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M. Dupré-de-Saint-Maur, d'après les témoignages des perfonnes les plus inftruites, & fur des certificats des gens employés par la Police pour tenir un état des grains qui fe confomment à Paris, compte 82000 muids de bled qui entrent tous les ans dans cette Ville pour la fubfiftance de fes habitans; on fait entrer dans cette quantité le pain tout fait & la farine qui viennent à Paris. Si donc nous admettons la confommation de trente boiffeaux par tête, le nombre des habitans de Paris ne fera que de 393600, fans comprendre les enfans au-deffous de trois ans, quoiqu'ils mangent de la bouillie, & les malades, & fans avoir égard, d'un autre côté, à ce que les Braffeurs, plufieurs métiers, & les animaux, comme les chiens, chats, &c. en confomment. Auffi M. de Mirabeau obferve-t-il que quoique Paris, depuis la mort de Henri IV, fe foit accru exactement de deux tiers, il n'a cependant, dans le réel de fon dénombrement, qu'à peu près le même nombre d'habitans qu'il avoit fous ce regne.

CHAPITRE X.

De la quantité de femence, de la fertilité des terres dans certaines contrées; de la population chez quelques Peuples de l'antiquité; de quelques Loix agraires.

E

Xaminons ce qu'il faut mettre de femence dans un terre, fuivant fa qualité & la différence des climats.

Héron d'Alexandrie nous apprend qu'en Egypte on enfemençoit un modios ou une aroure de terre avec un modios de bled. Dans ce pays & dans l'Afie, les mefures de fuperficie, autrement les mefures géodétiques ou gromatiques, étoient appropriées à des mefures folides ou de capacité qui régloient la quantité de semence, foit de bled, foit d'orge, qu'il étoit convenable qu'elles reçuffent. Chez les Juifs, l'étendue de terrein appellée bethcor confommoit un cor ou coros de bled ou d'orge; le bethlethec, un lethec de bled; le modios de terre ou l'aroure, un modios ou faton de bled, &c. Les peuples de la Grece mettoient un médimne de femence par médimne de terre.

On feme quatre modius de féves par jugere, dit Varron (de Re ruft. lib. I, cap. XLIV.), cinq de froment, fix d'orge, dix de riz; mais dans quelques lieux on en met tantôt plus, tantôt moins fi le terroir eft gras, on en met plus; s'il eft maigre, on en met moins (je penfe que c'eft le contraire); c'est pourquoi vous obferverez quelle eft la quantité de femence qu'on a couafin de vous tume d'employer dans le pays que vous habitez

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conformer. Dans quelques endroits la terre rend dix pour un, en d'autres quinze, comme en Etrurie (en Toscane), & en quelques cantons de l'Italie. On dit que dans le territoire de Sybaris (partie de la Calabre, fituée au fond du golfe de Tarente), la terre rend ordinairement cent pour un; que dans la Syrie, aux environs de Garada (ou peut-être Gadara dans l'ancienne Batanée, au midi du lac de Généfaret), & dans les campagnes de Byzacium en Afrique (au fond de la petite Syrte ou golfe des Cabes dans le Royaume de Tunis), la terre produit également cent pour un de femence. Les différences dans la nature des terres en apportent auffi dans la quantité de la femence. Il y a des terres neuves, ou qui n'ont pas encore été en culture; il y en a de reftibles, ou qu'on enfemence tous les ans ; il y en a d'autres qu'on laiffe en jacheres pour les faire repofer une ou deux années. Les terres font restibles dans le territoire d'Olynthe (aujourd'hui Agiomama au fond du golfe de Caffandre & près de celui de Salonique, dans le Roumiili), mais de maniere que la premiere année on leur fait produire du froment, & des menus grains les deux autres fuivantes. Il faut, ajoute Varron, laiffer repofer les terres de deux années une, ou les enfemencer la feconde année de quel le froment. ques menus grains qui les épuisent moins que

