Images de page
PDF
ePub

au temps de Caton, il s'enfuivra qu'il donnoit à chacun de fes efclaves modius de bled en nature, 2 modius en nature d'huile, & 80 modius en nature de vin : ces trois objets feuls fe montent à la valeur représentative de 133 modius de bled, qui font 1033 boiffeaux, ou 8 fetiers mesure de Paris, pour la confommation annuelle d'un efclave chez les Romains, fans y comprendre les olives, dont la quantité n'eft pas déterminée, le vinaigre, le poiffon, le fel, le petit vin qu'il buvoit durant un quart de l'année, l'intérêt de l'argent qu'il avoit coûté à son maître, ses vêtemens, fon logement, fes outils, &c. A vingt livres le fetier de bled, les 8 fetiers feroient déja 172 livres. Qu'on nous dise après cela que 100 livres fuffifent pour procurer le nécessaire à un François.

Nous avons dit que l'on devoit ajouter à la fomme précédente ce à quoi revenoit par an un esclave aux Romains, à raison de l'intérêt de la fomme qu'il leur coûtoit d'achat. Un esclave vigneron s'achetoit huit mille fefterces, felon Columelle (de Re ruft. lib. III, cap. III.); il fuffifoit pour cultiver fept jugeres de vigne: chaque jugere pouvoit rendre au moins un culléus de vin, qui fe vendoit alors, année commune, trois cents fefterces. Les Romains, dans le temps dont nous parlons, plaçoient leur argent à intérêt à raifon de fix pour cent de bénéfice par an, fuivant le même Ecrivain; d'où il fuit que les huit mille fefterces devoient produire quatre cents quatre-vingts fefterces par année, fomme répondante au prix de culléus, 991 pintes ou 3 muids de vin mesure de Paris. Nous avons parlé d'une époque où un conge de vin valoit un modius de bled; aujourd'hui le conge de vin vaudroit plus que le modius de bled: mais fuppofons l'égalité parfaite, le culléus contenoit 160 conges, enforte qu'un culléus & font 256 conges de vin correfpondans à 256 modius de bled: cette quantité de bled revient à 198 boiffeaux ou 16 fetiers mefure de Paris. Ajoutons à cette quantité les 8 fetiers de l'autre fetiers de l'autre part, & nous trouverons qu'un efclave vigneron coûtoit aux Romains 25 fetiers de bled par an, pour fa nourriture feulement, & l'intérêt de la fomme qu'il avoit coûté à fon maître. En n'eftimant le fetier de bled qu'à vingt livres tournois, cet homme coûtoit 502 liv., & cependant il ne cultivoit que fept jugeres, c'est-à-dire, 3 arpens &. On peut remarquer que dans ce temps-là, qui étoit le fiecle d'Augufte, un esclave qu'on achetoit 8000 fefterces, coûtoit

96

125

1803 livres de notre monnoie; que le muid de Paris de vin valoit 31 liv. 8 f., à raifon de 300 fefterces le culléus ; & qu'à raison de 1000 fefterce le jugeres de vigne, l'arpent de France auroit valu 418 liv. 14 f.

Par une Ordonnance du Roi Jean, du 13 Février 1350 (Ordonn. tom. II, pag. 369 & 373.), les batteurs en grange ne pourront prendre, de la Saint-Remi jufqu'à Pâques, que dix-huit deniers par jour fans dépens, & non plus; & s'ils battent à tâche d'argent, douze fous du muid de bled, & huit fous du muid d'aveine & d'autres mars, à la mesure de Paris, & non plus : & s'ils battent du bled, ils auront & prendront au vingt, & non au-deffous, & non plus.

Mais en fuppofant qu'on nourriffoit les journaliers, la Coutume d'Anjou fixoit leurs journées d'été à quinze deniers tournois, & celles d'hiver à dix deniers tournois ; & les Coutumes d'Auvergne & de la Marche mettent les journées, fans y comprendre la nourriture, en été à fix, & en hiver à quatre deniers.

Le temps depuis la Saint-Remi jufqu'à Pâques fait à peu près les fix mois d'hiver, durant lefquels les batteurs en grange gagnoient dix-huit deniers par jour. Pendant les fix mois d'été, fuivant les Coutumes ci-deffus citées, les mêmes ouvriers occupés à d'autres travaux, devoient gagner à proportion vingt-fept deniers par jour, fans nourriture: c'est un tiers de plus l'été que l'hiver. Par l'Ordonnance du Roi Jean, le batteur en grange gagne douze fous pour un muid de bled, & gagne dix-huit deniers par jour, d'où il fuit qu'il bat dix-huit boiffeaux de bled par jour. Il lui étoit libre d'en avoir la vingtieme partie pour fon travail; c'étoit neuf-dixiemes de boiffeau ou dix-huit livres pefant de bon bled qu'il gagnoit par jour.

