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il faut les tenir dans un lieu fec, & même à la fumée : car l'humidité y engendre un petit ver qui en ronge le germe, & les rend ftériles. Si le lupin a été mangé en herbe par les beftiaux, il faut aufli-tôt labourer la terre, afin de mettre à profit ce qui refte de fes pailles. On peut voir parmi les poids dont nous avons traité, ce que doit pefer le lupin felon les Anciens. J'en ai examiné, après les avoir choifis, qui pefoient un peu trop; j'en ai examiné d'autres, après les avoir également choifis, ils pefoient trop peu; ces derniers étoient apparemment de ces lupins fauvages dont parle Pline, & qui font moins gros que les lupins cultivés. Le poids du lupin & fon amertume font deux caracteres fuffifans pour prouver que ceux que l'on vend à Paris sous ce nom, font les mêmes que ceux des Anciens. Mais nous avons vu de plus en parlant de la féve, que la tige du lupin étoit unique, & que fa racine étoit furculeufe, & pénétroit profondément dans la terre. On peut encore obferver que la feuille, dans le lupin comme dans le pavot, tombe avant la maturité de la plante. Il eft probable que le mot lupinus vient de lupus, à caufe que cette plante confume beaucoup de fubftance, & qu'elle eft extraordinairement vivace, pour ne pas dire vorace. Le nom de therqui fignifie plante chaude, lui a été donné a été donné par les Grecs pour la même raifon.

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Le haricot, phafelus, fafeolus, ne réuffit bien que dans une terre que l'on a laiffé repofer durant une année; il fe plaît furtout dans une terre graffe & reftible. Les feuilles de ce légume font veinées, & fes gouffes, qui font longues, fe mangent avec les femences. Voilà tout ce qui caractérise le fafeolus dans Pline. Caton dit qu'il faut femer la lentille, lens, dans des terres rapportées, & provenant de démolitions dans les terres rouges, où il ne croît point d'herbe. La lentille, felon Pline, préfere une terre légere à une terre graffe; elle aime un ciel pur & un temps fec. Il y a de deux fortes de lentilles en Egypte : l'une eft femblable à celle qu'on cultive en Italie; l'autre eft plus ronde & plus noire. On dit que ce légume rend l'efprit content & tranquille dans ceux qui en mangent, & leur donne de la gaieté.

Le pois chiche, cicer, eft naturellement falé; c'eft pourquoi il brûle la terre. Ses gouffes ou filiques font rondes, fa tige rameuse, sa racine furculeufe & profonde. On doit le laiffer tremper dans de l'eau durant deux jours avant que de le femer. Le cicer &

l'ervum font long-temps en fleur, mais moins que la féve. Il y a de plufieurs fortes de pois chiches; les différences se font remarquer dans la groffeur, la figure, la couleur & le goût. Il y a le cicer arietinum, le pois bélier, qui eft blanc & noir, & reffemble à une tête de bélier; il y a le cicer punicum, le pois de Carthage. On feme ces efpeces dans le courant du mois de Février ou de Mars, par un temps humide & dans la terre la plus fertile. Il y a encore le cicer colombinum, pois colombin, pois de pigeon, ou pois de Vénus : il eft blanc, rond, léger & moins gros que le pois bélier. La cicercula eft un cicer d'une efpece plus petite; elle reffemble au pifum ou pois commun, & son grain est d'une rondeur inégale de même. Elle fe feme en Janvier ou Février (Fé. vrier & Mars), dans une bonne terre & par un temps humide. Dans la Bétique on nourrit les boeufs avec la cicera : on la concaffe sous un meule, puis on la fait tremper dans de l'eau pour l'adoucir & la rendre molle : ainfi préparée, on la mêle avec de la paille broyée, & on la donne aux troupeaux. La ration pour deux boeufs eft de feize livres ( onze livres poids de marc). Les hommes en mangent auffi. Elle a le même goût que la cicercula; on ne l'en diftingue que par fa couleur, qui eft plus brune & tirant prefque fur le noir. Les meilleurs pois chiches font ceux qui reffemblent à l'ervum. Les noirs & les roux font plus fermes que les blancs. Il y a un cicer fauvage, semblable par fes feuilles au cicer cultivé: il eft d'une odeur forte.

