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foit donc la fefqui-centefime, ou l'ufure par mois d'un & demi pour cent, ou de dix-huit par an. La double centéfime (bina centefimæ), ou celle de deux pour cent par mois, ce qui fait vingt-quatre par an; ainfi des autres. Etoit-elle plus foible? les parties de l'as, appliquées à la centélime, en caractérifoient l'efpece; d'où l'on voit que l'ufure onciere (fienus unciarium) eft l'once, ou le dou zieme de la centieme, c'eft-à-dire, le douzieme d'un par mois.

On lit également dans les anciens Ecrivains ces autres expreffions, femunciarium fœnus, fœnus trientarium, ufuræ fextantes, quadrantes, trientes, quinamces, femiffes, feptunces, beffes, dodrantes, dextantes, deunces. Les Grecs s'exprimerent fouvent d'une maniere femblable, τρίτη, τετάρτη, δωδεκάτη, &c. ἑκατοσῆς : & cette analogie fe remarque dans les autres efpeces d'ufure.

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Pour n'avoir pas bien compris le principe fur lequel rouloit le calcul des Romains à cet égard, je ne fais combien d'Auteurs ont confondu l'ufure onciere avec la centéfime. Un Ecrivain célebre (M. de Montefquieu), que l'Europe entiere regrette, bien vu que depuis le temps où les loix Romaines mirent un frein à l'avidité des créanciers, l'ufure onciere ne pouvoit pas fignifier un pour cent par mois, parce qu'autrement les Empereurs qui permirent l'ufure quarte, tierce, fémisse, l'auroient fixée à trois quatre & fix pour cent par mois; ce qui fans doute eût été ab furde, comme il le dit: car les loix faites pour réprimer l'ufure auroient été plus cruelles que les ufuriers. Mais il s'eft perfuadé que dans les commencemens l'ufure onciere étoit d'un pour cent par mois, & qu'elle ne défigna un pour cent par an que longtemps après.

Examinons & tâchons d'approfondir cette théorie de l'ufure chez les Romains, en fuivant la route de celui qui n'en ayant encore aucune idée, chercheroit à en pénétrer le myftere. On voit bien en général que ufuræ unciaria déclare un intérêt d'une once; que ufuræ femiffes indique une ufure de fix onces; que ufuræ deunces fignifie une ufure de onze onces; mais nous ne voyons pas encore clair dans ce fyftême numérique. En effet, payer onze onces d'intérêt fur un as, ou les onze parties d'un tout, foit par mois, foit par an, cela n'eft pas admiffible. Ufura centefime paroît annoncer un intérêt d'un pour cent, mais eft-ce par an? eft-ce par mois? Par an, un pour cent feroit peu; par mois , un pour cent, ce feroit douze pour cent par an. L'intérêt paroît fort, mais

il peut avoir eu lieu en certaines circonftances. Suppofant donc que ufura centefima énonce des intérêts à douze pour cent par an, on eft porté à croire que les Romains auroient bien pu tirer généralement les intérêts d'une fomme à tant pour cent par an, ou par mois, en prenant pour base de tout leur calcul un centieme ou la centieme partie de cent. Dans ce cas, il feroit très-probable qu'ils auroient confidéré comme un as, ou une unité, cette centieme partie, centefima ufura; c'est-à-dire, que fur cent ils auroient pris un, l'auroient appellé as, & qu'ils auroient divifé cet as en douze onces, comme la livre & leurs autres entiers; de maniere que centefima ufura Signifiant un ou pour cent, deunces ufuræ fignifieroient pour cent, femiffes ufuræ pour cent, unciariæ ufuræ pour cent, ufuræ femunciaria pour cent, le tout à raifon de l'efpace d'un mois. Ce fyftême paroît affez plausible: car fi centefimæ ufuræ femblent une ufure un peu forte dans cette hypothefe ; d'un autre côté, ufuræ unciaria paroiffent un intérêt trop modique. Mais est-ce-là véritablement la théorie de l'ufure chez les Romains? & fi ce l'eft, eft-il certain que c'étoit à raifon du mois qu'elle étoit due? Columelle (lib. 111, cap. 111.), par le calcul qu'il en fait, va nous l'apprendre. Cet Ecrivain traitant de la culture de la vigne, après avoir ajouté ensemble les prix d'un esclave vigneron, de fept jugeres de terre, des marcottes néceffaires pour le plant de ce terrein, des échalas & des ofiers, fait monter cette somme à vingt-neuf mille fefterces, dont il tire les ufuræ femiffes qu'il évalue à trois mille quatre cents quatre-vingts fefterces pour deux années Fit tum in affem confummatum pretium feftertiorum xxix millium. Huc accedunt femiffes ufurarum feftertia tria millia & quadringinti octoginta numi biennii temporis, quo velut infantia vinearum cessat à frucdu. Fit in affem fumma fortis & ufurarum xxxij millium quadringentorum lxxx numorum. Prenant donc la moitié de 3480, nous aurons 1740 fefterces pour les femiffes ufurarum d'un an fur un capital de 29000 fefterces; faifant cette proportion: 29000 fefterces donnent par an 1740 fefterces d'intérêt, comme 100 fefterces donnent un quatrieme terme, c'eft 6: donc ufuræ femiffes exprime un intérêt à fix pour cent par an, & ou fix onces de l'as centéfime par mois. Voilà le développement du fyftême numérique de l'ufure chez les Romains; & je ferois furpris que l'Auteur d'un Livre intitulé: Recherches fur la valeur des monnoies & fur le prix des grains avant & après le Concile de Francfort,

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en eût imaginé un tout différent, fi dans le refte de fon Ouvrage il m'eût paru plus judicieux, & plus inftruit des usages de l'antiquité.