L'année eft compofée de trois cents foixante-cinq jours, sur lesquels il en faut rabattre quatre-vingt-dix, ou un quart de l'année, les Fêtes & Dimanches dans le Diocèse de Paris; refte donc pour deux cents foixante-quinze jours de travail pendant toute l'année, favoir, cent trente-fept & demi pour l'été, & autant pour l'hiver. Si l'on fuppofe que le batteur en grange gagnoit à d'autres travaux, pendant toute l'année, autant à proportion qu'à battre du bled, il en résultera que fon gain, durant les fix mois d'été, fe montoit à 185 boisseaux de bled; & pour les fix mois d'hiver, boiffeaux, ce qui fait en tout 308 boiffeaux ou 25

à 123

[ocr errors]

fetiers

fetiers pour fon gain de l'année; cette quantité de bled, à raison de 20 livres le fetier fe monte à 515 liv., c'eft ce que nous avons trouvé pour les frais de l'esclave Romain, bien peu plus. Et affurément un journalier qui a fa femme & fes enfans à nourrir, ne doit pas être traité comme s'il étoit de pire condition qu'un efclave.

Dans une explication de la maniere de faire les affiettes, inférée à la fuite de la Coutume de Bourgogne, rédigée en 1459, fous le Duc Philippe le Bon, une journée de corvée est évaluée à 20 livres de bled pour un homme, & à 12 livres de bled pour une femme; c'eft par an, pour l'homme, 343 boiffeaux ou 28 fetiers de bled, qui, à raifon de 20 livres le fetier, font 571 3 livres. J'obferverai qu'il y a beaucoup de travaux à la campagne, comme de faner les foins, fcier les bleds, &c., où une femme n'eft ni moins utile, ni moins expéditive qu'un homme, & que dans ce cas il n'eft pas jufte de lui donner un moindre falaire.

རྟ

Les Légiflateurs, en taxant à un boiffeau de bled le falaire d'un journalier, ont confidéré qu'il étoit chargé d'une femme & d'enfans qu'il éleve pour le foutien & la profpérité de l'Etat ; & comme les familles de ces fortes de gens font compofées font compofées au moins de quatre perfonnes, fouvent de cinq, fix & plus, & qu'elles vivent toutes fur le travail du pere, elles ne peuvent avoir chacune pour leur entretien annuel que fept fetiers de bled au plus, souvent ques, que 4, &c., ce qui revient dans ce dernier cas à 93 livres par tête, fur le pied de 20 livres le fetier. Je fais que la femme peut fouvent ajouter quelque chofe à cette petite maffe foit en filant ou autrement; mais, lorfque fes enfans font petits, tout fon temps eft employé à en prendre foin.

En France, on fait monter la dépense annuelle des hommes, l'un portant l'autre, à 100 livres tournois, c'eft une erreur; en Allemagne, on l'a évaluée à 30 rixdales (119 livres), c'est trop peu encore; en Angleterre, on l'eftime de fept livres fterlings; cette fomme revient à 174 livres, & eft plus raisonnable.

Le fimple foldat dans le Régiment des Gardes Françoises a neuf fous par jour, fur quoi on lui retient un fou pour fon linge, fouliers, &c.: il a un habit neuf tous les trois ans, qui peut coûter 60 liv. Sur ce pied, un foldat aux Gardes revient au Roi à 184 liv. 5f., non compris fon logement, &c.

Dans les autres Régimens le foldat n'a que cinq fous à dépenser

Sff

par jour, fur quoi on lui retient également un fou pour l'entretien de fon linge, fes fouliers, &c.; un tel foldat ne confomme donc que 111 liv. 5 f. par an, non compris le logement.