Le pois commun, pifum, a fes gouffes cylindriques, fes feuilles longues, comme dans l'ervilia, les autres légumes les ayant rondes pour la plupart. Ce légume craint le froid, & aime à être femé dans un lieu expofé au foleil.

La vesce, vicia, eft ainsi appellée à vinciendo, parce qu'elle a des capréoles comme la vigne, avec lefquelles elle s'attache à la tige d'un lupin ou d'un autre légume.

Les Médecins anciens font deux claffes du navet, napus, l'un mâle, l'autre femelle. Les navets mâles font ronds; les navets femelles font plus gros, raccourcis & creux, ce font ceux qui ont plus de faveur. Les Anciens diftinguent également cinq fortes de navets, le navet Corinthien, le Cléonée, la Liothalaffe, le Béotique & le Verd. C'est le Corinthien qui devient le plus gros de tous; fa tubercule conique eft prefque entiérement nue & à découvert : c'est la feule efpece de ce genre dont la racine tende

à fortir de la terre; les autres au contraire aiment à s'y enfoncer plus ou moins. Le navet Liothalasse ne redoute pas les gelées : quelques-uns l'appellent navet de Thrace. Le navet Béotique est d'une faveur douce & agréable; il eft remarquable par fa forme ronde & raccourcie, au contraire du Cléonée qui eft fort long. Les navets dont les feuilles font petites & douces au toucher, font les plus doux & les meilleurs ; ceux au contraire dont les feuilles font âpres, anguleufes & piquantes, font les plus amers. Il y a encore une efpece de navet fauvage, dont les feuilles reffemblent à celles de la roquette. Les navets les plus renommés à Rome étoient ceux d'Arniterne; ceux de Nurfie tenoient le second rang, & enfin ceux des potagers de Rome le troisieme.

Les Ecrivains de l'antiquité font auffi mention de trois fortes de rave, rapa, la large ou groffe raccourcie; la ronde, & la fauvage, qui eft longue comme le raifort. La feuille de la rave est auguleufe & raboteuse; son suc âcre & mordicant. La meilleure & la plus recherchée est celle qui vient dans le territoire de Nurfie; elle s'y vendoit un sesterce la livre au temps de Pline ( 5 f. 8 d. la livre poids de marc); & quand il y en avoit difette, deux sesterces. Les meilleures après celles-ci font celles du mont Algide.

La culture des raves & des navets étoit regardée autrefois comme la plus utile après celle des bleds & de la féve. Les hommes non-feulement en mangeoient la racine, mais ils en eftimoient tout autant les feuilles & les tendrons que ceux du chou. Tous les animaux aiment la rave; les quadrupedes en mangent avec appétit tant les feuilles que la racine : cuite, elle est propre à nourrir & à engraiffer la volaille.

Les brouillards, les petites gelées & le froid contribuent à faire croître & groffir les raves. J'en ai vu, dit Pline, qui pefoient plus de quarante livres. Tragus dit la même chofe. Amatus en a vu du poids de cinquante à foixante livres, & Matthiole de cent.

La médique ou luzerne, medica, eft une plante étrangere qui nous vient de la Médie, d'où elle fut apportée en Grece au temps de Darius, fils d'Hiftafpes. Les avantages de la médique font tels, qu'elle pouffe pendant trente ans felon les uns, ou au moins pendant dix ans felon les autres, dans la terre qui en a une fois été enfemencée. Sa tige eft divifée par des noeuds ou bouquets de feuilles, & reffemble à celle du trefle. Amphiloque avoit écrit un yolume entier fur cette plante & fur le cytife. Elle fe plaît dans