Un jugere de terre graffe, dit Columelle (lib. II, cap. IX.); doit être enfemencé pour l'ordinaire de quatre modius de bled ; dans une terre médiocre il en faut cinq. Dans une bonne terre il faut neuf modius de riz, & dix dans une terre médiocre : car quoique les Auteurs ne foient pas d'accord fur la quantité de la femence, cependant l'ufage & l'expérience nous ont appris que celle-ci étoit la plus convenable. S'il fe rencontroit quelqu'un qui balançât à s'y conformer, il pourroit fuivre la pratique de ceux qui fement cinq modius de bled & huit de riz dans un jugere de bonne terre, & qui penfent qu'il en faut la même quantité dans les fonds de médiocre qualité. D'ailleurs nous ne nòus sommes pas

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propofé d'obferver ftrictement la regle que nous venons d'établir, d'autant que la quantité de la femence doit varier comme la conftitution des lieux, la température des faifons, & la difpofition du ciel. La conftitution des lieux, comme lorfqu'il s'agit d'enfemencer une plaine ou une colline; dans ces deux cas les terres peuvent être graffes, ou médiocres, ou maigres. La température des faifons, comme lorfqu'il s'agit de femer dans l'automne ou au commencement du printemps dans l'automne il faut moins de femence, il en faut davantage au printemps. La difpofition du ciel, comme lorfqu'il fait de la pluie ou qu'il fait fec; car quand le temps eft pluvieux, il faut femer plus clair; & quand il eft fec, il faut femer plus dru. Tout bled barbu se plaît fur-tout dans une terre en plaine découverte, expofée aux rayons du soleil, & bien ameublie: car quoique les collines produifent fouvent un grain plus vigoureux, elles rendent cependant moins de bled. Une terre forte, crayeufe & humide de fa nature, eft propre à recevoir le bled non barbu & le riz; il faut pour ces grains une terre trèsfertile, bien labourée, & repofée de deux années une: ces grains ne craignent ni les pluies continues, ni les lieux humides & marécageux. L'orge au contraire ne vient que dans un terroir meuble, fec & de médiocre qualité : fi la terre eft très-grafse, ou si elle est très-maigre, il y périt également ; il ne réuflit pas mieux dans un lieu humide ou marécageux. Or par rapport aux deux fortes de bleds, le barbu & le non barbu, fi la terre eft un peu crayeufe & naturellement humide, il faut plus de cinq modius de femence; mais fi elle eft feche & meuble, foit qu'elle foit graffe, foit qu'elle foit maigre, il ne faut que quatre modius; car dans ce cas, la terre maigre veut autant de femence que la terre graffe; fans cela, l'épi feroit mince & infécond: mais lorsque le grain s'eft multiplié en pouffant plufieurs tiges, alors le bled se trouve affez garni. Nous ne devons pas ignorer encore qu'un champ planté d'arbriffeaux doit confommer une cinquieme partie de femence de plus qu'un champ découvert & en plein air, & nous entendons toujours parler de la femence d'automne celle que nous eftimons la meilleure. Mais il y en a une autre occafionnée par la néceffité; c'est celle que les Laboureurs appellent des trimeres: elle eft de reffource dans les pays froids & fujets à la neige, où l'été eft humide & fans chaleurs. Il eft trèsrare que la récolte de ces grains foit abondante. Cette femaille

car c'est

doit être achevée de bonne-heure, & toujours avant l'équinoxe du printemps; & autant que la conftitution des lieux & la température de l'air peuvent le permettre, il faudra l'avancer: de cette maniere elle réuffira mieux; car il ne faut pas s'imaginer qu'il y ait aucune femence qui foit trimestre de fa nature, comme plufieurs l'ont cru. Tout grain femé en automne vient toujours mieux; cependant il y a certaines fortes de grains qui résistent mieux aux chaleurs du printemps, comme le bled fans barbe, l'orge Galatique, le riz ordinaire, & la féve Marfique : car pour les autres fromens d'une complexion plus forte, ils doivent toujours être femés avant l'hiver dans les régions tempérées.