Mais les foldats en garnison, vivant par chambrées, ont des moyens d'économiser fur leur nourriture & leur logement, que n'ont pas les perfonnes d'un autre état. Au refte, la confommation du foldat telle que nous l'évaluons ici, eft illufoire par rapport aux gens de travail. Le foldat ici eft en garnison, &, à quelques exercices près, il eft fédentaire; il doit donc moins confommer mais s'il eft en route, fa ration par jour eft, comme nous avons dit, de 28 onces de pain, d'une pinte de vin, ou de deux pintes de cidre ou de bierre, & d'une livre de bœuf ou de mouton. Or en taxant ces chofes au plus bas, il eft certain qu'il confommera pour trois fous de pain, autant de boiffon & autant de viande, ce qui fait neuf fous par jour, & 164 liv. 5 f. par an; & ajoutant à cette fomme 20 livres pour l'habit, cela fait 184 liv. 5 f. Je ne comprends point dans cette fomme la dépenfe du renouvellement du linge, des guêtres, des bas des fouliers, du blanchiffage, &c. Un foldat en route ne peut pas coûter moins de 200 livres par an. J'ajouterai que le foldat confomme quelquefois plus de 28 onces de pain, fur-tout s'il en a à difcrétion : car, fuivant M. le Maréchal de Puységur, une armée de 120000 hommes confomme chaque jour environ 1000 facs de farine pefant chacun 200 livres, ce qui fait par tête un douzieme de boiffeau par jour, & par an 30 boiffeaux de bled. Je suppose ici que cette farine contient tout le fon; car autrement cette quantité de farine produiroit par tête une confommation de plus d'un douzieme de boiffeau de bled par jour. On peut remarquer, d'après cette observation de M. le Maréchal de Puységur, que j'ai eu raifon d'affigner à chaque habitant d'un Etat, une confommation de trente boiffeaux de bled par an.

Le fieur Unger, dans fon Traité du prix des grains, a tâché 'd'établir une regle applicable particuliérement aux perfonnes de médiocre condition. Suivant cette regle, la quantité de feigle qu'un homme confomme par an dans un pays étant connue, on en réduit la valeur en pfennings qu'on divife par 64; alors le quotient donne autant de rixdales qu'il en faut compter pour la dépense annuelle de chaque perfonne par exemple, dans les pays où l'on compte 2 malters de feigle par tête, fi le malter coûte

:

pour

rixd. 8 gr., cette fomme fera 2400 pfennings, qui, divifés par 64, donnent un quotient de 37, ce qui indique les rixdales qu'il faudra compter par tête pour la fubfiftance annuelle dans ces pays. Au refte, tout le myftere de cette regle du fieur Unger fe réduit multiplier par 4 le prix de la quantité de grain néceffaire fournir à toute la fubfiftance annuelle d'une perfonne, en quelque monnoie que ce prix foit exprimé. Par exemple, qu'une personne confume annuellement, en nature de bled, trente boisseaux ou 2 fetiers mesure de Paris, & que le fetier fe vende 20 livres; les deux fetiers & demi vaudront 50 livres : multipliant cette fomme par 4, le produit fera de 225 livres ; c'eft la consommation an nuelle en toutes les chofes néceffaires à la vie pour une perfonne, felon la regle du fieur Unger, & cette confommation eft la valeur de fetiers de bled.

[ocr errors]

Le résumé de ce Chapitre eft, 1°. qu'un boiffeau de bon bled, pefant 20 livres poids de marc, produit 16 livres de pain blanc de la premiere qualité, ou 25 livres de gros pain fait de la farine mêlée avec le fon; 2°. que deux fetiers & demi ou trente boiffeaux de bled fuffifent en général pour la fubfiftance, en pain feulement, d'une perfonne; d'où il réfulte que fi cette perfonne vit de pain blanc, elle en confommera par jour 21 onces & ;, & que fi elle se nourrit de gros pain, elle en confommera 32 onces & 4; 3°. qu'un journalier, pour élever fa famille, doit gagner par jour la valeur d'un boiffeau de bled, plus ou moins, felon la nature de fes travaux ; 4°. que la dépense annuelle, pour toutes les chofes néceffaires à la vie, d'une perfonne de moyenne condition, peut être évaluée fur le prix courant de 11 fetiers de bled ou de feigle: cependant comme il y a autant de variations dans la dépense que dans la fortune, cette derniere regle eft la moins fûre

& la moins applicable.

Connoiffant la confommation moyenne des hommes, en bled, & connoissant d'ailleurs ce que toutes les terres d'un Etat produifent de bled par an, avec ce qu'il en entre ou ce qu'il en fort, on peut connoître la population de cet Etat, & réciproquement.

Connoiffant de même la quantité de bled qu'une perfonne confomme communément chaque année, avec ce qu'il entre de bled dans une Ville, on peut connoître la population de cette Ville, & je penfe que c'eft la feule méthode d'approximation que l'on doive employer.

« PrécédentContinuer »