un terrein fec, plein de fucs, & qui peut être arrofé. Après avoir épierré & nettoyé la terre où on veut la femer, on lui donne un léger labour en automne; bientôt après on fait un labour plus profond, on herfe pour caffer les groffes mottes, puis on paffe une claie deux ou trois fois fur la terre pour l'adoucir, & l'on y met du fumier. Le terrein ainsi préparé, on y répand la femence au retour du printemps; on la jette avec la main comme le bled, & la terre doit en être abfolument couverte pour intercepter & faire périr les herbes étrangeres qui pourroient y naître; c'est pour cela qu'on met jufqu'à vingt modius de cette graine dans un jugere. Il faut avoir foin de la bien enterrer, de peur que le foleil ne la brûle, & ce travail ne fouffre aucun délai. Si la terre est humide ou fertile en herbes, la médique eft étouffée, & l'on n'a qu'un pré ordinaire; c'eft pourquoi, dès qu'elle s'est élevée à la hauteur d'un doigt, il faut avec la main, & non avec le farcloir, en arracher toutes les mauvaises herbes. On la coupe lorfqu'elle commence à fleurir, & toutes les fois qu'elle rentre en fleur, ce qui arrive fix ou au moins quatre fois par an. Il ne faut point la laiffer gréner avant la troifieme année, temps auquel il faut racler la terre avec la marre pour détruire entiérement ce qui refte d'herbes étrangeres, ce qu'on peut faire alors fans endommager la plante, parce que fes racines font profondes. Si avec ces précautions les herbes prennent néanmoins le deffus, & dominent, il n'y a d'autre moyen que de remuer la terre pour fuivre ces plantes importunes jufqu'à leurs racines.

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Il ne faut pas raffafier les beftiaux de médique, de peur d'être obligé de les faire faigner. C'est en verd qu'elle eft plus utile elle donne beaucoup de lait aux troupeaux, felon Varron; c'est le contraire, fuivant Ariftote. Si on la laiffe fécher fur pied, elle fe dépouille de fon feuillage, & fe réduit dans une pouffiere qui n'eft bonne à rien. Un jugere de médique fuffit de refte pour nourrir trois chevaux durant toute l'année; par conféquent un arpent de France doit fuffire pour en nourrir fix.

Plufieurs Ecrivains prétendent que la médique eft le fainfoin ordinaire : Onibrychis foliis viciæ fructu echinato major. Mais il me femble que Pline décide la queftion, lorsqu'il dit que la tige de la médique avec fon feuillage eft semblable à celle du trefle, ce qui ne peut convenir qu'à la luzerne : Similis eft trifolio caule, foliifque geniculata.

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Nous aurions pu étendre davantage ces recherches fur les grains & les autres productions que cultivoient les Anciens; ce feroit une matiere affez importante à traiter, & qui demanderoit un volume à part mais ici nous traitons des mefures, ou des chofes qui ont avec elles un rapport immédiat & direct. Si nous avons cru devoir entamer une matiere qui paroît tout-à-fait étrangere à notre sujet, que l'on faffe attention qu'il eft du reffort des mesures de régler la quantité de femence qu'il convient de mettre dans les terres; c'est ce que nous avons voulu faire d'après l'expérience de tous le fiecles. Mais nous n'étions pas fürs de connoître les grains dont nous parlions, & que nous défignions fous des noms étrangers & antiques, dont la véritable fignification s'eft perdue ou obscurcie par un long laps de temps; il auroit donc été ridicule d'appliquer des mefurages à des chofes qui, quoique réelles dans leur origine, ne de font plus pour nous dès-lors que nous n'en connoiffons pas la nature. Voilà ce qui a néceffité l'efpece de hors-d'œuvre que l'on vient de voir. Nous allons à préfent nous rapprocher de notre premier objet.

Lorsqu'on connoît la quantité de femence qu'il convient de mettre dans une terre, & qu'on connoît auffi la quantité de grain que la terre rend pour cette quantité de femence, on pourra calculer la richeffe & la puiffance abfolues, & non précaires, d'un Etat dont l'étendue fera déterminée. Par le calcul que l'on en fera, on verra que ce n'eft pas l'étendue du territoire qui rend seul un Etat plus ou moins puiffant; la puissance d'un Etat est en raison compofée de l'étendue de fes terres, & de leur degré de fertilité.

Suppofons deux Etats dont les étendues des terres foient entr'elles comme 2 & 9 & que le degré de fertilité dans le petit Etat foit aufli 2, tandis qu'il fera 9 dans le grand. Dans ce cas, la puiffance du petit fera 4, tandis que la puiffance du grand fera 81. Si au contraire la fertilité du petit Etat étoit 9, tandis qu'elle ne feroit que 2 dans le grand Etat; alors la puiffance dans ces deux Etats feroit la même. Le petit Etat auroit même un avantage de plus, c'est qu'il lui feroit plus facile de garder ses frontieres qui auroient moins d'étendue.

Prenons un exemple. Si le Portugal contient vingt millions d'arpens, que l'Espagne en contienne quatre-vingt-dix millions que les Efpagnols, par leur activité & leur travail, trouvent le

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