans la guerre & l'indigence dans la paix. Que s'ils vouloient >> fe procurer quelque adouciffement, il falloit preferire eux-mê>>mes les conditions fous lefquelles ils prétendoient fervir: savoir, » qu'on leur donneroit de paie le denier d'argent à chacun; qu'après feize ans de fervice, ils auroient leur congé ; que ce temps expiré, on ne les retiendroit plus fous les enfeignes; que dans »le camp même, avant leur départ, on leur compteroit leur

» récompeuse en argent. Les Cohortes Prétoriennes avoient-elles » donc de plus grands risques à courir qu'eux ? que cependant elles >> recevoient deux deniers (20 as) de paye, & après feize ans de fervice » elles avoient la liberté d'aller revoir leurs Pénates. Que fi l'on ne >> devoit pas leur faire un reproche de ce que leur service fe faifoit » à la ville, au moins falloit-il confidérer que faisant le leur au » milieu des nations barbares, ils voyoient l'ennemi de leurs

» tentes ».

Cur paucis Centurionibus, paucioribufque Tribunis, in modum fervorum obedirent? Quando aufuros expofcere remedia, nifi novum & nutantem adhuc Principem precibus vel armis adirent? Satis per tot annos ignaviâ peccatum, quod tricena aut quadragena ftipendia Jenes, & plerique truncato ex vulneribus corpore, tolerent; ne dimiffis quidem finem effe militia, fed apud vexillum retentos, alio vocabulo, eofdem labores perferre; ac fi quis tot cafus vitá fuperaverit, trahi adhuc diverfas in terras, ubi per nomen agrorum, uligines paludum, vel inculta montium accipiant. Enim verò militiam ipfam gravem, infructuofam. Denis in diem affibus animam & corpus æftimari ; hinc veftem, arma, tentoria, hinc fævitiam Centurionum & vacationes munerum redimi; at herculè verbera & vulnera, duram hiemem, exercitas æftates, bellum atrox, aut fterilem pacem, fempiterna: nec aliud levamentum, quàm fi certis fub legibus militia iniretur; ut fingulos denarios mererent; fextus decimus ftipendii annus finem adferret, nec ultrà fub vexillis tenerentur; fed iifdem in caftris præmium pecunia folveretur. An prætorias cohortes quæ binos denarios acciperent, quæ poft fexdecim annos Penatibus fuis reddantur, plus periculorum fufcipere? Non obtrectari à fe urbanas excubias : fibi tamen apud horridas gentes, è contuberniis hoftem afpici.

Dans l'époque précédente, les fimples foldats étoient payés probablement de quatre mois en quatre mois, à raifon de trois auréus valant foixante-quinze deniers ou douze cents as. Mais le denier ayant encore été altéré & diminué de poids après le regne de Tibere, la paye du foldat ne fe trouva plus fuffisante; il fallut l'augmenter de nouveau, ce qui n'arriva pourtant que fous l'empire de Domitien. Alors on paya les foldats également de quatre en quatre mois, à raifon de quatre auréus valant cent deniers ou feize cents as. C'étoit par mois un auréus valant vingtcinq deniers ou quatre cents as; & par jour, un trentieme d'auréus faifant cinq fixiemes de denier, ou treize as & un tiers,

ce

ce qui fait de notre monnoie 13 fous. Cette derniere augmentation fe prouve par deux autorités : la premiere, de Suétone, (in Domitian. c. 7.) qui dit que Domitien gratifia le foldat d'une quatrieme paye ou de trois auréus: addidit & quartum ftipendium militi, aureos ternos la feconde, de Zonare, qui nous apprend que Domitien augmenta la paye du foldat, de maniere que comme auparavant on ne lui donnoit que foixante-quinze deniers, il fut réglé qu'on lui en donneroit cent: τοῖς τρατιώταις ἐπήυξησε την μισθοφοράν, τάχα διὰ τὴν νίκην. Πέντε γὰρ καὶ ἑβδομήκοντα δραχμάς ἑκατον χαμβάνοντος, ἑκατὸν ἐκέλευσε διδόσθαι.