Il fuffit, dit Pline (lib. XVIII, cap. XXIV.), de femer par jugere, dans un climat tempéré, cinq modius de bled barbu ou fans barbe; dix modius de riz d'hiver ou de riz trimestre; fix mo◄ dius d'orge ou d'orobe; fix modius de féves, douze de vefce, trois de pois chiches, de geffe, de pois communs ou de lentilles; dix de lupins, fix de fénugrec, quatre de haricots ou féveroles, vingt de foin, quatre fetiers de millet ou de panis. Il faut plus de femence dans une terre graffe, il en faut moins dans une terre maigre. On fait encore une autre distinction; dans une terre forte, crayeufe & d'une nature humide, il faut fix modius de bled, foit barbu, foit fans barbe; il n'en faut que quatre dans une terre meuble & légere, découverte, feche & fertile. Lorsque le bled n'eft pas femé clair dans une terre maigre, l'épi eft mince & fans grain; mais dans une terre graffe, le bled talle, & d'un feul grain il pouffe plufieurs tiges, d'où il arrive que d'une petite quantité de femence on récolte une abondante moiffon; c'eft pour cela qu'il y a des perfonnes qui veulent que pour enfemencer un jugere, on emploie entre quatre & fix modius de bled, suivant la qualité du terroir; d'autres, en plus grand nombre, prescrivent qu'on n'en feme pas moins de cinq modius, foit que la terre foit graffe ou maigre, foit qu'elle foit en plaine ou fur le penchant d'un côteau.

Dans le pays des Léontins en Sicile, on feme ordinairement, dit Cicéron (in Frumentaria), environ un médimne de bled par jugere. Lorfque la terre rend huit pour un, on fe trouve bien partagé : fi elle rend dix quelquefois, c'eft par une faveur spéciale des Dieux.

En Espagne, un fanéga de terre dans les environs du Canal pro

jetté de Murcie, fuivant les renfeignemens pris & par comparaison avec les terreins voifins, dit-on (dans le Profpecus d'un emprunt en rentes viageres pour la conftruction de ce Canal), est estimé valoir huit cents piaftres courantes: on enfemence ce terrein avec un fanéga de bled, pefant cent livres poids de Caftille. La terre rend trente-fix pour un. Le fanéga de bled vaut, année commune en Efpagne, quarante-cinq réaux de veillon ; & l'exportation y eft permife lorfque le fanéga ne vaut que trente-deux réaux.

C'eft-à-dire, un arpent de France vaut dans la Province de Murcie 4925 livres il faut environ fept boiffeaux de Paris pour l'enfemencer en bled. La terre rend la femence trente - fix fois, enforte que l'arpent produit vingt-un fetiers de bled. Le fetier vaut, année commune, 31 liv., & lorfqu'il ne vaut que 22 liv., l'exportation eft permife: d'où il fuit qu'un arpent de terre produit en Efpagne, année commune, pour 651 liv. de bled. Ce que je trouve de fort exagéré ici, c'eft le prix en argent des terres; mais c'étoient ces terres qu'on hypothéquoit pour la fûreté des fonds des intéreffés, & il falloit bien les faire valoir. A l'égard du produit de ces terres, il doit encore être porté à l'extrême, vu l'état actuel de l'agriculture en Efpagne. Mais le terroir d'Efpagne eft de nature à donner ce produit, & on lit dans la Géographie de Mérula qu'une mesure de bled en rendoit autrefois quarante heureuse région.

dans cette

Dans les vallées de Mixe & d'Arbérone en baffe Navarre, on feme dans un arpent du pays une conque & demie de froment.

pour

Les Laboureurs affurent, dit Budée de Affe, p. 523.), qu'il faut une mine & demie ou neuf boiffeaux environ de bled enfemencer un arpent de France. Lorfque pour m'en affurer moimême, continue-t-il, je l'ai demandé à ceux de mon Canton, à peine ai-je pu concilier leurs opinions, ce qui vient autant de la variété des terreins que de celle des mefures. Tout ce que j'ai pu inférer de leurs réponses, eft qu'une terre graffe & forte exige au moins neuf boiffeaux de femence, quelquefois dix; & que dans une terre meuble & feche, il faut de femence tantôt sept & tantot huit boiffeaux. Un arpent de bonne terre rend, année commune, environ douze mines ou fix fetiers : c'eft-là ce que nos meilleures terres produifent communément dans l'Ile de France, que l'Auteur appelle la tétine ou la mamelle de la France (fumen Francia). Dix-huit arpens de cette terre s'afferment un muid de

bled

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