Voici à préfent une Table des différentes fortes d'usures ou d'intérêts chez les Romains.

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Il se préfente ici une queftion qu'on peut faire fur la maniere de percevoir l'ufure chez les Romains; c'eft de favoir si le débiteur étoit obligé de payer fon créancier tous les mois, ou fi ce n'étoit qu'au bout de l'an. Car payer chaque mois, c'eft un véri table anatocifme, par comparaifon au payement ufuraire qui ne fe fait qu'au bout de l'an; c'eft payer en quelque forte l'intérêt de l'intérêt, parce que le débiteur en gardant fon argent jusqu'à la fin de l'année peut le faire profiter, & en retirer lui-même une ufure proportionnée à celle qu'il paye à fon créancier fur fon capital; au lieu qu'en payant chaque mois il s'ôte cette faculté. Cette différence dans les termes du payement ne laifferoit pas que de mériter de la confidération. Je fuppofe, par exemple, deux hommes également induftrieux qui ont des moyens pour faire valoir leur argent à un pour cent par mois; ces deux perfonnes font obligées chacune à une redevance annuelle de douze livres, intérêt de cent livres ; mais le premier eft tenu d'en faire le payement à douze termes, favoir, à la fin de chaque mois ; & le fecond

n'eft obligé de payer qu'au bout de l'an: il eft clair eft clair que la condition de ces deux perfonnes n'eft pas la même ; on trouve par le calcul que la premiere payera réellement environ deux livres onze fous cinq deniers de plus que la feconde. Columelle, dans le calcul que nous avons vu de lui, ne comprend pas les intérêts compofés; mais cela ne me paroît pas décider` la question. Je ne fais fi ce que dit M. Dupuy de l'anatocifme eft plus concluant fur ce qui concerne les échéances d'ufure.

On voit, dit ce Savant, par les Lettres de Cicéron à Atticus (lib. V, epift. 21 ; & lib. VI, epift. 1, 2, 3.), , que l'anatocifme étoit en ufage de fon temps, & pendant qu'il fut Proconful de Cilicie; il le permet lui-même, non à la vérité pour chaque mois, mais pour la fin de chaque année; deforte que fi pour lors l'ufure centieme du prêt n'étoit pas payée, elle s'ajoutoit au principal, & produifoit dès ce moment le même intérêt. Cet anatocifme, qui ne fatisfaifoit pas Scaptius, comme Cicéron s'en plaint, fut enfuite réprouvé, avec la note d'infamie, par une loi de Dioclétien & de Maximien en 284 mais on chercha bientôt à éluder cette loi par une fubtilité. Le créancier faifoit avec le débiteur un nouveau traité, par lequel les ufures non perçues étoient incorporées au principal, comme fi c'eût été un nouveau prêt, & commençoient dès-lors à produire. Juftinien défendit abfolument de réunir au principal les ufures, foit paffées, foit à venir, & ftatua que l'ancien prêt feroit le feul qui porteroit intérêt. Tel fut le fort de l'anatocifme.

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Mais ce qui prouve plus formellement qu'on payoit chaque mois l'intérêt de l'argent, c'eft le paffage fuivant de Cicéron (lib VI, Epift. ad Attic. ep. I.): Et tamen fic nunc folvitur, tricefimo quoque die talenta Attica xxxiij, & hoc ex tributis, nec id fatis efficitur in ufuram menftruam. Cela pofé, il y a une petite correction à faire à la Table précédente pour rapprocher l'ufure qui fe perçoit chaque mois, de celle qui fe perçoit chaque année.

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Outre l'ufure pécuniaire, il y avoit l'ufure des fruits. Celle-ci ayant été réduite par Conftantin le Grand (Cod. Juft. lib. II, tit. 33, leg. I.) à la moitié du prêt, s'appella hémiole, mot qui fignifie un & demi, comme l'enfeignent Suidas & Harpocrate, & encore Aulugelle (lib. XVIII, cap. 14.) en ces termes : Eft autem hemiolios qui numerum aliquem totum in fe habet, dimidiumque ejus, ut tres ad duo, &c.; enforte que par cette ufure, pour un modius de bled prêté, on en rendoit un & demi au bout de l'an. L'ufure hémiole fut défendue, par les Conciles de Nicée & de Laodicée, aux Eccléfiaftiques, fous peine d'être retranchés du Clergé. Dans ces temps-là l'ufage étoit de prêter du bled aux laboureurs durant l'hiver, en exigeant d'eux, après la récolte, la moitié en fus du prêt. Saint Chryfoftome s'en plaint: Les riches, dit-il, ne fe contentent pas d'exiger des cultivateurs la centieme partie du tout, ils veulent la moitié. Saint Jérôme en parle auffi, & nous fait part de la raifon qu'on alléguoit en faveur de cette pratique. Un modius que j'ai prêté, difoit-on, en a produit dix; n'est - il pas juste que je retire un demi-modius de plus? c'est encore neuf & demi qu'on tient de ma libéralité. Voilà précisément l'hémiole que Conftantin défendit de paffer, & que le Concile de Nicée interdit abfolument au Clergé. Juftinien, plus éclairé que Conftantin, la réduifit dans la fuite, & fixa l'ufure des fruits au huitieme d'un modius par an; cet intérêt étoit un peu plus fort la centéfime, puifque fur ce pied cent modius en produiroient douze & demi de profit annuel. Ce Prince fut encore trop indulgent car l'ufure des fruits doit fuivre le cours de l'ufure pécuniaire, n'y ayant aucune raison qui doive y mettre de la dif

férence.

que

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