De ce que nous avons dit de la folde des troupes dans l'antiquité, il résulte, 1°, qu'au temps de Demofthenes, le fantaffin Grec gagnoit par an 120 liv., le cavalier 360 liv.; 2°. que le fantaffin Grec, foudoyé par les Perfes, gagnoit 300 liv. ; 3°. que le fantaffin Grec, foudoyé par Cyrus le jeune, gagnoit 450 liv. ; 4°. que le matelot ou le foldat employé fur la fotte Athénienne qui fut envoyée en Sicile, gagnoit 365 liv.; 5°. que dans les premiers temps où les troupes Romaines furent payées par la République, le fantaffin gagna probablement 120 liv., & le cavalier 360 liv.; 6°. qu'au temps de Polybe, le piéton Romain gagnoit 115 liv., le centurion 230 liv., & le cavalier 345 liv.; 7°. qu'au temps de Jules-Céfar, le fantaflin avoit par an 205 liv., le centurion probablement 410 liv., & le cavalier 615 liv.; 8°. que fous l'empire de Domitien, le fantaffin eut 237 liv.; 9o. que fous Valentinien III, il paroît que le foldat avoit 450 liv.

Aujourd'hui en France un fufilier ou fimple foldat fantassin a par jour 6 f. 4 d., ce qui fait par an 114 liv.; le grenadier & le huffard 7 f. 4 d., c'est par an 132 liv.; le dragon, pour fa perfonne feulement, 7 f. 2 d., c'est par an 129 liv.; & enfin tout autre fimple cavalier, pour fa perfonne feulement, 7 f. 8 d. par jour, & par an 138 liv.

Enfin je conclus de tout ce qui précéde, que l'argent & l'or monnoyés n'étoient pas plus ou n'étoient guere plus utiles dans l'antiquité qu'ils ne le font de nos jours, & que pour la même quantité de ces métaux on n'avoit pas plus des chofes de premiere néceffité.

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Près avoir traité affez amplement des monnoies des Anciens, il pourroit refter quelque chofe à défirer, fi j'omettois de parler de la maniere dont ces peuples faifoient valoir leur argent. Je préviens que je ne ferai prefque que tranfcrire ici ce que le favant & laborieux M. Dupuy a écrit fur cette matiere à la fuite de fon Mémoire fur l'état de la monnoie Romaine ; je n'aurai guere d'autre mérite que celui d'y ajouter la théorie de l'ufure parmi nous.

Avant la renaiffance des Lettres, on ignoroit jusqu'aux termes & aux expreffions dont les Grecs & les Romains avoient fait usage en cette matiere. On ne favoit quelle idée fe former de l'ufure centieme, ni de fes parties. Hermolaus Barbarus fut le premier qui, guidé par Columelle, découvrit l'erreur des Jurifconfultes qui l'avoient précédé.

que

Budée fit enfuite briller à nos yeux une lumiere plus vive. Depuis lui, bien des Auteurs n'ont pas laiffé de s'égarer. Saumaife luimême, qui avoit fort étudié ce fujet, eft tombé dans quelques méprises; & aujourd'hui encore nous voyons des Ecrivains qui n'ont pas, fur cette matiere, des idées bien juftes ni bien nettes. A remonter aux temps les plus reculés, on ne voit pas que les Loix ayent ordinairement permis une ufure plus forte la centéfime, c'est-à-dire, d'un pour cent par mois, ou de douze par an. Car quoiqu'au rapport de Démofthenes, la femme répudiée fut autorisée par la loi de Solon, à retirer la centieme & demie de fa dot, fi le mari différoit à la lui rendre, ce cas particulier ne doit être regardé que comme une peine, qui prouve que cette efpece d'ufure n'étoit pas ordinaire. C'est à cette centésime que les Romains réduifirent tout leur calcul en ce genre: ils la regarderent comme un as ou un tout, & la foumirent ainfi à toutes les divifions reçues de l'as. L'ufure étoit-elle plus forte ? l'expreffron qui la défignoit fe rapportoit toujours à la centéfime. On di

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